Article de doctrine : Que retenir de l'évolution de la détention préventive en droit ivoirien de 1960 à nos jours - Ivoire-Juriste
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Article de doctrine : Que retenir de l'évolution de la détention préventive en droit ivoirien de 1960 à nos jours

Franck-Willy Franck-Willy
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Article de doctrine : Que retenir de l'évolution de la détention préventive en droit ivoirien de 1960 à nos jours
Article de doctrine : Que retenir de l'évolution de la détention préventive en droit ivoirien de 1960 à nos jours

Cet article de doctrine traitant de l’évolution de la pratique de la détention préventive en Côte d’Ivoire, est de M. Essehi EBA FRANCOIS, Magistrat, Juge au Tribunal de Première Instance d’Abidjan.


Les principales abréviations :


Al. : Alinéa

Ancien CPP : Ancien Code de Procédure Pénale

Art. : Article

Arts. : Articles

CP : Code pénal

CNDHCI : Commission Nationale des Droits de l’Homme

NCPP : Nouveau Code de Procédure Pénale

OPJ : Officier de police judiciaire

Introduction

Soixante années de détention préventive en Cote d'Ivoire

« Voici arrivée, pour toi, o mon pays, mon Pays bien-aimé, l’heure tant attendue où ton destin t’appartient entièrement. Peuple de mon pays, laisse éclater ta joie, tu mérites cette joie. Tu as souffert plus que tout, en patience, longtemps. Mais ta souffrance n’a pas été vaine. Tu as lutté, mais pas inutilement, puisque la victoire, tu l’as aujourd’hui. (…) Permettez-moi, en terminant, de vous demander, à tous, de partager ma foi inébranlable dans un monde de Paix, un monde de Liberté, un monde de Fraternité. »

C’est en ces termes remplis d’émotion et d’espoir que feu le Président Felix HOUPHOUËT-BOIGNY a ouvert et clos son discours marquant l’accession de la République de Côte d’Ivoire à l’indépendance, ce 07 août 1960. Ce monde de Paix, de Liberté et de Fraternité auquel aspirait le Premier Président de la République de Côte d’Ivoire, ramené à la petite échelle du territoire qu’il était appelé à administrer, passait nécessairement par l’adoption d’une série de lois devant régir tous les secteurs de la vie de la nouvelle nation.

Vu que désormais, la Côte d’Ivoire avait rompu tout lien de dépendance, surtout juridique, avec la Métropole, les lois adoptées en France, après le 07 août 1960, ne pouvant plus trouver application sur le territoire de la nouvelle république, il y avait donc urgence à faire adopter ces nouvelles lois. Phillipe YACE, Président de l’Assemblée législative puis de l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire conscience de cette urgence indiquait que : « les règles qui commandent les rapports des particuliers entre eux, c'est-à-dire le droit privé, ont pris dans notre pays un retard considérable par rapport aux structures politiques et économiques mises en place. Si ce retard s’accentuait, il serait un frein au développement économique. »

C’est ainsi que concomitamment, dix lois civiles, relatives notamment à la filiation, au nom, au mariage, aux successions, ont été adoptées, dès octobre 1964. Conscient de ce qu’il fallait également se prémunir contre les comportements antisociaux et protéger les populations ivoiriennes contre les agissements répréhensibles des unes contre les autres, le Législateur va s’engager dans un vaste chantier d’adoption de lois pénales, tant de fond que de forme.

Le 14 novembre 1960, soit trois mois seulement après la proclamation solennelle de son indépendance, la Côte d'Ivoire va se doter de son premier Code de procédure pénale, à travers la loi N°60-366. Cette loi, inspirée en grande partie du Code de procédure pénale français de 1958, va poser les jalons de règles devant régir le procès pénal sur toute l’étendue du territoire. Pour la première fois, des questions relatives, notamment, à la mise en mouvement de l’action publique, à la prescription de ladite action, aux pouvoirs des autorités chargées de l’action publique, à la garde à vue, seront évoquées et leurs régimes juridiques clairement définis.

Par ailleurs, l’une des problématiques traitées par ce nouveau Code et qui retiendra le plus l’attention, tant des praticiens que des justiciables, est sans conteste celle de la détention préventive, mesure faisant l’objet de la Section 7, du Chapitre Premier, du Titre III, dudit Code.

Cette mesure est définie par Jean PRADEL comme l’incarcération d’un inculpé en maison d’arrêt pendant tout ou partie de l’instruction préparatoire jusqu’au jugement définitif sur le fond de l’affaire. 

Ainsi, il s’agit pour un Juge d’instruction, saisi par réquisitoire introductif du Procureur de la République ou d’une plainte avec constitution de partie civile de la part d’un particulier, et alors même que la personne poursuivie bénéficie de la présomption, de placer celle-ci en détention, tout au long des investigations et avant que les juridictions de fond ne se soient prononcées sur sa culpabilité. C’est la raison pour laquelle cette mesure est fortement critiquée, car entrainant inévitablement une altération de la présomption d’innocence.

Depuis l’adoption de la loi N°60-366 du 14 novembre1960, la détention préventive ne cesse de faire l’objet de critiques aussi bien de la part des justiciables que de certains acteurs même de l’appareil judiciaire, qui déplorent le fait, qu’alors même que l’article 137 de ladite loi dispose que : « La liberté est de droit, la détention préventive une mesure exceptionnelle », l’on assiste cependant à des placements systématiques des inculpés sous Mandat de dépôt, des détentions maintenues au-delà des délais légaux, des détentions préventives sans cesse renouvelées.

Des structures étatiques telles que la Commission nationale des Droits de l’Homme, ainsi que des organisations non gouvernementales comme PRISONNIERS SANS FRONTIÈRES, AMNESTY INTERNATIONAL ou HUMANS RIGHTS WATCH ont, en partie, attesté de la réalité de ces critiques.

En effet, les rapports produits par ces structures révèlent qu’environ 40% des détenus dans les maisons d’arrêts et de correction de Côte d’Ivoire sont en détention préventive, entrainant ainsi la surpopulation carcérale. Dans son rapport de visites des Maisons d’Arrêt et de Correction de Côte d’Ivoire effectuées entre janvier et avril 2018, la CNDHCI a relevé, que sur un effectif total de 14.414 détenus, on dénombre 5.314 détenus préventifs, soit un taux de 36,77% alors même que les standards internationaux recommandent que ce taux n’excède pas 25%.

Après presque une soixantaine d’années existence, la n°60-366 du 14 novembre 1960 et les règles qui y sont contenues relativement à la détention préventive, vont s’avérer parfois inadaptées aux mutations sociales et aux nouvelles formes de criminalités, en déphasage avec d’autres dispositions législatives et en contradiction parfois flagrante avec certains instruments juridiques internationaux ratifiés par l’État de Côte d’Ivoire.

C’est donc à juste titre que le législateur, soucieux de se conformer aux standards internationaux, en matière de protection des Droits de l’Homme et conscient de la désuétude de loi instituant le premier Code de procédure pénale ivoirien, va abroger celle-ci pour la remplacer, le 27 décembre 2018, par la loi n°2018-975 instituant un nouveau Code de procédure pénale en Côte d’Ivoire. Cette loi va opérer une refonte presque totale des principes régissant le procès pénal, de façon générale et les règles relatives à la détention préventive en particulier.

