Votre contenu généré par IA vous appartient-il vraiment ? La réponse est plus complexe que vous ne le pensez ! Décryptage du droit d'auteur dans cet article de doctrine.
Droit d'auteur et IA : Comment protéger vos créations en Côte d'Ivoire ?
Aujourd'hui, l’IA est une réalité omniprésente dans notre société. Elle est utilisée dans presque tous les secteurs tels que le secteur industriel, agricole et surtout dans le domaine littéraire et artistique. En effet, les élèves, les étudiants et certains salariés l'utilisent ou s’en inspirent de plus en plus pour rédiger des exercices de classe (dissertations, commentaires, mémoires, thèses etc).
Par ailleurs, d'autres l’utilisent pour écrire des livres (roman, poème, etc), d’aucuns pour générer des images et des vidéos.
Si l’usage de l’IA dans les secteurs industriels et agricoles ne pose pas de problème en tant que tel, son usage pour la création littéraire et artistique pose un véritable problème sur le plan juridique quant à la paternité des contenus générés par l’IA et à leur responsabilité.
En effet, contrairement au système du copyright notamment celui de l’Angleterre où l’auteur d’un contenu généré par une machine est celui qui a pris les dispositions nécessaires pour obtenir le contenu, les autres législateurs du monde n’ont pas encore déterminé une telle règle de droit.
Ainsi, les juges dans le monde entier font face à cette question tant plusieurs affaires existent en la matière.
Dans certaines affaires, les juges sont amenés à se prononcer sur l’auteur responsable des contenus générés par l’IA. Sur cette question, le juge américain devait se prononcer sur l’auteur de la responsabilité d’un contenu généré par l’IA dans une affaire. Il s’agit d’un animateur de radio géorgien appelé Mark Walter, qui a intenté une action en justice contre ChatGPT pour diffamation.
L’IA a injustement déclaré que Mark était impliqué dans une affaire juridique impliquant un procureur général et la Fondation du deuxième amendement. Selon l’avocat de Mark, ce dernier n’avait rien à voir avec la Fondation ou l'affaire.
L'enjeu juridique de cette affaire serait de savoir si les contenus automatiques générés par IA donnent la qualité d’auteur à l’IA.
D’autres affaires portent sur la paternité des contenus généré par l’IA. À titre d’illustration, prenons le cas d'une personne A qui soumet à une IA l’instruction suivante : « rédige un poème sur le caractère éphémère de l’amour ». Au même moment ou après quelque temps une autre personne B lui donne la même instruction.
Dans l’hypothèse où les contenus sont similaires, qui des deux (A et B) sera considéré comme l’auteur du poème ? Celui-ci pourra-t-il accuser l’autre de plagiat ?
L’office du droit d’auteur des États-Unis (L’USCO) s’est une fois prononcé sur cette question dans l’affaire “Zarya of the Dawn”[1]. Cette affaire portait sur un roman graphique combinant un texte rédigé par un être humain avec des images générées par le service d’IA Midjourney. L’USCO n’a alors accordé qu’un droit d’auteur limité au roman, considérant que l’œuvre était effectivement protégeable, mais pas les images prises individuellement.
Notre législation attribue la paternité d’une création littéraire et artistique sur le critère d’originalité de l’œuvre. Or, a priori, les contenus générés par l’IA ne présentent pas d’originalité du fait qu’ils (les contenus) n’ont pas la marque d’empreintes de l’utilisateur.
Cette situation est difficile à résoudre car le critère d’originalité qui conditionne l’octroi de la paternité d’une œuvre est incertain. De ce fait, la question suivante mérite d'être soulevée : l’IA échappe-t-elle complètement à la législation actuelle ?
Beaucoup répondent à cette question par l’affirmative. Sans contester le bien-fondé de leur réponse, je crois que l’IA, même si elle est récente, est, mordicus, une réalité qui se rapproche d’une réalité juridique. Il faut donc d’abord chercher à partir de la méthode comparative et du syllogisme juridique dans quelle mesure la loi existante est-elle applicable à la question de la paternité d’une œuvre littéraire et artistique.
