Article de doctrine : La garde à vue dans le système pénal ivoirien avec la nouvelle réforme du code de procédure pénale - Ivoire-Juriste
Doctrine Documentation

Article de doctrine : La garde à vue dans le système pénal ivoirien avec la nouvelle réforme du code de procédure pénale

Franck-Willy Franck-Willy
19:37:28
0 Commentaires
Accueil
Doctrine
Documentation
Article de doctrine : La garde à vue dans le système pénal ivoirien avec la nouvelle réforme du code de procédure pénale
La garde à vue dans le système pénal ivoirien avec la nouvelle réforme du code de procédure pénale


Le Nouveau Code de Procédure Pénale ivoirien en date du 28 décembre 2018 laisse observer bon nombre d’innovations inspirées par le système pénal international en matière de protection des droits de l’homme.

Introduction

En ce qui concerne le régime de la garde à vue, plusieurs innovations en faveur des mises en cause sont à mettre en lumière.

C’est donc dans ce cadre que s’inscrit cet article de doctrine de M. AGOU N’Guessan Ramorit, Juriste, Fondateur du groupe IS ‘’Invictus Sempere’’.


La liberté d’aller et venir comme il entend, constitue pour le citoyen ivoirien, à l’instar des citoyens des autres pays de tous les continents, une des libertés politiques fondamentales.

D’ailleurs, elle est consacrée par la constitution ivoirienne de 2016 en son article 211. Et l’exercice de ce droit ne peut être limité que par la loi, indique ladite constitution en ses articles 72 et 21 alinéa 3.
À cet effet, la garde à vue, consacrée par le nouveau code de procédure pénale ivoirien, peut être définie comme une mesure permettant de restreindre la liberté d’aller et de venir d’une personne pour les besoins d’une enquête ou d’une instruction au sein des locaux des services de police judiciaire.

Bien que faisant partie du quotidien, fréquemment relayée par les médias dans de multiples affaires, mise en scène au cinéma, la garde à vue n’en demeure pas moins une procédure méconnue pour la majorité des nationaux et non nationaux vivant sur le territoire ivoirien, considérée à tort ou à raison comme symbole de culpabilité d’une personne.

Parce qu’au-delà d’une mesure privative de liberté, la garde à vue est avant tout une épreuve – un mélange de marathon et jeu d’échec face auquel le mis en cause ou les parents et proches affectés par cette situation doivent être mis en condition, à tout le moins préparer psychologiquement.
La garde à vue peut être d’autant plus qu’une épreuve bouleversante tant physiquement que psychologiquement, et même quelques fois financièrement, de sorte que la représentation populaire de celle-ci est très caricaturale. En effet, dans une des langues locales, le baoulé, l’expression ‘’Bi-soua’ ’littéralement traduite ‘’maison (soua) de caca, matière fécale, excréments (bi) ’’ est utilisée pour désigner le lieu de détention, de privation de liberté d’une personne par l’autorité judiciaire. 

Ainsi, dans l’imagerie populaire, la garde à vue est l’avant-goût de la prison, maison d’arrêt et de correction.

Cependant conscients de l'atteinte qu'ils portaient ainsi à la liberté individuelle, sous l’impulsion de l’Etat ivoirien engagé résolument à respecter sa signature des traités internationaux régissant les question des libertés individuelle et collective, les rédacteurs du nouveau Code de Procédure Pénale ont entendu régir étroitement cette mesure privative de liberté qu'est la garde à vue, en confiant aux seuls officiers de police judiciaire (O.P.J), le pouvoir de décider d'une telle mesure quand l’offre d’une mesure de contrôle judiciaire ne serait pas raisonnablement applicable au cas d’espèce, notamment lors de la commission d'une infraction ayant choquée fortement la société. 

En contrepartie, elle est soumise à un formalisme rigoureux.

Ainsi au regard de la nature, de la gravité des infractions suspectées d’être commises ou tentées et de l’âge des mis en cause, le législateur offre une variété de fourchettes horaires auxquelles doivent se soumettre désormais l’O.P.J. dans sa prise de décision pour échapper à une sanction de nullité de celle-ci par l’autorité de contrôle.

Il s’agira ici de s’évertuer, autant que faire se peut, à éclairer nos concitoyens sur les conditions légales d’encadrement du placement en garde à vue aux fins de les amener à se préparer efficacement et dignement à cette épreuve. La connaissance de ces procédés aurait pour but de réduire l’arbitraire policier par la sanction de nullité du placement en garde à vue.

Mais surtout, de mettre en évidence les obstacles actuels pouvant rendre ineffective cette réforme qui a moins d’une année.

I/ LE POUVOIR DE GARDER A VUE SOUMIS ÉTROITEMENT A L’APPRÉCIATION DE L’AUTORITÉ JUDICIAIRE 

La décision de placer en garde à vue une personne suspectée d’infractions est dévolue à l’officier de police judiciaire qui est tenu légalement d’une part, à satisfaire à l’obligation d’informer le parquet lequel exerce de facto et de jure un contrôle et donne des orientations, d’autre part de respecter les droits de la défense, sous peine d’annulation totale ou partielle de la procédure. Ces moyens juridiques visent à limiter le pouvoir de rétention de l’officier de police judiciaire. 

A/ Par l’obligation d’informer le parquet 

Dans le langage courant, retenir signifie « arrêter », « empêcher de partir ». Les forces de l’ordre peuvent ainsi, en s’en prévalant, s’opposer à la libre circulation d’un individu. Ce pouvoir coercitif est considérable puisqu’il permet de fixer la personne qui en fait l’objet en un lieu précis et pendant une durée déterminée dans le but de procéder aux investigations nécessaires à la manifestation de la vérité. Eu égard à son importance pratique, la garde à vue concentre sous sa coercition l’essentiel du pouvoir de rétention reconnu à la force publique. 

L’exercice de cette pratique courante est dévolu aux termes de l’article 71 du nouveau code de procédure pénale à l’officier de police judiciaire. 

Cette mesure s’exercera contre une personne à l’encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement est maintenue à la disposition des enquêteurs. 