Il résulte de ce qui précède qu’en soixante années, depuis son indépendance, la Côte d’Ivoire et ses populations ont connu, en ce qui concerne, en tout cas, la question de la détention préventive, deux grandes phases, la première matérialisée par la loi n°60-366 du 14 novembre 1960 et la seconde, qui trouve sa source dans la loi n°2018-975 du 27 décembre 2018.

Si les articles 1376 de l’ancien CPP et 1537 du NCPP sont presque libellés de la même manière, en ce qu’ils disposent en substance que la liberté est de droit, la détention préventive une mesure exceptionnelle, là s’arrêtent les similitudes entre ces deux lois, en ce qui concerne en tout cas la question relative à la détention préventive.

En effet, si la première loi a posé les bases de la détention préventive en Côte d’Ivoire, la seconde a opéré une refonte totale des principes guidant cette mesure restrictive de liberté. Dès lors, quelles ont été et quelles sont les spécificités de la détention préventive en Côte d’Ivoire, à l’aune de chacune des lois susvisées.

Ainsi, l’étude de la détention préventive en Côte d’Ivoire, après soixante années d’indépendance, se fera en deux phases, la première marquée par la loi n°60-366 du 14 novembre 1960 (I) et la seconde sous l’empire de la loi n°2018-975 du 27 décembre 2018 (II).

I. LA DÉTENTION PRÉVENTIVE SOUS L’EMPIRE DE LA LOI N°60-366 du 14 NOVEMBRE 1960

Un passage en revue des dispositions de la loi susvisée laisse entrevoir les caractéristiques de la détention préventive. Sous l’empire de cette loi, le placement en détention préventive ne semblait pas obéir à des conditions préalables particulières et paraissait relever de la souveraine appréciation du Ministère Public et du Juge d’instruction (A). Les délais de détention préventive étaient diversifiés (B), les conditions de prolongation de la détention n’étaient pas de nature à garantir les droits de l’inculpé (C), qui ne bénéficiait pas de garanties suffisantes en cas de détention hors délais (D).

Aussi, la fin de la détention préventive était-elle marquée par une grande influence du Ministère Public (E).

A. L’absence de conditions préalables particulières

La détention préventive n’est pas une mesure autonome. Elle n’est envisageable que dans le cadre d’une information judiciaire, phase préparatoire du procès pénal, au cours de laquelle le Juge d’instruction, saisi par le Ministère public ou la partie civile, à la suite d’une infraction, accomplit les actes nécessaires à la manifestation de la vérité.

Suivant les articles 51 et 78 de l’ancien CPP, le Juge d'instruction ne peut informer qu'en vertu d'un réquisitoire du Procureur de la République, même s'il a procédé en cas de crime ou de délit flagrant. Il ressort de ces textes que l’ouverture d’une information judiciaire est nécessairement conditionnée par la saisine du magistrat instructeur par le Procureur de la République ; ledit magistrat, en vertu de la séparation des fonctions judiciaires, ne pouvant en aucun cas, sauf violation de la loi, s’autosaisir. 

En dehors, d’un réquisitoire introductif du Procureur de la République, le Juge d’instruction peut être amené à informer à la suite d’une plainte avec constitution de partie civile portée devant lui, dans les conditions prévues aux articles 85 et suivants de l’ancien CPP. Ladite plainte est obligatoirement communiquée au Procureur de la République pour ses réquisitions8, lesquelles, lorsqu’elles abondent dans les sens de la poursuite des faits, se matérialisent par la prise d’un réquisitoire introductif.

La prééminence du Ministère Public ne s’arrête pas à l’ouverture de l’information judiciaire, son influence se poursuit jusque dans la prise de décision de placement de l’inculpé en détention préventive. 

Même si juridiquement, une fois saisi, il revient au Juge d’instruction d’apprécier l’opportunité de tous les actes d’information à réaliser, notamment le placement en détention de l’inculpé, il n’en demeure pas moins qu’en cette matière, le Ministère Public sous l’empire de l’ancien CPP, avait, comme on pourrait trivialement l’exprimer, ‘’son mot à dire’’.

En effet, dans son réquisitoire introductif, qui peut être pris contre personne dénommée ou non, le Procureur de la République, après avoir visé l’infraction reprochée à la personne poursuivie et les textes de répression, pouvait à ce stade de la procédure, requérir du Juge d’instruction, le placement de la personne poursuivie en détention préventive et qu’il soit ainsi décerné mandat de dépôt contre elle. 

Le Procureur de la République n’avait nullement l’obligation de motiver cette demande, alors même qu’il s’agissait de priver un individu, qui bénéficie pourtant de la présomption d’innocence, de sa liberté, dès l’entame du procès pénal, sur la base de simples soupçons. 

Mieux, cette demande n’avait pas à satisfaire à des conditions légales particulières, même s’il convient de nuancer de tels propos. En effet, en dehors des cas dans lesquels la personne poursuivie était un mineur de moins de 13 ans ou l’infraction poursuivie était une contravention au sens de la loi pénale, le Procureur de la République pouvait, solliciter le placement de l’individu en détention préventive.

Ainsi qu’il s’agisse d’un délit, peu importe le quantum des peines, ou d’un crime, peu importe les circonstances de commission, le Ministère public pouvait juridiquement solliciter qu’il soit décerné mandat de dépôt contre l’inculpé, sans motiver sa décision.

Mais, comme indiqué plus haut, une fois saisi par réquisitoire du Procureur, le Juge d’instruction devient le principal acteur de l’instruction préparatoire. De ce fait, il lui revient d’apprécier l’opportunité des réquisitions du Ministère public aux fins de placement de l’inculpé en détention préventive. 

Il peut, si les conditions ne l’exigent pas, passer outre cette demande, et rendre une ordonnance de refus de placement en détention préventive. Il peut également, alors même que le Ministère public ne l’a pas requis, décerner mandat de dépôt contre la personne poursuivie.

Tout comme le Procureur de la République, qui pouvait le solliciter sans même motiver sa demande, le Juge d’instruction pouvait, après l’avoir inculpée, placer la personne poursuivie en détention, sans en donner les motifs.

Ainsi, le Magistrat instructeur, sauf en matière contraventionnelle, pouvait souverainement, après avoir apprécié les faits de la cause, décerner mandat de dépôt contre l’inculpé.

Cette absence de conditions légales préalables sous-tendant le placement de l’inculpé en détention préventive était préjudiciable pour ce dernier, qui pouvait peu importe la nature et la gravité de l’infraction mise à sa charge, peu importe le quantum des peines encourues, peu importe les garanties de représentation qu’il offrait, se voir placer sous mandat de dépôt, pour une durée qui pouvait varier selon les cas.