Pour répondre à cette problématique, une analyse rigoureuse s’impose. C’est pour cela que nous démontrerons dans la présente étude que les contenus générés par l’IA sont soumis à des régimes juridiques existants (II). Une telle démonstration n’est possible que par une compréhension approfondie des notions clés du sujet (I)
Afin de poser les bases de notre démonstration, il est indispensable de commencer par définir précisément les notions centrales de “auteur” et de “contenu généré par l’IA”.
I- DÉFINITION DES NOTIONS
Pour trancher la question relative à l'auteur d'un contenu généré par l’IA, une compréhension approfondie de la notion d'Auteur (A) et de “contenu généré par l’IA” (B) est nécessaire.
A) LA NOTION D’AUTEUR EN DROIT IVOIRIEN
Bien que le mot “auteur” soit familier en droit, la loi n’a pas proposé une définition générale à celle-ci. En l’absence d’une définition légale, la doctrine a proposé une définition générale à cette notion. Ainsi, on le définit généralement comme une personne physique (1) qui a créé une œuvre de l’esprit (2)
1) L’auteur, une personne physique
L'auteur d’une œuvre doit nécessairement être une personne physique. Une personne physique est un individu, un particulier. Elle est différente de la personne morale qui, quant à elle, désigne un groupement de personnes ayant un intérêt en commun.
Cette exigence exclut la possibilité de considérer actuellement l’IA elle-même comme auteur d’une œuvre. Les législateurs du monde ne reconnaissent pas encore une personnalité juridique aux créations électroniques.
Bien que tentant, l’introduction d’une “personne électronique” serait contraire aux règles du droit commun. Car, la personnalité juridique est composée de la capacité et du patrimoine. Pourtant, l’IA actuellement ne dispose pas de la capacité juridique.
Par exemple, elle ne peut pas elle-même exercer une action en justice pour l’instant. Mais, cette affirmation est à relativiser car à la longue, elle pourrait à travers les contactes des avocats disponibles en ligne contacter les avocats afin qu’ils intentent une action en leurs noms. Même si on considère dans ce cas que les IAs ont une capacité, ils n’ont pas de patrimoine propre. Ce sont les sociétés qui les ont créées qui bénéficient des droits patrimoniaux engendrés par les IAs.
Néanmoins plusieurs personnes peuvent avoir la qualité d’auteur dans les œuvres collectives, de collaboration
2) L’auteur, créateur d’une œuvre de l’esprit
L’article L111-1 du Code de la propriété intellectuelle français mentionne la notion d'œuvre de l’esprit sans la définir.
En l’absence d’une définition légale, une recherche d’une définition doctrinale se pose. L'œuvre est définie comme une création de forme. Peut-on dire que les contenus générés par l’IA constituent des créations de forme?
Cette question peut-être répondue par l’affirmative. Car La création de forme ne présuppose pas que la main de l'homme ait tenu un pinceau ou une plume. Dès lors que l'utilisateur opère des choix expressifs, esthétiques et structurants via ses instructions, il donne une forme à une idée. Le travail intellectuel réside alors dans la conception, la direction et le raffinement de la requête, qui est le blueprint de l'œuvre finale. L'IA n'est, dans ce schéma, qu'un outil sophistiqué, un prolongement de la volonté créatrice de l'utilisateur.
Quant au mot esprit, Nafti dans sa thèse définit l’auteur comme celui qui a fourni “un travail intellectuel[2] “. Le terme esprit peut donc être défini comme le travail intellectuel fourni par un auteur.
Le travail intellectuel passe par deux phases:
Primo, la phase d'idéation. C’est une fait d’avoir simplement une idée sans la création dans une forme déterminée. Par exemple, une personne a eu l’idée de créer un roman sur les dangers du numérique. S’il ne l’a pas écrit (dans un cahier, une planche etc), cela restera une simple idée sans protection par les droits d’auteur.