De facto, cette définition exclut alors de son champ les simples contraventions et les délits pour lesquels aucune peine d’emprisonnement n’est encourue. 

Ainsi, un conducteur qui commettrait un excès de vitesse (ou encore un grand excès de vitesse, simple contravention de 5e classe) ne s’exposerait nullement à une mesure de garde à vue, et ce, quelle que soient les menaces proférées par l’agent verbalisateur. 

Seront donc également insusceptibles d’un placement en garde à vue : l’arrêt ou le stationnement dangereux, le franchissement d’une ligne continu, le défaut de port de ceinture de sécurité, le refus de priorité ,la circulation en sens interdit ,la circulation sur la bande d’arrêt de bus ou d’arrêt d’urgence, le franchissement d’un feu rouge, fixe ou clignotant ,l’inobservation d’un panneau STOP,etc.. 

Le placement en garde à vue est éminemment coercitif ; certains auteurs le considèrent même « comme l’acte le plus dangereux (au regard des libertés) que peut réaliser un OPJ pour la nécessité de l’enquête. À défaut de statistiques officiels portés périodiquement à la connaissance du public traitant du nombre de personnes gardées à vue sur l’ensemble du territoire ivoirien, nous nous appuierons sur ceux de la France, qui en la matière n’est pas très encourageante : en Janvier 2019, 4570 personnes placées en garde à vue en un mois, dans le cadre du mouvement des gilets jaunes, en France.

Et à juste titre. En effet, dans l’ancien code de procédure pénale (articles 61 et 63), les seules indications de nécessité de l’enquête ou de circonstances concordantes et aggravantes suffisaient à l’officier de police judiciaire à retenir toute personne suspectée. 

Et l’officier de police judiciaire pouvait même garder à vue , pour pas plus de quarante-huit heures, toute personne dont il apparaît nécessaire, au cours des recherches judiciaires, d'établir ou de vérifier l'identité, qui ne se prêtait pas aux opérations qu'exige cette mesure ainsi qu’à tout individu susceptible de fournir des renseignements sur les faits, objet de l’enquête, qui ne s’y prêtait volontiers pas non plus.

L’ancienne loi de procédure renforçait le pouvoir de rétention de l’OPJ en l’élargissant aux simples personnes qui ne collaboreraient pas suffisamment à l’enquête, lesquelles personnes pouvaient même être passibles de peine d’emprisonnement n’excédant pas dix jours et 36 000 francs d’amende.

La prévision de cette disposition dans le cadre de l’enquête préliminaire ne pouvait que susciter l’étonnement puisqu’elle est censée être d’une moindre coercition. Elle ne semblait pas non plus satisfaire aux exigences des conventions internationales en la matière.

Le changement apporté par le nouveau code de procédure pénale vient relativement mettre un bémol au pouvoir étendu dans la pratique courante de l’O.P.J sur trois aspects importants:

D’abord, lorsqu’il agit d’office dans le cadre d’une enquête préliminaire, l’O.P.J est tenu aux termes de l’article 60 nouveau, d’informer immédiatement le Procureur de la République.

Ensuite, les O.P.J ne peuvent retenir le simple témoin susceptible de fournir des renseignements que le temps nécessaire à sa déposition . Ce qui est clairement distingué de la garde à vue. (Articles 61 et 62 du nouveau code de procédure pénale).

Toutefois, il est important de noter qu’aucun droit n’est accordé à la personne auditionnée par le policier enquêteur ; même la durée maximale de sa présence dans les locaux de police n’est pas fixée dans le nouveau code, là ou l’ancien code octroyait un temps maximum de 48 heures, qui a notre sens était excessif. Le risque est grand d’une dérive vers un régime sans droits ; comme alternative à une garde à vue avec droits ou - encore plus dangereux - comme « pré-garde à vue ».

Enfin, L’OPJ doit informer le procureur ou le juge d’instruction dès le placement de la personne en garde à vue. Cette obligation vise à réduire le champ de manoeuvres coercitives de l’O.P.J

En plus de cette obligation d’information du procureur de la République le placement en garde à vue d’une personne mise en cause dans la commission d’une infraction ou sa tentative (existence d’indices graves et concordants) ne peut s’opérer que sur la base de circonstances précises clairement déterminées par le législateur dans l’article 71 NCPP l’O.P.J doit donc garder à l’esprit que ces raisons non-cumulatives ne peuvent être valablement justifiées que lorsque la garde à vue s’impose comme ‘’l’unique moyen de ’’ :

1- permettre l’exécution des investigations impliquant la présence ou la participation de la personne ;

2- garantir la présentation de la personne devant le Procureur de la République que ce magistrat puisse apprécier la suite à donner à l’enquête ;

3- prévenir la modification par la personne des preuves ou indices matériels ;

4- eviter que la personne exerce des pressions sur les témoins ou les victimes ainsi que sur leur famille ou leurs proches ;

5- éviter toute concertation entre la personne avec d’autres personnes susceptibles d’être ses complices ;

6- proteger la personne mise en cause ;

7- garantir la mise en œuvre des mesures destinées à faire cesser le crime ou le délit.

Partant, un procès-verbal relatant les faits, mentionnant les motifs de la rétention, sa durée, la durée de chaque interrogatoire et de chaque repos, doit être établi exclusivement par l’officier de police judiciaire.

Le Procès-verbal permet donc d’assurer une traçabilité de la mesure de garde à vue et de son déroulement. Il s’inscrit dans le dossier de la procédure et pourra faire l’objet d’un contrôle subséquent.

Cette exigence tend à assurer une surveillance effective de ce pouvoir de police judiciaire tel que le requiert l’article 31 du code de procédure pénale : ’’Les Officiers de police judiciaire sont tenus d’informer sans délai et par tous moyens, le procureur de la république des crimes, délits et contraventions. Dès la clôture de leurs opérations, ils doivent lui faire parvenir directement l’original ainsi qu’une copie certifiée conforme des procès-verbaux qu’ils ont dressés. 