En outre, alors même que les termes de l’art. 137 de l’ancien CPP laissaient apparaître que la mesure de placement en détention préventive devait être matérialisée par une décision du Juge d’instruction, notamment une ordonnance de placement en détention préventive, la pratique judiciaire, semblait démontrer que les magistrats instructeurs se passaient de cette ordonnance pour ne décerner qu’un mandat de dépôt, qui valait aussi bien comme titre de détention et comme décision. 

Ainsi, en cas de contestation de son placement en détention préventive, l’appel relevé par l’inculpé devant la Chambre d’Accusation visait en réalité le Mandat et non une quelconque ordonnance.

L’ancien CPP prévoyait des délais de détention variés.

B. Des délais de détention variés

Les différents délais au titre de la détention préventive, sous l’empire de la loi n°60-366 du 14 novembre 1960, étaient prévus par l’article 138 de ladite loi.

Ledit article disposait en ses alinéas 1 à 4 que : « En matière correctionnelle, lorsque le maximum de la peine prévue par la loi est inférieur à six mois d'emprisonnement, l'inculpé domicilié en Côte d'Ivoire ne peut être détenu plus de cinq (5) jours après sa première comparution devant le juge d'instruction s'il n'a pas été déjà condamné soit pour un crime, soit à un emprisonnement de plus de trois mois sans sursis pour délit de droit commun.

Dans tous les autres cas, en matière correctionnelle et en matière criminelle, l'inculpé ne peut être détenu respectivement plus de six (6) mois et plus de dix-huit (18) mois.

Toutefois, les dispositions visées aux alinéas 1 et 2 ci-dessus ne s'appliquent pas aux crimes de sang, aux vols avec les circonstances prévues aux articles 394, 395 et 396 du Code pénal, trafics de stupéfiants, attentats aux mœurs, évasions, détournements de deniers publics ainsi qu'aux atteintes contre les biens commises avec les circonstances prévues à l'article 110 du Code pénal. Dans tous ces cas, la détention préventive est prononcée pour une durée de quatre (4) mois ».

Deux constats méritent d’être faits à la lecture des alinéas susvisés. Le premier, et qui résulte d’une analyse implicite de l’article 138, c’est qu’un individu ne peut pas être placé en détention préventive pour des faits contraventionnels. Le second, c’est que les délais de la détention préventive sont diversifiés et dépendent, d’une part, de la nature de l’infraction, crime ou délit et, d’autre part, de la gravité des faits, tous les crimes et délits n’étant pas soumis à la même durée.

Ainsi, selon l’alinéa 1er de l’art. 138, la personne poursuivie pour un délit passible d’une peine d’emprisonnement inférieure à six mois, si elle est domiciliée sur le territoire de la République de Côte d’Ivoire, et s'il elle n'avait jamais été condamnée soit pour un crime, soit à un emprisonnement de plus de trois mois sans sursis pour délit de droit commun, ne pouvait passer plus de cinq jours en détention, à compter de son inculpation. 


De ce fait, une personne inculpée des faits de perturbation de réunions et d’assemblées, délit prévu par l’art. 185 al. 1er de l’ancien Code pénal, si les autres conditions légales étaient remplies, ne pouvait être préventivement détenue plus de cinq jours après son inculpation.

En outre, dans tous les cas autres que ceux visés à l’alinéa 1er, l’inculpé poursuivi pour des faits délictuels ne pouvait être détenu pendant plus de six mois, tandis que celui à l’encontre duquel des charges criminelles ont été retenues, ne pouvait passer plus de 18 mois en détention.

Toutefois, ces délais qui semblaient être généraux ne s’appliquaient pourtant pas à certains crimes et délits, exhaustivement énumérés par l’alinéa 3 de l’article 138 susvisé. Pour ces faits infractionnels, au nombre desquels figurent notamment les crimes de sang, les vols aggravés, les trafics de stupéfiants ou les détournements de derniers publics, la durée de la détention préventive était de quatre mois. 

C’est ainsi qu’un inculpé poursuivi pour des faits de vol commis avec des circonstances aggravantes, notamment en temps de nuit, en réunion, avec port d’arme apparente, avec escalade, avec fausses clés ou après avoir causé des blessures à la victime, s’ils sont placés en détention préventive, pourront y rester pendant quatre mois.

Ce délai de quatre mois, qui à première vue paraissait plus court que ceux de six ou dix-huit mois, selon les cas, pouvait laisser croire que les personnes inculpées pour les infractions visées à l’alinéa 3 de l’art. 138 étaient favorisées que celles poursuivies pour d’autres crimes ou délits, ce qui est d’ailleurs trompeur, et la suite de notre étude, étayera ce point de vue.

Les délais de détention susvisés pouvaient-ils faire l’objet de prolongation ? Si oui, dans quelles conditions ?

C. Des conditions de prolongation insuffisamment protectrices des droits de l’inculpé

Aux termes de l’alinéa 6 de l’article 138 de l’ancien CPP « Le juge d'instruction doit à l’issue de ces délais, ordonner la mise en liberté provisoire de l'inculpé ». Ces délais auxquels cet alinéa fait référence sont ceux de cinq jours, six mois, dix-huit mois et quatre mois, selon les cas, prévus par les quatre premiers alinéas du même art. 138.

L’alinéa 6 susvisé pouvait légitimement laisser penser qu’à l’exception du délai de prévu pour les crimes de sang, aux vols avec les circonstances prévues aux articles 394, 395 et 396 du Code pénal, trafics de stupéfiants, attentats aux mœurs, évasions, détournements de deniers publics ainsi qu'aux atteintes contre les biens commises avec les circonstances prévues à l'article 110 du Code pénal, les autres délais de détention préventive ne pouvaient valablement faire l’objet de prolongation. Ce qui n’est pas d’ailleurs exact. Toute détention préventive, qu’elle soit ordonnée en matière criminelle ou délictuelle ou pour les infractions susmentionnées, pouvait, sous l’empire de l’ancien CPP, faire l’objet de prolongation.

Selon l’alinéa 4 de l’art. 138 de l’ancien CPP, la détention préventive ordonnée en matière de crimes de sang, vols avec les circonstances prévues aux articles 394, 395 et 396 du Code pénal, trafics de stupéfiants, attentats aux mœurs, évasions, détournements de deniers publics ainsi qu'aux atteintes contre les biens commises avec les circonstances prévues à l'article 110 du Code pénal, pouvait, sans formalité préalable particulière, en dans tous les cas, faire l’objet de prolongation pour une nouvelle durée qui ne peut excéder quatre mois. 

Ainsi, une personne inculpée de vols aggravés ou pour trafic de stupéfiants, pouvait à l’expiration de sa détention de quatre mois, voir sa détention prolongée pour une nouvelle durée qui ne pouvait excéder quatre mois. Le Juge d’instruction pouvait même, à plusieurs reprises prolonger ladite détention, à la seule condition que chaque prolongation ne puisse excéder quatre mois.

S’agissant des détentions préventives ordonnées pour des crimes et délits autres que ceux exhaustivement énumérés à l’alinéa 3 de l’article 138, elles pouvaient également et indirectement faire l’objet de prolongation, dans les conditions prévues par l’art. 140 de l’ancien CPP.