Deuxio, la mise en forme de l’idée. C'est la création de l’idée.
Force est de préciser que c’est la mise en forme de l'idée qui est considérée comme étant le travail intellectuel. Par conséquent, une idée non exprimée dans une forme littéraire ou artistique ne peut être considérée comme une œuvre.
L'œuvre doit être originale c'est-à-dire elle doit porter la marque d’empreinte de celui qui l’a créé. Plus simplement, elle doit venir du créateur. On doit sentir que c’est lui qui a dirigé et façonné tout le processus de création.
Cette notion de “travail intellectuel” et de “mise en forme” est fondamentale pour évaluer la contribution d’un utilisateur d’IA. Il convient donc de l’appliquer directement à l’instruction donnée à l’IA.
L’instruction adressée à une IA peut-elle être d'œuvre d’esprit, ou est-ce une simple idée ?
Il existe deux types d’instruction adressée à l’IA: L’instruction brute (a), et l’instruction améliorée (b)
a) l'instruction brute adressée à l’IA
C’est l’ordre qu’on donne à une IA d'exécuter une tâche sans que l’instruction n’apporte quelques éléments de réponse dans la réponse qui sera donnée par l’IA. Par exemple: “ChatGPT, rédige une demande d’emploi pour un poste d’enseignant “. Dans cette instruction, on peut remarquer que celui qui donne l’instruction ne propose pas lui-même un exemple de lettre. Il donne simplement une instruction, et attend une réponse. L'absence d’effort intellectuel fourni par l’auteur dans ce cas rend impossible la qualification de travail intellectuel.
Donc, on ne peut qualifier l’instruction brute d'œuvre de l’esprit. Elle est assimilable à une simple idée.
Pour être qualifiée d'œuvre de l’esprit, la contribution de l’instructeur à la réponse est obligatoire.
b) l’instruction améliorée adressée à l’IA
Dans cette catégorie d’instruction, l’instructeur crée lui-même une réponse, et demande à l’IA de soit améliorer sa réponse, soit de donner son avis afin qu’il l'améliore. L’instruction améliorée peut être considérée comme une œuvre d’esprit dans la mesure où elle contient un travail intellectuel.
Après avoir défini le rôle de l’utilisateur (auteur potentiel), il est tout aussi crucial de caractériser l’objet de la création : le contenu généré par l’IA.
B) LA NOTION DE CONTENU GÉNÉRÉ PAR L’IA
Le contenu généré par l’IA est la réponse proposée par l’IA suite à l'instruction qui lui a été soumise. À titre d’exemple, j’ai demandé à une IA de rédiger une demande d’emploi. Elle me propose une réponse. C’est cette dernière qu’on appelle contenu généré par l’IA.
Il existe plusieurs types de contenu généré par l’IA.
La réponse générée par l’IA peut être brute (1) ou modifiée (2).
1) LES CONTENUS BRUTS GÉNÉRÉS PAR L’IA
Le contenu brut généré par l’IA est une réponse de l’IA à une instruction dépourvue de la contribution de l’instructeur. On peut simplement dire que c’est une réponse à une instruction brute.
L’utilisateur peut laisser la réponse intacte sans modification : je désigne ce genre de contenu de “contenu brut absolu”(a). Le contenu brut peut être guidée (b)
a- le contenu brut absolu
C’est un contenu brut qui n’a pas été modifié par l’utilisateur de l’IA. Il utilise tel que l’IA lui a donné.
b- contenu brut guidé
C’est un contenu brut obtenu grâce à plusieurs instructions successives. L’utilisateur donne des instructions précises pour obtenir son résultat final.
2- LES CONTENUS BRUTS MODIFIÉS
L’utilisateur peut avant de publier ou d’utiliser le contenu le modifier. La modification peut être légère (a) ou profonde (b)
a- contenu brut légèrement modifié
Changer un mot ou deux, corriger quelques fautes sont insuffisants pour bénéficier d’une protection par les droits d’auteur.