Tous actes et documents y relatifs lui sont en même temps adressés ; les objets saisis sont mis à sa disposition. Les procès-verbaux doivent énoncer la qualité d’officier de police judiciaire de leur rédacteur ‘’.

Ainsi, un retard de l’information donnée au magistrat porte atteinte aux intérêts de la personne placée en garde à vue. Si ce retard ne trouve aucune justification, entendue sous la forme de circonstances insurmontables, alors un grief sera reconnu d’office, entrainant alors la nullité de la garde à vue. En France, la jurisprudence abonde sur la sanction du retard d’information.

Relativement, un simple retard de 45 minutes après la mise en place du placement en garde à vue a été jugée « trop tardif » : Cass. crim., 24 mai 2016, n° 16-80.56410, alors qu’un retard de 25 minutes a été jugé conforme : Cass. crim., 6 février 2018, n° 17-84.70011.

En revanche, il ne faut pas confondre le délai lié à l’information du gardé à vue de ses droits après le placement en garde à vue de ce dernier alors qu’il conduisait en état d’ébriété (conduite sous alcool) et le délai de notification au Parquet du placement en garde à vue du conducteur.

Un arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de cassation (Cass. crim., 23 janvier 2018, n° 16-87.205) est venu rappeler ce point :

« Mais attendu qu’en se déterminant ainsi, alors que le placement en garde à vue étant intervenu à 1heure 30 et l’information du procureur de la République à 10 heures 49, il appartenait aux juges de rechercher quels étaient les actes affectés par l’information tardive du ministère public dans cet intervalle et les actes subséquents dont ils étaient le support nécessaire, et qu’il n’importe, pour déterminer l’étendue de l’annulation, que la notification des droits à l’intéressé ait été différée en raison de son état d’ébriété, la cour d’appel n’a pas justifié sa décision ;

D’où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;
Par ces motifs, et sans qu’il y ait lieu d’examiner les autres moyens de cassation proposés :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt susvisé de la cour d’appel de Nîmes, en date du 30 septembre 2016, et pour qu’il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, ».

Plus le temps de la garde à vue n’est prolongé, plus le pouvoir coercitif de la police avec la crainte de mauvais traitement augmente. Donc, le respect des libertés individuelles commande un contrôle judiciaire plus accru. La limitation de la durée de la garde à vue par les nouveaux textes de procédure pénale participe à un meilleur encadrement.

B/ Pour l’exercice d’un contrôle judiciaire renforcé de la garde à vue

Le corollaire de ce droit consistant à être tenu informé des actes pris par l’officier de police judiciaire lors de ses investigations au bénéfice de l’institution judiciaire est celui naturellement d’exercer un contrôle qui se traduit par l’examen de la conformité de l’action policière au regard des règles qui l’encadrent. Ce contrôle à posteriori porte essentiellement sur les conditions de détention et plus particulièrement, le respect de la durée de la garde, objet ici de notre attention.

La durée de la garde à vue varie textuellement en fonction de la gravité de l’infraction et de l’âge des personnes suspectées, elle est placée sous le contrôle de l’autorité judiciaire, garante des libertés individuelles.

Ainsi, l’officier de police judiciaire ne peut retenir les personnes majeures contre lesquelles il existe des indices graves et concordants de la participation à une ou des infractions plus de 48 heures.

En tout état de cause, l’autorité judiciaire est informée dans les meilleurs délais de ce placement en garde à vue. C’est l’article 72 NCPP qui encadre cette information : « Dès le début de la garde à vue, l’officier de police judiciaire en informe par tous moyens, le Procureur de la République. L’officier de police judiciaire ne peut retenir, les personnes... plus de quarante-huit heures… Le Procureur de la République apprécie si le maintien de la personne en garde à vue et, le cas échéant, la prolongation de cette mesure soit nécessaire à l’enquête et proportionnée à la gravite des faits que la personne est soupçonnée d’avoir commis ou tenté de commettre. »

S’il s’agit d’une formalité, elle en demeure impérative puisque protectrice des droits individuels et cette garantie revient à être mise en place par le Procureur de la République.

L’heure du début de la garde à vue est fixée, le cas échéant à l’heure à laquelle la personne a été appréhendée ou s’est présentée dans les locaux de l’unité de police judiciaire en réponse à la convocation qui lui a été faite.

En ce qui concerne les mineurs auteurs d’infractions délictuelle ou criminelle, l’article 790 alinéa 2 indique qu’aucune mesure ne peut être prise à l’encontre d’un mineur âgé d’au moins treize (13) ans sans l’autorisation préalable du procureur de la république. 

Et l’article 791 énonce que la garde à vue d’un mineur ne peut être prolongée au-delà du délai de vingt-quatre heures, sauf en matière criminelle. En ce cas, l’autorisation de prolongation est délivrée par tout moyen écrit ou verbal par le procureur de la république. Un examen médical du mineur est obligatoire en cas de prolongation de la mesure de garde à vue.

Par ailleurs, en matière d’actes terroristes et infractions connexes réglementée par l’article 17 de la loi 2015-493 du 07 juillet 2015, le procureur de la république peut accorder, par écrit, l’autorisation de prolonger la garde à vue d’un nouveau délai de quatre-vingt-seize heures.

En somme, la lecture des dispositions du nouveau code de procédure pénale conduit à considérer que les rôles sont clairs et les tâches bien partagées : les magistrats du parquet supervisent le travail des policiers, orientent leurs enquêtes et leur demandent de prendre toutes les mesures susceptibles d’aboutir à la vérité judiciaire.

En d’autres termes, les policiers qui se trouvent sur le terrain n’agiraient que sous la direction et le contrôle des procureurs et leur rendraient compte des enquêtes entreprises d’initiative afin de recevoir l’accord pour les poursuivre et des instructions fixant les orientations et le contenu du dispositif à mettre en place.

Ce contrôle devrait également constituer une garantie pour les personnes soumises à l’action des officiers de police judiciaire quant à la parfaite légalité de l’enquête et à l’emploi des moyens de contrainte. 