En effet, selon l’article 140 susvisé « Le Procureur général peut, sur réquisitions spécialement motivées s'opposer à la mise en liberté provisoire de l'inculpé pour des nécessités impérieuses d'enquête. Dans ce cas, la Chambre d'accusation doit statuer dans un délai de huit (8) jours, faute de quoi, l'inculpé est mis d'office en liberté. Si l'inculpé est maintenu en détention, sa détention ne peut faire l'objet d'une prolongation au-delà de quatre (4) mois à compter de l'expiration des délais visés à l'article 138 ci-dessus ».

Il ressort implicitement de ce texte qu’à l’expiration du délai de six ou dix-huit mois, selon les cas, la détention de l’inculpé pouvait faire l’objet de prolongation, si pour des nécessités impérieuses d’enquête, le Procureur Général, sur réquisitions spécialement motivées, s’opposait à la mise en liberté de l’inculpé. 

Dans une telle hypothèse, l’inculpé ne pouvait voir sa détention prolongée que pour une durée ne pouvant excéder quatre mois. Cette prolongation était ordonnée en réalité par la Chambre d’accusation, qui devait statuer dans le délai de huit jours.

Cette hypothèse concernait aussi bien les crimes et délits ordinaires que ceux énumérés à l’alinéa 3 de l’art. 138 ancien.

Il convient par ailleurs de faire remarquer que la prolongation de la détention intervenait sans que le Juge d’instruction ne recueille l’avis ou les observations de l’inculpé. Lorsqu’il entendait prolonger la détention, il communiquait le dossier au Procureur de la République pour ses réquisitions. 

Après avoir recueilli l’avis du Procureur, et pris sa décision par ordonnance de prolongation de détention, il faisait extrait l’inculpé détenu pour lui notifier ladite décision. Ainsi, l’inculpé n’était informé de la prolongation de sa détention que lors de la notification de l’ordonnance de prolongation.

En résumé, il convient de retenir que sous l’empire de l’ancien CPP, la détention préventive, sauf en ce qui concerne les infractions prévues à l’alinéa 3 de l’article 138 ancien CPP, pouvait durer :

- En matière correctionnelle : 06 mois (durée initiale) + 04 mois (éventuellement en cas de prolongation pour nécessités impérieuses d’enquête, soit 10 mois au total ;

- En matière criminelle : 18 mois (durée initiale) + 04 mois (éventuellement en cas de prolongation pour nécessités impérieuses d’enquête, soit 22 mois au total ;

En dépit de ces différents délais prévus par la loi, il pouvait arriver que l’inculpé soit détenu à l’expiration desdits délais. Et quand cela arrivait, l’inculpé ne bénéficiait pas de garanties suffisantes.

D. Des garanties insuffisantes en cas de détention hors délais

L’article 138 in fine de l’ancien CPP disposait que : « Le juge d'instruction doit à l’issue de ces délais, ordonner la mise en liberté provisoire de l'inculpé ».

L’article 139 ancien ajoutait que : « En cas d'inobservation par le juge d'instruction des délais susvisés, l'inculpé est en détention injustifiée. La faculté de saisir directement la Chambre d'accusation aux fins de la mise en liberté provisoire d'office de l'inculpé appartient à l'inculpé, à son conseil et au ministère Public. La Chambre d'accusation doit statuer sur les réquisitions écrites du Procureur général, dans le mois suivant sa saisine. ».

Il ressort du premier texte cité qu’à l’expiration des délais de détention, le Magistrat instructeur devait mettre l’inculpé en liberté provisoire. Toutefois, en pratique, en dans plusieurs cas, l’inculpé ne bénéficiait pas de liberté provisoire.

Le second texte conclut qu’en cas d’inobservation des délais légaux, l’inculpé est en détention injustifiée. Toutefois, le législateur après avoir posé ce postulat, n’en a pas tiré les conséquences. En effet, après avoir jugé que l’inculpé était en détention injustifiée, la logique aurait voulu que l’inculpé soit remis en liberté d’office. Mais, l’article 139 de l’ancien CPP mettait à la charge de l’inculpé, son conseil ou du Ministère Public, l’obligation de saisir la Chambre d’Accusation pour obtenir éventuellement la liberté provisoire, qui pouvait parfois intervenir plus d’un mois après.

Ainsi, durant la procédure devant la Chambre d’Accusation, cette détention injustifiée se poursuivait. Pire, rien n’empêchait la Chambre d’accusation de s’opposer à cette mise en liberté provisoire, notamment en cas de nécessités impérieuses d’enquête.

E. Une mesure dont la fin était marquée par une grande influence du Ministère Public

Selon les arts. 140 et 141 de l’ancien CPP, en toute matière, la mise en liberté provisoire pouvait être ordonnée d'office par le juge d'instruction, à la demande du Procureur de la République, de l’inculpé ou son conseil. Toutefois, lorsqu’elle était ordonnée d’office par le Juge d’instruction, elle ne pouvait intervenir qu’après avis conforme du Procureur de la République. 

Quand la demande émanait de l’inculpé ou de son conseil, elle était communiquée au Procureur de la République pour ses réquisitions et il revenait au Juge d’instruction de statuer dans un délai de 05 jours. 

À l’expiration de ce délai, l'inculpé pouvait saisir directement de sa demande la Chambre d'accusation qui, sur les réquisitions écrites et motivées du Procureur général, se prononce dans les quinze (15) jours de l'arrivée de cette demande au greffe de la Chambre d'accusation, faute de quoi l'inculpé est mis d'office en liberté provisoire, sauf si des vérifications concernant sa demande ont été ordonnées.

Il ressort de ce qui précède que la fin de la détention préventive est fortement marquée par la présence du Procureur de la République, dont l’avis conforme était exigé en cas de mise en liberté provisoire à l’initiative du Juge d’instruction. 

S’il donnait un avis contraire, le Magistrat instructeur ne pouvait que rendre une ordonnance de refus de mise en liberté provisoire, l’inculpé n’ayant pour seule alternative que de relever appel de cette décision ou former une nouvelle demande, plus tard. Mieux, le Procureur Général pour nécessités impérieuses d’enquête pouvait s’opposer à la mise en liberté provisoire.

Il ressort de ce qui précède que la détention préventive, sous l’empire de la loi n°60-366 du 14 novembre 1960, avait ses spécificités. Mais, les règles régissant cette mesure privative de liberté n’étaient généralement pas favorables à l’inculpé. La loi n°2018-975 du 27 décembre 2018, instituant le nouveau CPP, s’est fixé pour principal objectif d’améliorer la situation de l’inculpé détenu, par la refonte totale de la détention préventive.

II. UNE DÉTENTION PRÉVENTIVE REFONDÉE PAR LA LOI N°2018-975 DU 27 DÉCEMBRE 2018

L’alinéa 1er de l’art. 98 du NCPP dispose que « Le juge d’Instruction procède, conformément à la loi, à tous les actes d’information qu’il juge utiles à la manifestation de la vérité. Il instruit à charge et à décharge.» Ainsi, pour parvenir à la manifestation de la vérité, raison d’être de l’information judiciaire, la loi a conféré d’énormes pouvoirs au Juge d’instruction. Il peut à cet effet, prescrire toute mesure utile au succès de ses investigations, notamment le maintien des personnes inculpées à la disposition de la justice afin de garantir leur représentation aux actes de procédure.