De là, faut-il fixer un minimum de mot pour déterminer si le contenu est légèrement modifié ? Par exemple, faut-il dire qu’un contenu légèrement modifié est un contenu dont les modifications apportées par l’utilisateur sont inférieures à 100?
À cette question deux solutions s’offrent à nous:
D’abord, on peut chercher une solution objective en fixant un seuil ou un pourcentage. Pour un contenu littéraire (texte, roman, poème etc), cela est possible parce qu’on peut facilement compter et donc mesurer la modification d’un texte. Mais, cela reste difficile à mettre en œuvre pour les contenus artistiques en raison du fait que l’appréciation du degré de modification d’une œuvre artistique reste difficile pour un profane.
C’est pour cette raison que la méthode subjective semble plus adéquate. Elle consiste à laisser la question à l’appréciation souveraine du juge. Si le juge trouve que le contenu est légèrement modifié, ce contenu sera soumis au même régime juridique que celui des instructions brutes et des contenus bruts.
b-contenu brut profondément modifié
Précédemment, on a affirmé que l’appréciation du juge était la solution adéquate pour déterminer l’étendue d’une modification. C’est-à-dire que c’est au juge qu’il revient de dire si une modification est profonde ou légère.
Partant de là, une définition objective des contenus profondément modifiés est difficile. C’est pourquoi nous proposons, dans cette présente étude, des critères qui peuvent aider le juge dans cette tâche. Pour déterminer si un contenu est profondément modifié le juge analyser les points suivants:
- Démarche de l’utilisateur : dans cette partie, il doit chercher à analyser si l’utilisateur de l’IA a modifié la démarche. Et est-ce que la démarche est originale?
- À t il changé beaucoup d’éléments (les mots par exemple) dans le contenu généré ?
Ces différents points peuvent aider le juge à qualifier l'étendue de la modification. Cependant, force est de préciser qu’il ne s’agit pas de critères objectifs. Par exemple, un utilisateur peut changer beaucoup de mots dans un texte sans que ce texte ne soit une originalité. Donc, cela dépendra de l’appréciation du juge.
Maintenant que les notions clés sont définies et typologisées, nous pouvons appliquer le cadre juridique existant à ces différentes catégories de contenu.
II- LES DIFFÉRENTS RÉGIMES JURIDIQUES APPLICABLES AUX CONTENUS GÉNÉRÉ PAR L’IA
Comme mentionné plus haut, une œuvre peut être protégé lorsqu'elle présente une originalité.
Les contenus générés par l’IA, pouvant être des œuvres, peuvent bénéficier d’une protection s’ils sont originaux.
Afin d’y voir plus clair, il est pertinent de classer ces contenus en trois (03) catégories selon leur degré de protection. Certains contenus générés par l’IA bénéficient indéniablement d’une protection (A). D’autres, indéniablement ne bénéficient pas de protection (B). Enfin d’autres sont susceptibles de protection (C)
A) LES CONTENUS BÉNÉFICIANT INDÉNIABLEMENT D’UNE PROTECTION PAR LES DROITS D’AUTEUR
Il convient dans un premier temps d’identifier ces contenus (1) avant de déterminer leur régime juridique (2)
1) Les types de contenu bénéficiant d'une protection par les Droits d’auteur
il s’agit des instructions améliorées d’une part, et d’autre part des contenus bruts profondément modifiés
Les instructions améliorées ont la marque d’empreinte de l’instructeur, car elles expriment sa pensée à travers une démarche qu’il a lui-même choisie. Si celui qui donne l’instruction n’a pas plagié, cette instruction est originale, et peut donc faire l’objet d’une protection par les droits d’auteur.
Quant aux contenus bruts profondément modifiés, leurs utilisateurs, ayant modifié profondément le prompt proposé par l’IA, bénéficient d’une protection car le prompt est considéré dans ce cas comme un outil aidant l’auteur à réaliser son œuvre. En droit, le principe “l'accessoire suit le principal”. Peut être utilisé pour justifier cette idée. En effet, on peut considérer l'œuvre finale comme le principal et le prompt de l’IA comme l'accessoire aidant l’auteur.