Le citoyen interpellé par la police ou ayant affaire à elle et dont le cas est porté diligemment à la connaissance du procureur, censé représenter la garantie d’un traitement équitable, devrait pouvoir s’expliquer devant un magistrat, dont la mission essentielle est de l’écouter, de prendre toutes mesures utiles et même de lui rendre sa liberté s’il estimait que les faits qui lui sont reprochés sont infondés.

En conclusion, au vu de ce qui précède, le procureur de la République ou le procureur général ,en vertu de l’article de l’article 76 du nouveau code de procédure pénale , peut, d’office, ou à la demande de toute personne, faire cesser la mesure de garde à vue si elle a été décidée par l’officier de police judiciaire au mépris des dispositions des articles 71, 72, 73, 74 et 75.

Le pouvoir du parquet est encore renforcé dans le cadre de la garde à vue en qui concerne son renouvellement. Le procureur de la république est la seule autorité habilitée à autoriser le renouvellement de la garde à vue.

Ce contrôle judiciaire s’étend aux juridictions d’instruction que sont le magistrat instructeur et la chambre d’instruction.

Ainsi il a été jugé par la chambre criminelle française dans un arrêt en date du 16 septembre 2003 (Bull. N° 160) a censuré, pour manque de base légale, l’arrêt d’une chambre de l’instruction qui n’avait pas précisé les raisons ayant contraint à différer la présentation d’une personne, retenue au dépôt du Palais de justice de Paris, devant le magistrat instructeur pendant plus de vingt-quatre heures après la fin de sa garde à vue.

Dès lors qu’ils ont décidé d’un placement en garde à vue, en plus d’être soumis à l’obligation de délivrance d’information au parquet, les officiers de police judiciaire sont en même temps assujettis à des séries d’informations au profit du suspect. On remarquera toutes ces obligations s’analysent en un contrepoids à l’atteinte même légitime portée à la liberté de l’intéressé.

Dans ces conditions, le rappel des obligations de l’officier de police judiciaire vis-à-vis de la mise en personne placée en garde à vue devrait mieux armer cette dernière à faire face à cette épreuve.

II/ L’OBLIGATION DE RESPECTER LES DROITS DU GARDÉ A VUE

La personne placée en garde à vue a des droits auxquels l’officier de police judiciaire est tenu de s’y conformer. Ces droits peuvent se grouper essentiellement en deux éléments : le droit d’être informé pleinement sur ce que l’on lui reproche d’une part, et d’autre le droit d’être assisté par une tierce personne (avocat ,parent ou ami, médecin).

A/ L’obligation d’informer le mis en cause sur le motif de son placement en garde à vue

L’article 74 du code de procédure pénale souligne que l’officier de police judiciaire a l’obligation, d’informer immédiatement le mis en cause ;

1- de son placement en garde à vue ainsi que de la durée de la mesure de prolongation dont celle-ci peut faire l’objet.

2- de la nature et de la date présumée de l’infraction qu’elle est soupçonnée d’avoir commise ou tentée de commettre.

Autrement dit, l’officier de police judiciaire en communiquant sur le motif du garde à vue doit s’assurer que cela s’opère dans une langue que comprend le mis en cause (au besoin par le biais d'un interprète). Il avise de la qualification des faits qu’il a notifiés à ce dernier.

Il est de jurisprudence française constante que si aucun élément de la procédure n’établit une circonstance insurmontable justifiant la décision de différer la notification de ses droits à l’intéressé, la garde à vue doit être annulée ainsi que la procédure subséquente.

La Chambre criminelle a ainsi pu juger que :

« l’officier de police judiciaire ou, sous son contrôle, l'agent de police judiciaire, a le devoir de notifier immédiatement les droits attachés au placement en garde à vue ; (…) tout retard dans la mise en œuvre de cette obligation, non justifié par une circonstance insurmontable, porte nécessairement atteinte aux intérêts de la personne concernée ».

En sus de ces informations délivrées, l’officier de police judiciaire est tenu d’informer le mis en cause du droit de se faire assister par un proche (parent ou un ami), d’un avocat. Il peut bénéficier également d’une assistance médicale.

B/ Le droit à être assisté lors du placement en garde à vue

1- Le droit de prévenir un proche

L’alinéa 3 dudit article 74 souligne que la personne placée en garde à vue est également informée de son droit de faire prévenir, sans délai, par tout moyen de communication, une personne avec laquelle elle vit habituellement, un parent, un ami ou son employeur, de la mesure dont elle est l’objet.

L’interprétation de cet article n’exclut pas le droit de cette personne, si elle est de nationalité étrangère de prévenir les autorités consulaires dont elle est ressortissante.

Toute restriction à ce droit ne peut résulter que d’une instruction écrite ou par tout moyen laissant trace écrite du procureur de la république.
Aussi, l’état physique du place en garde à vue peut justifier une intervention du médecin.


2- Le droit de bénéficier d’une assistance médicale expressément reconnue

La jurisprudence de la Cour européenne sur les mesures équivalant à une privation de liberté a été déterminante sur l’évolution du droit de la garde à vue. L’arrêt Tomasi c. France du 27 août 1992 (Série A n° 241- A) a contribué indirectement à faire reconnaître à l’intervention du médecin la place qu’elle méritait tant dans l’intérêt de l’autorité publique que dans celui de la personne soumise à une mesure privative de liberté. 

Il convient de rappeler que l’intéressé, qui avait été soupçonné de participation à un attentat en Corse, s’était plaint au juge d’instruction, auquel il avait été présenté à l’issue de sa garde à vue, de violences policières subies au cours de l’exécution de cette mesure. 

Le magistrat avait ordonné une expertise. Quatre médecins, qui avaient examiné l’intéressé les jours suivants, avaient établi des certificats contenant des observations médicales précises et concordantes indiquant des dates de survenue des blessures correspondant à celles du séjour dans les locaux de police. 