Conscient de la désuétude des dispositions de l’ancien CPP relatives à la détention préventive, de leur inadéquation avec les réalités sociales nouvelles, de leur non-conformité à la Constitution de 2016 et aux Conventions internationales ratifiées par l’État de Côte d’Ivoire, lesquelles prônent un respect plus accru des droits de l’Homme, le Législateur ivoirien va, par le biais de la loi n°2018-975 du 27 décembre 2018 portant nouveau CPP, opérer une refonte du régime juridique de la détention préventive. Cette loi qui prévoit de nouveaux délais de détention harmonisés (B) ainsi que de nouvelles modalités de prolongation (C), impose désormais aussi bien aux Magistrats du Parquet qu’au Juge d’instruction, des conditions légales préalables à satisfaire avant le placement d’une personne en détention préventive (A). 

Par ailleurs, le NCPP a institué de nouvelles règles devant régir la mise en liberté provisoire et a également réglé le sort de l’inculpé qui demeure en détention, après l’intervention de l’ordonnance de règlement du Juge d’instruction (D).

A. Des conditions préalables exigées

Les articles 162 et 163 du NCPP prévoient des conditions dont la réunion est nécessaire pour le placement d’un inculpé en détention préventive.

En effet, suivant l’art. 162 du NCPP, la détention préventive ne peut être ordonnée que si l’inculpé encourt une peine privative de liberté d’au moins deux (02) ans. Ainsi, depuis l’entrée en vigueur de la loi n°2018-975 du 27 décembre 2018, aucun inculpé ne peut être placé en détention préventive si l’infraction pour laquelle il est poursuivi n’est pas passible d’une peine privative de liberté d’au moins deux (02) années. 

Il s’induit de cette première condition qu’une personne poursuivie notamment pour des faits de vagabondage, mendicité, adultère, de rébellion à l’égard d’un fonctionnaire, sauf si l’auteur ou l’u des auteurs est porteur d’une arme apparente, de violation de secret professionnel par un dépositaire, ne peut faire l’objet de placement en détention préventive.

Toutefois, cette condition tenant au quantum de la peine d’emprisonnement encourue par la personne poursuivie n’est plus exigée lorsque, d’une part, l’inculpé est en état de récidive ou s’il a été déjà condamné à une peine privative de liberté sans sursis, quelle qu’en soit la durée (art. 162 al. 2 NCPP) et, d’autre part, lorsque l’inculpé se soustrait volontairement aux obligations du contrôle judiciaire. 

Dans ce cas, le Juge peut décider de son placement en détention préventive, quelle que soit la peine privative de liberté encourue (art.160 al. 1er et 163 al. 2 NCPP). L’article 163 du NCPP prévoit une autre condition pour le placement d’un inculpé en détention préventive. Celle-ci a trait à l’objectif poursuivi par cette mesure restrictive de liberté.

En outre, aux termes de la disposition précitée, la détention préventive ne peut être prononcée que par ordonnance motivée du Juge d’instruction démontrant, au regard des éléments précis et circonstanciés résultant de la procédure, qu'elle constitue l'unique moyen de parvenir à l’un ou à plusieurs des objectifs limitativement énumérés par ledit texte et que ceux-ci ne peuvent être atteints en cas de placement sous contrôle judiciaire. 

Ainsi, désormais le Juge d’instruction qui désire garder un inculpé à la disposition de la justice doit d’abord envisager de placer ce dernier sous contrôle judiciaire et, c’est lorsque cette mesure restrictive de liberté, au regard des circonstances de la cause, s’avère inappropriée, qu’il pourra ordonner son placement en détention préventive, dans l’objectif, notamment, 1-de conserver les preuves ou les indices matériels ; 2- d’éviter une pression sur les témoins ou les victimes ainsi que sur leur famille ; 3- d’éviter une concertation frauduleuse entre la personne inculpée et les autres auteurs ou complices ;4- de protéger la personne inculpée ; 5- de garantir le maintien de la personne inculpée à la disposition de la justice ; 6- de mettre fin à l'infraction ou prévenir son renouvèlement ; 7- de faire cesser le trouble exceptionnel et persistant à l'ordre public provoqué par la gravité de l'infraction, les circonstances de sa commission ou l'importance du préjudice qu'elle a causé.

Désormais, le placement en détention préventive doit impérativement être justifié par l’un de ces objectifs et toutes les fois où le placement sous contrôle judiciaire s’avère inefficace. 

Dès lors que la détention ne vise pas la satisfaction de l’un de ces objectifs, l’art. 164 du NCPP impose au Juge d’instruction d’ordonner la mise en liberté immédiate de la personne placée en détention préventive, après avis du Procureur de la République.

Par ailleurs, il convient de relever que la prescription légale prévue à l’art. 163 du NCPP ne s’impose pas qu’au Magistrat instructeur. 

Les dispositions de ce texte s’appliquent également aux réquisitions du Procureur de la République lorsqu’elles visent à ordonner la détention préventive de l’inculpé. Par conséquent, le Procureur de la République qui requiert le placement de la personne poursuivie en détention préventive, doit dans son réquisitoire introductif, démontrer que cette mesure vise nécessairement l’atteinte de l’un des objectifs prévus à l’art.163 du NCPP. 

Le Réquisitoire introductif doit de ce fait être motivé comme l’exige l’art. 97 du NCPP.
De nouveaux délais ont été institués.

B. De nouveaux délais de détention harmonisés

Le NCPP, dans son souci de préserver les droits de la défense, notamment ceux de jouir pleinement de sa liberté d’être jugé dans un délai raisonnable, dispose en son art. 164 al. 1er que : « La détention préventive ne peut excéder une durée raisonnable, notamment, au regard de la gravité des faits reprochés à la personne inculpée ou de la complexité des investigations nécessaires à la manifestation de la vérité ».

Il convient de noter que l’information judiciaire n’est que la phase préparatoire du procès pénal, qui ne connaitra son dénouement qu’avec une décision des juridictions de jugement sur l’innocence ou la culpabilité de la personne poursuivie.

Pour ce faire, l’instruction préparatoire ne doit pas s’éterniser. Par voie de conséquence, la détention préventive lorsqu’elle est nécessaire ne doit toutefois pas excéder un certain délai. C’est au regard de toutes ces considérations humanistes que le Législateur a institué de nouveaux délais de détention, lesquels diffèrent selon que les faits poursuivis sont correctionnels ou criminels.

• En matière correctionnelle

Aux termes de l’art. 166 al. 1er du NCPP, en matière correctionnelle, la détention préventive ne peut excéder six (06) mois. 