2) Le régime juridique applicable à ces contenus
Quand on dit que ces contenus bénéficient d’une protection par les droits d’auteur, cela revient à soutenir que ces contenus procurent les droits patrimoniaux et moraux dont bénéficient tout créateur d’une œuvre de l’esprit à un auteur.
Ainsi, si un utilisateur d’IA modifie profondément un contenu généré par l’IA, il sera considéré comme auteur de ce contenu. Il peut donc l’exploiter, et bénéficier du droit de reproduction, de représentation et de paternité.
En outre, la protection dont jouit l’utilisateur de ces contenus implique que celui
B) LES CONTENUS INDÉNIABLEMENT EXCLUS DE LA PROTECTION
L’énumération de ces contenus (1) sera suivie de la détermination de leur régime juridique (2)
1) Les types de contenu généré par l’IA ne bénéficiant pas d’une protection par les droits d’auteur
Deux contenus ne bénéficient pas d’une protection par les droits d’auteur: il s’agit, primo, des contenus et instructions absolument bruts et secondement les contenus bruts légèrement modifiés
En l’état actuel du droit ivoirien, ces contenus ne peuvent pas bénéficier d’une protection. Cela signifie qu'une personne ne peut réclamer la paternité, le droit de reproduction ou de représentation d’une instruction brute, d’un contenu brut absolu ou d’un contenu brut légèrement modifié.
La raison de l’exclusion de ces contenus est l’absence d’originalité dans ces contenus.
Par conséquent, le problème de la nature juridique des contenus bruts se pose. Si ces contenus ne bénéficient pas de protection juridique, dans quelle catégorie juridique les ranger?
2) Le régime juridique des contenus ne bénéficiant pas de la protection par les droits d’auteur
Pour déterminer le régime juridique applicable aux contenus exclus de la protection des droits d’auteur, il faut tout d’abord déterminer une catégorie juridique à laquelle on peut les rattacher (a). Puis, déterminer le responsable de ces contenus illicites qui seront générés (b)
a) La catégorie juridique à laquelle appartiennent les contenus ne bénéficiant pas de protection juridique
Deux possibilités se présentent :
Primo, on peut considérer ces contenus comme appartenant à la société qui a entraîné l’IA. Cependant, cela
Deuxièmement, on peut considérer ces contenus comme un bien public, appartenant à tout le monde. Ainsi, un contenu brut généré par l’IA ne procurera pas de protection à l’utilisateur de l’IA.
Cette deuxième possibilité est beaucoup plus intéressante car elle permet de fixer aisément la question de la responsabilité. Si les contenus bruts sont des biens publics, la détermination du responsable dépendra du critère du donneur d’ordre.
b) Le responsable des contenus illicites ne bénéficiant pas d’une protection par les droits d’auteur
L’utilisateur de l’IA ne peut réclamer la paternité de ces contenus. Donc, qui est le responsable des contenus illicites (qui causent des dommages à un tiers) exclus de la protection?
La détermination dépendra de l’ordre donné à l’IA.
Si dans l'instruction, l’utilisateur précise ou ordonne une tâche illicite à l’IA, alors le responsable ne peut être que lui (L’utilisateur). Une telle mesure peut être justifiée par le fait qu’en droit pénal l’intention est un élément déterminant pour situer la responsabilité pénale. Ainsi, le responsable pénal est celui qui a donné l'ordre à l’IA de faire une tâche illicite. À titre d’illustration, une personne demande à une IA de créer une image raciste.
Si l’IA crée une telle image, le responsable en cas de poursuite est indéniablement celui qui a donné l’ordre à l’IA de créer cette image, car il est celui qui a l’intention de créer cette image. Il faut préciser que dans la pratique, les IA refusent de générer des contenus illicites. C’est la raison pour laquelle on ne peut pas imputer la responsabilité à la société qui a entraîné l’IA.