La Cour européenne, saisie par M. Tomasi à la suite du non lieu à suivre prononcé sur sa plainte visant les violences alléguées et un abus d’autorité, a rendu un arrêt, constatant la violation de l’article 3 de la Convention, dans lequel, après avoir rappelé la vulnérabilité d’une personne gardée à vue et décrit les caractéristiques du système national, notamment l’absence d’avocat et de contact avec l’extérieur, a souligné que « les nécessités de l’enquête et les indéniables difficultés de la lutte contre la criminalité, notamment en matière de terrorisme, ne sauraient conduire à limiter la protection due à l’intégrité physique de la personne ».

Elle a décidé que les éléments produits assez sérieux, notamment les certificats et rapports médicaux établis en toute indépendance par des praticiens, lui permettaient de conclure à l’existence d’un traitement inhumain et dégradant.

Par cette décision, qui, d’une part, instituait ainsi une véritable présomption de causalité entre garde à vue et survenance de traitements indignes et, d’autre part, opérait un renversement de la charge de la preuve au détriment de l’Etat défendeur, la Cour européenne a marqué sans ambiguïté sa défiance à l’encontre de cette période d’infra droit que constituait jusqu’alors la garde à vue.

Le nouveau code de procédure, reflet de désir de l’Etat ivoirien de respecter ses engagements internationaux inspirés de la jurisprudence Tomasi énonce sans ambiguïté que le médecin intervient pendant la garde à vue soit sur l’initiative du procureur de la République soit à la demande de la personne soumise à cette mesure soit, de droit, à la demande d’un membre de sa famille, par exemple de son conjoint ou concubin (article 76 alinéa 2 du code de procédure pénale).

Le médecin peut se voir requis d’office par l’officier de police judiciaire ou le procureur de la République à tout moment de la garde à vue lorsqu’ils l’estiment nécessaire.

La reconnaissance du droit à l’avocat et, dans une moindre mesure, de celui à l’avis à famille permet également d’introduire un regard extérieur sur l’état de la personne contrainte et sur les conditions matérielles d’exécution de la mesure. Ces droits ont été accompagnés d’un formalisme précis s’imposant à l’officier de police judiciaire.

3- L’assistance d’avocat

« L'absence d'avocat lors de la garde à vue viole le droit de tout accusé à être défendu par un avocat ». C'est par cette phrase que la Cour Européenne des Droits de l'Homme a motivé sa décision dans un arrêt Dayanan c/Turquie rendu le 13 octobre 2009.

Dans l'arrêt SALDUZ du 27 novembre 2008, la CEDH15 a estimé « qu'il est en principe porté une atteinte irrémédiable aux droits de la défense lorsque des déclarations incriminantes aux droits de la défense faites lors d'un interrogatoire de police subi sans assistance possible d'un avocat sont utilisées pour fonder une condamnation ».

Dans le cas d'espèce qui lui était soumis, elle a constaté que les seuls moyens de preuve opératoires ayant fondé la condamnation pénale de l'intéressé étaient ses propres déclarations recueillies au cours d'interrogatoire sans la présence d'un avocat.

En effet, l’assistance à un avocat est reconnue expressément par le code de procédure pénale ivoirien qui y consacre un chapitre intitulé : « Intervention des avocats au cours de l’enquête », comportant six articles. Sauf renonciation ou inexistence d’avocat dans des localités, le mis en cause peut se faire assister d’un parent ou d’un ami.

L'avocat contrôle ainsi dès son arrivée auprès de la personne gardée à vue que celle-ci a été informée par l'officier de police judiciaire, dans une langue qu'elle comprend ; du droit d'être examinée par un médecin (dont le rôle sera uniquement de déterminer si l'état de santé de la personne est compatible ou non avec une garde à vue dans des locaux de police).

L’avocat peut s'entretenir confidentiellement à son arrivée dans les locaux de police avec son client pendant quelques minutes, et assister à tous ses interrogatoires ou confrontations, consulter les procès-verbaux de son client, relever et faire mentionner toute irrégularité éventuelle qu’il estime de nature à préjudicier aux droits du client ; il a le droit de consulter dans les meilleurs délais et au plus tard avant l'éventuelle prolongation de la garde à vue le procès-verbal de notification du placement en garde à vue, le certificat médical établi par le médecin ainsi que les procès-verbaux d'audition ; du droit de présenter des observations au Procureur de la République ou le cas échéant, au juge d’instruction, lorsque ce magistrat se prononce sur l'éventuelle prolongation de la garde à vue, tendant à ce qu'il soit mis fin à cette mesure.

Il faut voir en cette dernière observation la raison d’être des nullités de la garde à vue : si le suspect ne peut bénéficier de la rudimentaire sphère protectrice qui lui est légalement reconnue, il convient alors de relever l’irrégularité en cause et de la sanctionner par la nullité, non seulement pour garantir le respect des droits de la personne, mais encore pour assurer une bonne administration de la justice. 

Les articles 94 et 95 du code de procédure pénale encadrent le régime de nullité des actes de police durant la période de la garde à vue.

Cependant, la pratique courante des détentions policières bien enracinée dans le système pénal ivoirien se présente comme un véritable défi à relever pour une reforme effective tant le système de fait renforce la continuité des abus en matière de garde à vue que l’absence de culture à recourir systématiquement à une assistance juridique.

III/ LA PRATIQUE POLICIÈRE COURANTE, VÉRITABLE DÉFI A LA BONNE APPLICATION DE CETTE REFORME

Ce défi à relever naît des pouvoirs propres de la police d’une part, d’autre part de la culture de l’impunité au regard du contexte socio-politique.

A/ Les marges d’autonomie du pouvoir de police judiciaire

Malgré ces dispositions de contrôle des conditions de rétention par l’autorité judiciaire, l’intervention de la gardienne des libertés apparaît, somme toute, relative. L’effectivité du contrôle s’en ressent, la protection des libertés en pâtit.

Deux causes empiriques peuvent être avancées. D’une part, le manque d’indépendance de ce magistrat du parquet ne permet de restituer du moins de représenter ce que l’autorité judiciaire véhicule de garantie. D’autre part, le manque de disponibilité du magistrat ne permet pas d’exercer un contrôle effectif, faute de se rendre sur les lieux de rétention.