Ainsi, contrairement à l’ancien CPP qui prévoyait plusieurs délais de détention, selon la nature du délit ou selon les circonstances de commission de ce délit, le NCPP a institué un délai uniforme de détention pour tous les délits. En effet, selon l’art. 138 de l’ancien CPP, si en matière correctionnelle, l’inculpé ne pouvait être détenu plus de six (06) mois, cela n’était nullement le cas, d’une part, lorsque le maximum de la peine prévue par la loi était inférieur à six mois d'emprisonnement et, d’autre part, lorsque l’inculpé était poursuivi pour certaines infractions délictuelles, notamment pour vols avec les circonstances prévues aux articles 394, 395 et 396 du Code pénal, trafics de stupéfiants, attentats aux moeurs, évasions, détournements de deniers publics ainsi qu'aux atteintes contre les biens commises avec les circonstances prévues à l'article 110. 

Dans la deuxième hypothèse, s’agissant des infractions sus indiquées, la détention préventive était prononcée pour une durée de quatre (4) mois, délai pouvant être prolongé autant de fois par ordonnance spécialement motivée du Juge, rendue sur les réquisitions également motivées du Procureur de la République, toutes les fois où la détention s’avérait nécessaire, pour une durée n’excédant pas quatre (04) mois. Désormais, en matière délictuelle, la détention ne peut excéder six (06) mois, pour tous les délits.

• En matière criminelle

Selon l’art. 167 al. 1er du NCPP, en matière criminelle, la détention préventive ne peut excéder huit (08) mois.

De prime abord, deux observations méritent d’être faites. D’une part, le délai de détention en matière criminelle institué par le NCPP est plus court que celui prévu par le précédent. En effet, selon l’art. 138 al. 2 de l’ancien CPP, en matière criminelle, l'inculpé ne pouvait être détenu plus de dix-huit (18) mois. 

Désormais, l’inculpé ne pourra plus en cette matière être détenu pendant plus de huit (08) mois. Ce nouveau délai plus court se justifie au regard de l’art. 164 al. 1er qui dispose que « la détention préventive ne peut excéder une durée raisonnable (…)» D’autre part, le NCPP a abandonné la notion de crimes de sang, infractions pour lesquelles l’inculpé pouvait être préventivement détenu pour une durée de quatre (04) mois renouvelables toutes les fois où la détention apparaissait encore nécessaire (art. 138 al. 4 ancien CPP). 

L’abandon de cette notion est plus que judicieux, d’autant que la détermination des crimes entrant dans cette catégorie était fastidieuse.

Avec le NCPP, la prolongation de la détention a également fait l’objet de refonte.

C. Des conditions de prolongation protectrices des droits de l’inculpé

En matière correctionnelle, la détention préventive peut faire l’objet de prolongation, suivant deux (02) modalités distinctes. D’une part, aux termes de l’art. 166 al. 2 du NCPP, le Juge d’instruction peut décider de prolonger la détention préventive pour une durée qui ne peut excéder six (06) mois par une ordonnance motivée rendue après débat contradictoire au cours duquel le Ministère public et l’inculpé ou son avocat sont entendus. 

D’autre part, à titre exceptionnel, lorsque les investigations du Juge d'instruction doivent être poursuivies et que la détention préventive de l’inculpé demeure justifiée au regard des conditions de l’art. 163, la Chambre d’Instruction, saisie par requête du Juge d’instruction peut prolonger la détention préventive pour une durée qui ne peut excéder six (06) mois. 

Il s’induit de ce qui précède que la détention préventive peut être prolongée, par le Juge d’instruction, et une autre fois, éventuellement, par la Chambre d’instruction, juridiction d’instruction de second degré, saisie par le Magistrat instructeur.

Lorsque la prolongation émane du Juge, elle doit être décidée au cours d’une véritable audience tenue dans son Cabinet. Au cours de cette audience, l’inculpé ou son Conseil et le Ministère Public sont entendus, chacun appelé à faire valoir ses moyens. Si le Ministère public, représenté dans la plupart des cas par l’un des Substituts du Procureur de la République, souhaite la prolongation de la détention, il devra démontrer que celle-ci reste nécessaire en vue d’atteindre l’un ou plusieurs des objectifs visés à l’art. 163 du NCPP. 

Ainsi, contrairement à l’ancienne pratique consistant à prolonger la détention de l’inculpé à son insu, cette décision lui étant simplement notifiée plus tard, aujourd’hui, cette prolongation est faite obligatoirement en sa présence à la suite d’un débat contradictoire et en présence de son contradicteur naturel, le Ministère Public.

La prolongation de la détention peut également être décidée par la Chambre d’instruction saisie par requête du Juge d’instruction, pour une durée ne pouvant excéder six (06) mois. Cette prolongation exceptionnelle ne peut intervenir que lorsque les investigations doivent nécessairement se poursuivre et lorsque la détention de l’inculpé reste indispensable. 

Le Juge d’instruction ne peut saisir la Chambre d’Instruction qu’une seule fois. En tout état de cause, il revient à la Chambre d’apprécier souverainement la nécessité de cette détention.

Concernant la requête elle-même, celle-ci doit obligatoirement comporter les raisons qui justifient la poursuite de l’information, sans toutefois indiquer la nature des investigations envisagées. Ils demeurent néanmoins des interrogations s’agissant du canal de transmission de ladite requête. 

Doit-elle transiter par le Procureur de la République, lequel se chargera de la transmettre au Procureur Général pour saisine de la Chambre d’instruction ? 

Le Juge d’instruction pourra-t-il directement l’adresser à la Chambre d’instruction ? 

Pour notre part, la requête dont s’agit n’est pas une ordonnance du Juge d’instruction, susceptible de faire l’objet de recours ni de la part du Ministère Public encore moins de la part de l’inculpé. 

Par conséquent, elle pourra être transmise directement par le Juge d’instruction à la Chambre d’instruction, surtout que ce mode de transmission a un avantage certain : imprimer une célérité à la procédure. Le choix du Législateur ivoirien en faveur de la « requête » plutôt que d’une « ordonnance motivée » comme c’est le cas en France, peut aisément s’expliquer. En effet, l’ordonnance rendue par le Juge d’instruction a valeur de décision de justice. 

De ce fait, toute ordonnance doit être communiquée au Procureur de la République, lequel a le droit d’interjeter appel devant la Chambre d’Instruction de toute ordonnance du Juge d’Instruction, dans les vingt-quatre heures à compter de la notification de l’ordonnance. 

Il s’induit de ce qui précède que juridiquement, le traitement d’une ordonnance est plus contraignant et peut de ce fait retarder la procédure. Si le législateur avait opté pour une ordonnance en cas de prolongation de la détention par la Chambre d’instruction, celle-ci aurait dû obligatoirement être communiquée au Procureur de la République qui à son tour se chargera de la transmettre au Procureur Général, qui exerce l’action publique auprès de la Cour d’Appel à l’effet de saisir la Juridiction d’instruction de second degré. Ce qui pourrait considérablement retarder la procédure. 

Or, il ne faut pas oublier que l’un des objectifs du Législateur à travers le NCPP est d’imprimer une célérité à l’information judiciaire en débarrassant de celle-ci de toutes les germes de lenteur. Le choix de la requête est salutaire d’autant que celle-ci n’étant pas obligatoirement communicable au Ministère Public, elle pourra être adressée directement par le Juge d’instruction à la Chambre d’instruction. 