Cette dernière est de bonne foi, car lors de l’entraînement de l’IA, elle interdit à l’IA de générer des contenus illicites. D’ailleurs, lorsque certains mots incongrus figurent dans l’instruction, des avertissements apparaissent. Ce sont les utilisateurs qui trouvent des méthodes pour contourner cela. Par exemple, l’utilisateur ne dira pas directement à l’IA de créer une image raciste.
Il demandera à l’IA de créer une personne de couleur avec un visage de singe. Quoi qu'il en soit, le fait d’utiliser ce genre de procédé montre bien l’intention raciste (illicite) de l’utilisateur.
En revanche, si le contenu illicite généré par l’IA est une information donné par l’IA (l’utilisateur n’a pas demandé à l’IA d'exécuter la tâche illicite), il y aura deux responsables: Le premier responsable potentiel est la société qui a développé et entraîné l'IA. Sa responsabilité pourrait être engagée car c'est elle qui, in fine, a fourni une information inexacte via son système.
Prenons un exemple : un utilisateur demande simplement à l'IA des informations biographiques sur une personnalité publique. En réponse, l'IA génère de manière erronée une affirmation grave, par exemple que cette personnalité a été accusée de viol. Ici, l'utilisateur n'a pas demandé à générer un contenu spécifiquement diffamatoire ; il a posé une question neutre.
Dans un tel cas, la société créatrice pourrait être poursuivie pour diffamation. Le fondement juridique ne serait pas la loi sur la presse (qui vise l'auteur du contenu), mais le régime plus large de la responsabilité civile du fait des choses.
On peut considérer que le système d'IA est une "chose" que la société a sous sa garde, qu'elle a créée et dont elle tire des bénéfices. Selon un principe juridique fondamental, souvent résumé par l'adage "qui a les avantages a les charges", celui qui profite d'une chose doit aussi en assumer les risques et les préjudices qu'elle pourrait causer.
Ainsi, même de bonne foi, la société qui commercialise une IA dont les réponses peuvent causer des dommages imprévisibles pourrait voir sa responsabilité engagée. Elle est la mieux placée pour contrôler, corriger et assumer les défauts de son "produit".
Le deuxième responsable potentiel est l’utilisateur de l’IA. Sa responsabilité peut être engagée non pas pour avoir créé le contenu illicite (puisqu'il n'en est pas l'auteur au sens du droit d'auteur), mais pour l’avoir diffusé ou publié, participant ainsi à la causation du dommage.
Si la diffusion intervient dans un cadre relevant de la presse (un article de blog d'actualité, un site d'information), le texte spécial de l'article 97 de la loi n°61-200 du 2 juin 1961 portant statut de l’Agence Ivoirienne de Presse pourrait trouver à s’appliquer. Celui-ci sanctionne en effet la publication par voie de presse de nouvelles fausses.
Cependant, l'hypothèse la plus probable concerne la diffusion en dehors du cadre professionnel de la presse (e.g., sur les réseaux sociaux, dans un email, dans un rapport interne). Dans ce cas, le texte spécial de 1961 est inopérant. Il faut alors se tourner vers le droit commun de la responsabilité civile délictuelle.
Le fondement principal est l'article 1240 (ancien 1382) du Code civil ivoirien, qui dispose que « Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. »
Pour engager la responsabilité de l'utilisateur, il faudra démontrer cumulativement devant le juge :
1. Une faute : Le fait de partager une information sans en vérifier la véracité alors qu'un individu diligent aurait dû le faire, surtout s'agissant d'une information diffamatoire ou préjudiciable. On parle parfois de négligence fautive.
2. Un dommage : Le préjudice subi par la victime (atteinte à sa réputation, perte d'opportunité, etc.).
3. Un lien de causalité : La démonstration que c'est bien la diffusion de l'information par l'utilisateur qui est à l'origine directe du dommage.
Ainsi, bien que le régime de la presse ne s'applique pas, l'utilisateur imprudent n'agit pas en toute impunité. Son comportement peut constituer une faute au sens du droit commun, engageant sa responsabilité personnelle pour réparer le préjudice causé.