Par conséquent, l’application du principe constitutionnel demeure purement hypothétique et verse dans l’onirisme en pensant que les agents habilités à le faire respecter sont dotés des attributs suffisants pour l’ancrer dans la réalité. La pratique ne le dément pas. Pour preuve, quelque soit le cadre juridique de la garde à vue, seul un OPJ est compétent pour prononcer cette mesure, le magistrat n’intervient donc qu’une fois la personne privée de sa liberté et au bout d’un délai maximal de quarante-huit heures, ce qui laisse l’intéressé pendant ce temps à la seule disposition de la force publique.

Les OPJ jouissent, de fait, d’un véritable pouvoir d’opportunité quel que soit le cadre juridique d’intervention. Comme l’a relevé un auteur : « Du code de procédure pénale, il résulte que les OPJ sont les véritables titulaires du pouvoir de décider une garde à vue, en appréciant eux-mêmes l’opportunité de cet acte, quel que soit le cadre juridique dans lequel l’enquête policière se déroule ». 

Dans le cadre de la garde à vue, la police judiciaire jouit des pouvoirs les plus étendus dans un domaine qui est, pourtant, des plus sensibles, la privation de liberté.

Ainsi, selon Hartini MATSOPOULOU, professeur de droit privé et de sciences criminelles à l’université Paris-sud les enquêtes de police, Thèse, LGDJ, 1996, n°749, p.618. - 52 – n’ont d’existence concrète que dans les textes et les agents de contrôle ne sont que les paravents judiciaires cachant à la Constitution la réalité des pratiques policières. Ce constat fait en France est aussi vrai en Côte d’Ivoire, pays ayant adopté par mimétisme les mêmes tares, voire dupliquer en pire.

Dans ce contexte, la police judiciaire se voit dotée d’une autonomie certaine dans l’exercice de son pouvoir de contrainte. Ce dernier trouve pleinement à s’exprimer au moyen de cette disposition. 

Le pouvoir de contrainte de la police judiciaire atteint son apogée dans ce pouvoir de rétention ; et ce, malgré l’existence de garanties essentielles (notification de la nature de l’infraction, objet de l’enquête, à aviser sans délai l’une des personnes désignées, à un examen médical, au silence, droit à l’alimentation, à un médecin pour les investigations corporelles, à l’entretien avec un avocat, à un délai raisonnable d’implication) accordées davantage au gardée à vue, aujourd’hui.


En effet, dans la pratique, il en va autrement : il est rare qu’un procureur prenne le contre-pied d’une recherche menée par les policiers. Le plus souvent, il adopte le point de vue du policier.

Agir autrement impliquerait de disposer d’un temps qu’il ne possède pas et, surtout, reviendrait à mettre en doute le travail des policiers, d’où une relative dépendance du parquet vis-à-vis de la police judiciaire qui est son « fournisseur ».

Même devant les tribunaux, pour les affaires ordinaires, la présomption d’innocence demeure parfois, pour le parquet, un concept vague et, lors des audiences, il arrive que le parquet se contente de réclamer l’application de la loi, peu sensible aux protestations d’innocence et aux arguments de la défense, le procureur étant fréquemment totalement convaincu par les constatations et le contenu des procès-verbaux de police qu’il ne contredit que rarement.

C’est pourquoi il est parfois suggéré, non sans raison, de s’inspirer du modèle anglo-saxon, qui met à égalité le parquet et la défense : celle-ci a le droit de contester les décisions du procureur, de mener sa propre enquête à décharge, de convoquer ses propres témoins et de récuser ceux du parquet, le tout devant un juge chargé de rendre son jugement en toute impartialité et liberté de conscience. Ainsi peut s’instaurer un équilibre par l’existence d’un contre-pouvoir à celui de la police judiciaire.

Le poids du parquet et les appréciations du procureur général au titre de la notation, ne pèsent pas très lourd sur la gestion administrative de ces fonctionnaires, alors que, pourtant, les officiers de police judiciaire relèvent exclusivement sur le plan opérationnel, si l’on se réfère aux dispositions du code de procédure pénale, de l’autorité des magistrats du parquet.

Aussi, la question des moyens de contrôle n’est donc pas négligeable même s’il faut regretter que, sans exercer un contrôle constant sur tous les actes de police judiciaire, les procureurs omettent trop souvent de procéder, au moins par sondage, à des contrôles aléatoires, par exemple en ce qui concerne les placements en garde à vue.

Une autre des pratiques propres de la police ivoirienne corroborant ce pouvoir d’opportunité est de se substituer à la justice pour procéder aux règlements d’affaires portées à leur connaissance par les requérants au sein des commissariats de police et gendarmeries.

En effet, il est régulier de constater que dans le cadre d’une affaire d’escroquerie ou abus de confiance ou souvent, dans le pire des cas d’une simple dette entre particuliers (le règlement d’une créance personnelle ne relève pas de la compétence de la police), la mesure de garde à vue est utilisée comme instrument pour contraindre le débiteur à se libérer de sa dette pour un bénéfice partagé entre le créancier satisfait et, de l’agent acteur de la résolution ; l’affaire n’étant jamais portée à la connaissance du procureur aussi longtemps que les parties y trouvent leur compte.

Ainsi, de facto, l’officier de police judiciaire s’arroge le pouvoir de transaction en violation des articles 13 à 18 du code de procédure pénale reconnaissant au parquet de tels attributs.

Autre pratique qui confirmerait la prépotence de la police est les interpellations accrues les week-ends qui donneraient une meilleure marge de manœuvre aux agents de police dans l’exercice de leur pouvoir coercitif ; le parquet vu le nombre réduit de ses membres ne peut assurer efficacement un service permanent 24/716.

Cette pratique a un double effet négatif sur la crédibilité du système judiciaire : d’une part, elle n’offre pas une meilleure traçabilité des plaintes ainsi que leur aboutissement ; d’autre part une confiance inexistence ou peu suffisante en la justice en raison de la lourdeur de ses mécanismes de fonctionnement plombant sa capacité à y mettre un terme.