Ce mode de transmission simplifié s’il est adopté par les magistrats pourra considérablement réduire les délais d’attente et éviter que plusieurs inculpés ne soient en détention injustifiée en raison de l’expiration des délais de détention.



RÉSUME : désormais, le Juge d’instruction n’a plus de pouvoir souverain d’appréciation en ce qui concerne la prolongation de la détention, à l’expiration du second délai de huit (08) mois. 

Il doit nécessairement saisir la Chambre d’instruction d’une requête aux fins de prolongation de la détention. Le délai de la détention préventive est le même pour tous les crimes, la notion de crime de sang ayant été abandonnée. À l’expiration des délais indiqués aux alinéas 1er, 2ème et 3ème de l’art. 167 du NCPP, l’inculpé est en détention injustifiée et doit être mis en liberté d’office. 

Désormais, en matière criminelle, l’inculpé ne peut être détenu plus de vingt-quatre (24) mois, délai initial et prolongations compris. Aujourd’hui, la détention préventive, même en dehors de toute contrainte tirée des nécessités impérieuses de l’enquête, peut faire l’objet de prolongation, par le Juge d’instruction, d’une part, et par la Chambre d’instruction, d’autre part, aussi bien en matière correctionnelle que criminelle, dans les conditions prévues aux arts. 166 et 167 du NCPP. Dès lors, un constat presque légitime s’impose. 

Si la détention préventive fait désormais l’objet d’une règlementation plus adéquate par le NCPP, qui a par ailleurs supprimé le tant décrié délai de détention de quatre mois (04) mois, renouvelable tant que la détention apparaissait encore nécessaire pour certains délits et crimes de sang, il n’en demeure pas moins que, juridiquement, et non en pratique, aujourd’hui, un inculpé peut être maintenu plus longtemps en détention que par le passé.

D. Une fin moins soumise à l’appréciation du Ministère public

La détention préventive peut prendre fin par la mise en liberté provisoire de l’inculpé (1). Elle peut également cesser par la mise en liberté d’office de ce dernier (2)

1. La mise en liberté provisoire

La détention préventive ordonnée à l’encontre d’un inculpé peut prendre fin par sa mise en liberté provisoire. Celle-ci peut être ordonnée d'office par le Juge d'instruction ou sur réquisitions du Procureur de la République. Elle peut également être sollicitée par l’inculpé ou son conseil.

• La mise en liberté ordonnée d’office par le Magistrat instructeur ou sur réquisitions du Procureur de la République

Aux termes de l’art. 171 du NCPP, en toute matière, la mise en liberté assortie ou non du contrôle judiciaire peut être ordonnée d'office par le Juge d'instruction, après avis du Procureur de la République. Il ressort de ce texte que le Magistrat instructeur, qui à l’entame de la procédure a ordonné le placement de l’inculpé en détention préventive, peut, à toute étape de la procédure, remettre ce dernier en liberté provisoire. 

Il pourra notamment ordonner cette mise en liberté s’il estime que la détention de l’inculpé n’est plus nécessaire, soit parce qu’il a réalisé tous les actes d’instruction, soit parce que l’inculpé présente des garanties suffisantes de représentation. 

Contrairement à l’art. 140 al. 3 de l’ancien CPP qui disposait que cette mise en liberté ne pouvait intervenir qu’après avis conforme du Procureur de la République, l’art. 171 du NCPP n’a pas précisé la nature de l’avis du Parquet, de sorte qu’il n’est pas juridiquement inexact de dire que le Juge d’instruction pourra ordonner la mise en liberté de la personne poursuivie même en cas d’avis contraire. Il reviendra au Ministère Public de relever appel de l’ordonnance de mise en liberté provisoire.

Le Procureur de la République peut également requérir la mise en liberté provisoire de l’inculpé à tout moment. Si l’ancien CPP, notamment en son art. 140 al. 4 précisait que le Juge d’instruction devait statuer dans un délai de cinq (05) jours à compter de la date de ses réquisitions, cela n’est pas le cas du NCPP, qui reste muet sur le délai imparti à ce magistrat. 

Ce dernier, ne devrait-il pas statuer dans un délai de deux (02) jours, comme exigé en cas de demande de mise en liberté formulée par l’inculpé, à compter de la réception des réquisitions du Procureur de la République ? 

En tout état de cause, qu’elle soit ordonnée d’office par le Juge ou sur réquisitions du Procureur de la République ou à la demande de l’inculpé, la liberté provisoire peut être assortie ou non du contrôle judiciaire, ou, dans tous dans les cas où elle n’est pas de droit, être subordonnée à l’obligation de fournir un cautionnement ou de constituer des sûretés, dans les conditions prévues aux arts. 18412 et suivants du NCPP. 

Aussi, l’inculpé doit-il prendre l'engagement de se représenter à tous les actes de la procédure aussitôt qu'il en sera requis et de tenir informé le magistrat instructeur de tous ses déplacements.


• La demande de mise en liberté formulée par l’inculpé ou son conseil

Les articles 172 et 173 du NCPP traitent des conditions dans lesquelles l’inculpé détenu peut solliciter du Magistrat instructeur, sa mise en liberté provisoire. Suivant ces dispositions, en toute matière, l’inculpé placé en détention préventive ou son avocat peut, à tout moment, demander sa mise en liberté, sous les obligations prévues par le Code. 

La demande de mise en liberté est adressée par lettre au Juge d'instruction, qui communique, dans les vingt-quatre (24) heures, le dossier au Procureur de la République aux fins de réquisitions. Celui-ci dispose d’un délai de trois (03) jours ouvrables pour prendre ses réquisitions. 

La demande de mise en liberté peut aussi être faite contre récépissé, au moyen d'une déclaration auprès du chef de l'établissement pénitentiaire. Cette déclaration est consignée dans un registre par le chef de l'établissement pénitentiaire et en établit un récépissé qu’il signe avec le demandeur. Si celui-ci ne peut signer, il en est fait mention par le chef de l'établissement. 

Ce document est transmis sans délai par le chef de l'établissement, au Greffier d’instruction, sous peine d’une amende civile qui ne peut excéder 100.000 francs prononcée par le Président de la Chambre d’Instruction. S’il existe une partie civile, avis lui est donné par le Juge d’instruction de l’introduction de la demande de mise liberté. 

Celle-ci dispose d’un délai de quarante-huit (48) heures à compter de la réception de l’avis pour faire des observations. Le Juge d’instruction statue par ordonnance motivée sur la demande de mise en liberté dans un délai de deux (02) jours à compter de la fin du délai imparti au Procureur de la République.

Toutefois, le délai imparti au Juge d’instruction court à compter de la réception des réquisitions du Procureur de la République si celles-ci interviennent plus tôt. Lorsqu’une demande de mise en liberté est en cours d’examen par le Juge d’instruction ou la Chambre d’Instruction, toute nouvelle demande de l’inculpé est irrecevable. 