C) LES CONTENUS SUSCEPTIBLES D’ÊTRE MODIFIÉS : LES CONTENUS GUIDÉS GÉNÉRÉ PAR L’IA
Dans ce genre de contenu, l'utilisateur ne se contente pas de donner un ordre simple. Il engage un dialogue créatif avec l'IA en lui donnant une série d'instructions détaillées et successives pour peaufiner le résultat.
Exemple concret :
1ère instruction : "Génère une image d'un salon moderne."
Réponse de l'IA : Elle propose un salon avec un canapé blanc et des murs beiges.
2ème instruction (de l'utilisateur) : "Change la couleur du canapé en bleu marine." Nouveau résultat :Le salon a maintenant un canapé bleu.
3ème instruction : "Ajoute une grande plante verte dans le coin et change l'éclairage pour une ambiance plus chaleureuse."
Résultat final : Un salon moderne avec un canapé bleu, une plante et une lumière tamisée.
Ici, le résultat final est le fruit d'une démarche créative : l'utilisateur a fait des choix esthétiques précis (couleurs, ambiance, éléments de décor).
Qui est l'auteur ? La réponse n'est pas automatique.
C'est un juge qui devra trancher en examinant le processus. Il devra déterminer :
1. L'ampleur de la direction artistique: Est-ce que l'utilisateur a vraiment piloté la création avec des choix personnels, ou a-t-il juste demandé des modifications basiques ?
2. Le degré d'originalité : Est-ce que la combinaison des instructions reflète la personnalité et la sensibilité créative de l'utilisateur ? Se démarque-t-elle de ce que n'importe qui aurait pu demander ?
Si le juge estime que les instructions étaient standard et sans réelle créativité L'œuvre n'est pas protégeable.
Cependant, s’il estime que l'utilisateur a apporté une vision artistique unique grâce à ses instructions, il peut être reconnu comme l'auteur et l'œuvre sera protégée.
CONCLUSION
Au terme de cette étude, la classification des contenus générés par l’IA que nous avons proposée a permis de trouver un régime applicable à ces contenus en utilisant le cadre juridique existant.
D’une part, elle a permis d’intégrer certains contenus générés par l’IA (les instructions améliorées et les contenus bruts profondément modifiés) dans les mécanismes de protection de la propriété littéraire et artistique. D'autre part, elle a permis de trouver un régime juridique adapté au contenu qui ne sont pas protégés par les droits d’auteur en les qualifiant de biens communs et en définissant des règles de responsabilité.
Par conséquent, le but de cette étude qui était de démontrer que les contenus générés par l’IA pouvaient être encadrés par le droit actuel est donc atteint.
Cependant, cette étude n’exclut pas une intervention du législateur. En effet, l'analyse montre une adaptation possible du droit, mais elle révèle aussi ses zones d’incertitude notamment pour les contenus guidés, laissant une large part à l’appréciation au juge. Selon sa volonté, le législateur peut intervenir pour clarifier et sécuriser le cadre juridique:
Si sa volonté est de trouver des solutions alignées avec les principes fondamentaux de la législation actuelle, il pourra s’inspirer de la grille d’analyse présentée dans cette études pour élaborer un texte législatif précis.
Toutefois, il peut vouloir aussi donner une nouvelle direction au droit de la propriété intellectuelle. Dans ce cas, il peut intervenir sur plusieurs questions fondamentales, notamment celle de la personnalité électronique à l’IA ou celle du choix de s’aligner sur la logique des pays du copyright comme le Royaume-Uni, qui attribue la paternité à la personne ayant pris les dispositions nécessaires à la création de l’œuvre.
Ainsi, le droit se trouve à un carrefour : s’adapter avec les outils conceptuels dont il dispose ou se réinventer face à une nouvelle réalité technologique.
C’est ici que prend fin cet article de doctrine sur le Droit d'auteur et l’intelligence artificielle du juriste Soro Zié Yacouba. Il est auteur et contributeur sur ivoire-juriste.com.
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