Cette pratique se perpétuera aussi longtemps que le justiciable n’aura pas une culture de la justice que le politique ne favorisera par l’éducation, et ceci au grand bonheur des agents de police devenant de facto des régulateurs des conflits sociaux moyennant "espèce sonnante et trébuchante" ; au grand dam de l’autorité judiciaire curieusement perchée dans sa tour d’ivoire accrochée au rêve d’une justice idéelle.

Le principe de l’Habeas Corpus, instauré dès 1679 par les Anglais présente l’avantage de renforcer les libertés individuelles en posant des conditions précises au moment de l’interpellation par la police et en renforçant la protection juridique lors du jugement.

De pareilles mesures, en Côte d'Ivoire, serviraient de garde-fou, en précisant et en encadrant les pouvoirs du parquet et en renforçant les droits de la défense sans pour autant réduire les pouvoirs de la police judiciaire.

Cette situation d’abus des mesures de la garde à vue caractéristique d’une culture de l’impunité tirant en effet véritablement son origine de l’inculture judiciaire.

B/ L’inculture judiciaire doublée d’une culture de l’impunité favorisée par le contexte socio-politique

Cette méconnaissance des principes élémentaires de l'organisation judiciaire cache, ce qui paraît plus grave, une incompréhension et de son fonctionnement et de la philosophie qui guide la Justice. Nous parvenons ainsi aux dérives actuelles et exacerbées par le contexte socio politique où la violence étatique est délégitimée.

En l’état du statut du parquet, le lien avec le pouvoir exécutif ne permet pas de conférer à ses membres le statut d’indépendance permettant de garantir, dans tous les cas, une application de la loi identique pour tous. 

Dans ce contexte, le rattachement de la police judiciaire au ministre de la justice ne changerait rien. Comme le ministre de l’intérieur, le ministre de la justice est membre du gouvernement, ce qui conduirait, dans les situations de conflit d’intérêt entre l’application stricte de la loi et des intérêts politiques, à permettre des interventions tant sur les membres de la police judiciaire que du parquet.

En effet, saisissant l’examen périodique universel des Nations Unies 33eme session du groupe de travail charge de l’EPU en date de mai 201917 mettant, Amnesty International a mis en exergue la situation fragile des droits de l’homme en Côte D’ivoire en collectant des informations sur les cas de torture et d’autres mauvais traitements en Côte d'Ivoire (traitement inhumain lors de la garde à vue et au-delà), notamment à la Direction de la surveillance du territoire (DST), dans les postes de police et de gendarmerie ou lors de manifestations.

Aucune poursuite judiciaire n’a été engagée contre les responsables présumés d’actes de torture et d’autres mauvais traitements ou contre leurs supérieurs hiérarchiques. Les aveux obtenus sous la contrainte continuent d’être utilisés dans les procédures judiciaires. En voici quelques exemples édifiants retenus dans le présent cadre.

Premiers faits de vie : le 22 mars 2018, le blogueur et journaliste Daouda Coulibaly a été agressé par des policiers alors qu’il couvrait une manifestation de l’opposition à Abidjan. Il a été jeté à terre, battu avec des coups de matraque au genou et traîné sur le sol. 

Il s’est rendu au commissariat pour porter plainte, mais les policiers ont refusé de recevoir sa plainte. Il a déposé une autre plainte auprès du procureur le 23 mars, mais celui-ci s’est déclaré incompétent pour gérer son dossier. Daouda Coulibaly a fini par déposer une plainte auprès de la Cour de justice militaire le 28 mars 2018. Jusqu’à présent, personne n’a été tenu responsable pour les mauvais traitements dont il a été victime.

Deuxième fait de vie ; Plusieurs étudiants qui ont été arrêtés lors des manifestations du 22 mars 2018 ont signalé avoir été soumis à des actes de torture et à d’autres mauvais traitements.

Koffi a été arrêté par des hommes armés en civil ; l’un d’entre eux l’a plaqué au sol en le tenant par le cou tandis qu’un autre a braqué une arme sur sa tête. 

Il a été conduit avec trois autres étudiants au camp militaire d’Anyama où ils ont été interrogés par des militaires sur leur participation à la manifestation et où ils ont été battus. Un des soldats les avait accusés de fomenter un coup d’État et avait menacé de les tuer s’ils ne fournissaient pas d’informations sur leur projet. Après plusieurs heures d’interrogatoire, ils ont été transférés à la Direction de la surveillance du territoire (DST). 

Ils ont été placés en détention dans un petit bureau sans toilettes. Une des armoires de classement était remplie d’excréments humains et ils ont dû uriner dans une bouteille de plastique. 

Ils ont été battus à de nombreuses reprises, et notamment lors des interrogatoires ou lorsqu’un téléphone a été trouvé dans leur cellule. Ils n’ont pas pu recevoir des soins médicaux bien que leurs familles aient pu leur apporter des médicaments. Les agents de la DST les ont accusés d’avoir apporté des armes à la manifestation, ce qu’ils ont nié. Un des étudiants a été menacé avec une arme afin qu’il signe sa déposition à la police.

Le 28 mars, ils ont comparu devant un juge d’instruction qui les a inculpés « d’attaques contre l’autorité de l’État et contre l’intégrité territoriale nationale » et ont été transférés à la Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan (MACA). Ils n’ont pas pu s'entretenir avec un avocat. Ils ont été libérés sous caution le 2 juillet 2018.

En voici les références documentaires Le CNP, décision n°078 du 1er décembre 2016, CNP, décision n°079 du 1er décembre 2016, CNP, décision n°00 du 4 janvier 2017 ; Plainte n° 18/16/D/PR-AP/TPI enregistrée le 23 mars 59 ; Plainte n° 138/18 du 28 mars 2018.

Autres exemples aussi édifiants sont les cas Antoinette Meho et David Samba.