La mise en liberté, lorsqu'elle est accordée, peut être assortie de mesures de contrôle judiciaire. Faute par le Juge d’instruction d'avoir statué dans le deux (02) jours, l’inculpé peut saisir directement de sa demande la Chambre d’Instruction qui, sur les réquisitions écrites et motivées du Procureur général, se prononce dans les quinze (15) jours de sa saisine faute de quoi la personne est mise d'office en liberté sauf si des vérifications concernant sa demande ont été ordonnées. Le droit de saisir dans les mêmes conditions la Chambre d’Instruction appartient également au Procureur de la République.


2. La mise en liberté d’office

La détention préventive peut également prendre fin par la mise en liberté d’office de l’inculpé. 

Que revêt la notion de mise en liberté d’office ?

La mise en liberté d’office, contrairement à celle ordonnée d’office par le Juge d’instruction après avis du Procureur de la République ou sur réquisitions du Procureur de la République ou à la demande de l’inculpé, est celle qui intervient toutes les fois où la liberté est de droit. 

Ainsi, la mise en liberté d’office doit en principe intervenir toutes les fois où l’inculpé est en détention injustifiée. Dans cette hypothèse, le Magistrat instructeur ne peut même pas subordonner la mise en liberté provisoire de l’inculpé au paiement d’un cautionnement. Le NCPP prévoit plusieurs hypothèses dans lesquelles l’inculpé doit être mis en liberté d’office. 

Il s’agit notamment des cas prévus aux articles 166 et 167, en cas d’expiration des délais de détention. Ainsi, à l’issue des délais de détention de six (06) et huit (08) mois, respectivement en matière correctionnelle et criminelle, y compris les délais de prolongations, l’inculpé est en détention injustifiée et doit de ce fait être mis en liberté d’office. 

Aussi, faute pour le Juge d’instruction d'avoir statué dans le délai de deux (02) jours à compter de la réception des réquisitions du Procureur de la République, l’inculpé peut saisir directement de sa demande la Chambre d’Instruction qui, sur les réquisitions écrites et motivées du Procureur général, se prononce dans les quinze jours de sa saisine faute de quoi la personne est mise d'office en liberté sauf si des vérifications concernant sa demande ont été ordonnées. Il en est de même dans l’hypothèse prévue à l’art. 175 du NCPP. 

Il résulte de cette disposition que, d’une part, le prévenu détenu, renvoyé devant le tribunal correctionnel, doit comparaître pour être jugé dans le délai d’un (01) mois à compter de la date de l’ordonnance de renvoi et, d’autre part, l’accusé détenu qui a fait l’objet d’un arrêt de renvoi devant le tribunal criminel doit comparaitre devant le tribunal criminel pour être jugé dans le délai de six (06) mois à compter de la date de l’arrêt de mise en accusation. 

À défaut de comparution de la personne détenue dans les délais ci-dessus indiqués, celle-ci est mise en liberté d’office.
Dans tous les cas où l’inculpé doit être mis en liberté d’office, il appartient au Procureur de la République ou au Procureur général, de veiller au respect des dispositions prévues à cet effet par le NCPP, et d’ordonner au Chef d’établissement pénitentiaire de procéder à la mise en liberté de l’intéressé. En cas d’inertie des Magistrats susmentionnés, l’intéressé saisit, par voie de requête, le Président de la Chambre d’Instruction, qui ordonne, sa liberté d’office.

Toutefois, suivant les dispositions de l’art. 182 du NCPP, le Procureur Général peut, sur réquisitions spécialement motivées s’opposer à la mise en liberté de l’inculpé pour des nécessités impérieuses d’enquête. Dans ce cas, la Chambre d’Instruction statue dans un délai de huit (08) jours, faute de quoi, l’inculpé est mis d’office en liberté. 

Si l’ancien Code fixait à quatre (04) mois le délai de prolongation de la détention pour cause de nécessités impérieuses d’enquête, à compter de l'expiration des délais de six (06) et dix-huit (18) mois, le NCPP qui a maintenu cette éventualité n’a cependant pas précisé la durée de la détention pouvant encourir l’inculpé à ce titre.


REMARQUE : Il convient d’indiquer que contrairement à l’ancien CPP, le nouveau a définitivement réglé le sort de l’inculpé en détention préventive, après que le Juge d’instruction ait rendu son ordonnance de règlement, étant de ce fait juridiquement dessaisi du dossier de la procédure. 

Ainsi, suivant l’art. 174 al. 1 et 2 du NCPP, après l’ordonnance de transmission des pièces au Procureur général et jusqu’à l’ouverture de la session de jugement des affaires criminelles, la Chambre d’Instruction est compétente pour se prononcer sur les demandes de mise en liberté. Après l’ordonnance de renvoi en police correctionnelle, la juridiction de jugement est compétente pour statuer sur les demandes relatives à la détention préventive. 

En matière criminelle, le tribunal criminel n'est compétent que lorsque la demande est formée durant la session au cours de laquelle il doit juger l'accusé. Aussi, en application des dispositions de l’art. 5 al. 1er du NCPP, qui dispose qu’il doit être définitivement statué sur la cause de toute personne poursuivie dans un délai raisonnable, le Législateur ivoirien a fixé des délais intangibles au cours desquels les inculpés détenus qui ont fait l’objet de renvoi devant les juridictions de jugement doivent obligatoirement comparaître devant celles-ci pour être jugés. 

Ainsi, selon l’art. 175 du NCPP, le prévenu détenu, renvoyé devant le tribunal correctionnel ainsi que l’accusé détenu qui a fait l’objet d’un arrêt de renvoi devant le tribunal criminel, doivent comparaître pour être jugés dans les délais respectifs d’un mois et six mois, à compter de la date de l’ordonnance de renvoi ou de l’arrêt de mise en accusation. À défaut de comparution de la personne détenue dans les délais ci-dessus indiqués, celle-ci est mise en liberté d’office.

Au terme de notre étude, il convient de retenir qu’en soixante années la détention préventive, en Côte d’Ivoire, a connu une timide évolution. En cinquante-huit années, soit de novembre 1960 à décembre 2018, ce sont les mêmes règles, parfois désuètes et inadaptées, contenues dans la loi n°60-366 du 14 novembre 1960 portant Code de procédure pénale, qui ont régi la détention préventive sur toute l’étendue territoire de la République. 

À la faveur de plusieurs reformes circonstancielles, lesdites règles ont quelques fois fait l’objet de modification. C’est finalement le 27 décembre 2018, que le législateur ivoirien va, à travers la loi n°2018-975, adopter un nouveau Code de procédure pénale, qui va opérer une refonte de la détention préventive, avec pour principal objectif la protection des droits de l’inculpé. Pour éviter même le recours systématique à la détention préventive, la loi susvisée a prévu des conditions légales préalables devant être réunies avant tout placement en détention préventive. 

Mieux, avec cette nouvelle loi, la détention préventive devient une mesure vraiment exceptionnelle à laquelle le Juge ne peut recourir qu’en dernier ressort, lorsque le contrôle judiciaire s’avère inefficace.

Toutefois, les innovations apportées à la détention préventive n’auront de sens que si elles sont strictement appliquées, chaque acteur jouant le rôle qui lui est dévolu par la loi.


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