Antoinette Meho, membre de l’organisation de la société civile Solidarité Wê, a été arrêtée à son domicile à Abidjan le 10 août 2016 par des hommes armés en civil. Un des hommes a frappé son mari au visage lorsqu’il a demandé s’ils avaient un mandat. Elle a été battue et ses vêtements ont été arrachés pendant qu’ils l’emmenaient de force à leur véhicule. Elle a été conduite à la DST où elle a été accusée d’avoir attaqué le domicile du chef d’État-major à Séguéla, dans le nord-ouest du pays, fondé sur le témoignage d’un autre détenu. 

Elle a été interrogée sur son affiliation politique et on lui a ordonné de faire des aveux et de fournir les noms de ses complices. À maintes reprises, la DST a menacé d’arrêter ses enfants et de les placer en détention à la DST. Elle pouvait entendre d’autres personnes qui hurlaient de douleur dans les cellules voisines et a fini par signer la déposition que la DST avait préparée sans la lire. 

Elle a été présentée au procureur le 16 août 2016 et inculpée « d’atteinte à la sécurité de l’État ; d’attentat ou complot contre l’autorité de l’État ; de constitution de bandes armées ; de participation à une bande armée ; d’assassinat ; d’association de malfaiteurs ; d’atteinte à l’ordre public et de complicité à tous ces crimes ». 

Il n’a pas pu s'entretenir avec un avocat. Elle a été transférée à la MACA (Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan) où elle a pu recevoir des visites de sa famille et de son avocat. En octobre 2016, son mari a été victime d’un accident vasculaire cérébral. Elle a demandé une mise en liberté sous caution pour pouvoir s’occuper de lui. Celle-ci lui a d’abord été refusée avant d’être finalement acceptée le 4 mai 2017.

David Samba, président de la Coalition des indignés de Côte d’Ivoire, a été arrêté à son domicile à Abidjan par des hommes armés en uniforme le 13 septembre 2015. Ce mouvement de la société civile avait organisé des manifestations pour dénoncer la hausse du coût de la vie et la détention de militants politiques. 

Son domicile a été saccagé et il a été tabassé à coup de crosse, y compris sur ses parties génitales. Il a été conduit à la police où il a été détenu au secret sans aucun contact avec l’extérieur et sans possibilité de recevoir des soins médicaux. Il a été présenté devant le procureur le 17 septembre 2015 et inculpé de « trouble à l’ordre public, discrédit sur une décision de justice, provocation d’un attroupement non armé et complicité de destruction volontaire d’objets ». 

Il a ensuite été conduit à la DST où il a été détenu sans qu’il ne puisse contacter son avocat ou sa famille jusqu’à l’audience du procès le 30 septembre 2015. Il a été condamné à une peine de six mois d’emprisonnement le 2 octobre 2015. 

Puis, il a été conduit à partir du tribunal aux locaux de la DST où il est resté jusqu’au 16 décembre 2015, pour ensuite être transféré à la MACA pour purger le reste de sa peine. Alors qu’il était en prison, il a été inculpé de nouvelles infractions, au motif « d’atteinte à l’autorité de l’État, de meurtre et de complicité dans ces crimes », en lien avec une tentative de soulèvement à Dabou en 2015, et pour lesquelles il a été mis en détention provisoire. 

En mars 2018, il a été transféré à la prison de Korhogo, située à 567 km au nord d’Abidjan et donc loin de sa famille et de ses avocats. Le 12 juillet 2018, il a été transféré à l’hôpital d’Abidjan en raison d’une insuffisance cardiaque. Il a été libéré sous caution le 25 juillet 2018.

Tous ces exemples montrent à profusion que l’application effective des reformes sur la garde à vue ne serait possible qu’avec une politique étatique volontariste de respect des droits de l’homme.

Dans les domaines qualifiés de sensibles, en ce qu’ils touchent à des intérêts proches des détenteurs du pouvoir, la meilleure manière d’étouffer une affaire est de s’abstenir de toute investigation sur des faits susceptibles de constituer une infraction.

Si les magistrats du parquet font preuve, dans leur grande majorité, de rigueur et d’indépendance, il demeure que leur carrière est actuellement entre les mains du pouvoir exécutif et que certains, sans même recevoir d’instructions écrites ou verbales, peuvent être attentifs à ce qui va dans le sens des souhaits du pouvoir en place dans l’espoir de s’assurer une reconnaissance promotionnelle.

La première mesure devrait consister à donner aux magistrats du parquet des garanties leur assurant une totale indépendance pour appliquer la loi et donc, pour veiller à son respect par les officiers de police judiciaire, y compris lorsque ceux-ci font l’objet de pressions directes ou indirectes de leur hiérarchie.

À défaut, la peur de l’autorité policière en raison de la pratique de l’arbitraire lors du placement en garde à vue notamment se renforcera et conduira souvent à des actes de défiance vis-à-vis de l’autorité étatique. 

Cette dénonciation de l’avocat français Patrick Klugman continuerait malheureusement d’être un vécu en Côte d’Ivoire « Tout citoyen vit sans le savoir avec la menace de se retrouver sans aucune raison dans une cellule, fouillé à nu, menotté, interrogé sans ménagement avant d'être éventuellement remis en liberté le lendemain sans d'avantage d'explications ou d'excuses.»

Quel que soit l’axe retenu, une question doit être posée : les officiers de police judiciaire doivent-ils continuer à interroger les personnes gardées à vue ?

C’est bien ici que s’achève cet article enrichissant abordant le sujet des aspects pratique de la nouvelle réforme sur la garde à vue.

Vos différentes observations à travers des commentaires nous seront plus que bénéfiques pour l’amélioration de cette humble contribution scientifique, qui nous le savons, recèle de nombreuses imperfections.

Cet article de doctrine portant sur la garde à vue dans le système pénal ivoirien vous est proposé par AGOU N’Guessan Ramorit, Juriste fondateur du Groupe IS ‘’Invictus Sempere’’.

Il est également rédacteur sur ivoire-juriste.com. 

Lisez également ces articles de M. AGOU :


Les juridictions en Côte d'Ivoire, compétences territoriales et d'attributions : le Guide détaillé (2019).

Auteurs du blog

Aucun commentaire