Introduction générale à l'étude du droit : Théorie générale du droit - Ivoire-Juriste
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Introduction à l'étude du droit
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Introduction générale à l'étude du droit : Théorie générale du droit
Introduction générale à l'étude du droit : Théorie générale du droit

Ce cours sur la théorie générale du droit constitue la première partie du cours complet d'Introduction Générale à l'étude du droit subdivisé en trois parties : une introduction, ensuite la première partie que voici ( Théorie générale du droit ) et enfin la deuxième partie ( Les prolégomènes au droit ivoirien ).


Partie I : Théorie générale du droit

Jean-Louis Bergel, Théorie générale du droit, Dalloz, Paris, 2012. Une conception globale du droit est indispensable à l'étude et à l'élaboration des normes juridiques afin de découvrir, interpréter et mettre en œuvre, en théorie et en pratique, les diverses solutions possibles.

Le droit ne saurait se réduire à l'accumulation de connaissances et l'application de techniques. La théorie générale du droit a pour objet de saisir, dans le champ des possibles, le phénomène juridique tel qu'il est par l'étude de la raison d'être de ses finalités, de ses concepts fondamentaux, de sa mise en œuvre, de ses instruments, de ses méthodes, de ses modes d'application. 

C'est sans prétentions exhaustives, une tentative de recherche méthodique, au-delà des particularités, des modes de raisonnement et des mécanismes intemporels et universels du pourquoi et du comment de la pensée juridique.

Ainsi, l’exposé de la théorie du droit peut conduire à saisir le droit d’abord comme un système normatif (Titre 1), ensuite une science (Titre 2) et enfin une technique (Titre 3).

Titre I : Le droit, un système normatif

Un système est formé d'un ensemble d’éléments entretenant entre eux des interactions. À ce titre, le droit constitue un système normatif en ce qu’il comprend plusieurs sources. Ces différentes sources du droit entretiennent juridiquement entre elles des rapports interactifs.

En effet, le droit est un ensemble de règles de nature, de forme et d’origine diverses. Il s'agit, en effet, de règles écrites ou coutumières, de règles jurisprudentielles ou légiférées. Cette diversité de règles ou de normes conduit à appréhender le droit comme un système normatif comprenant non seulement un ensemble hiérarchisé de sources (Chapitre 1), mais aussi un ensemble formé de divers systèmes de sources (Chapitre 2). Bien plus, le droit est certes constitué d’un ensemble, mais un ensemble de règles spécifiques (Chapitre 3).

Chapitre I - Un ensemble hiérarchisé de sources

Dans un langage non technique, les sources du droit renvoient à l’origine du droit ou de la règle du droit. Les sources du droit s'inscrivent dans un cadre hiérarchisé. On parle à cet effet de la hiérarchie des normes juridiques. La hiérarchie des sources signifie qu’une source inférieure ne peut empiéter sur un domaine réservé à une source supérieure ; elle doit lui être conforme et ne peut l’abroger.

La notion de hiérarchie des normes a d'abord été formulée par le théoricien du droit Hans Kelsen (1881-1973), auteur de la Théorie pure du droit, fondateur du positivisme juridique, qui tentait de fonder le droit sans faire appel à la morale et au jus naturalisme, ceci afin d'élaborer une Science véritable du droit (donc axiologiquement neutre, c'est-à-dire indépendante des présupposés subjectifs et des préjugés moraux de chacun).

Selon Kelsen, toute norme juridique reçoit sa validité de sa conformité à une norme supérieure, formant ainsi un ordre hiérarchisé. Plus elles sont importantes, moins les normes sont nombreuses : la superposition des normes (circulaires, règlements, lois, Constitution) acquiert ainsi une forme pyramidale, ce qui explique pourquoi cette théorie est appelée pyramide des normes. 

Cet ordre est dit « statique », car les normes inférieures doivent respecter les normes supérieures, mais il est également « dynamique », car une norme peut être modifiée en suivant les règles édictées par la norme qui lui est supérieure. La norme placée au sommet de la pyramide étant, dans de nombreux systèmes juridiques, la Constitution.

Puisque la Constitution elle-même ne pouvait recevoir son caractère obligatoire que d'une norme supérieure, et qu'une telle norme n'existait pas, Kelsen faisait intervenir le concept de « norme fondamentale », qui consiste principalement en un présupposé méthodologique nécessaire afin de donner un caractère cohérent à la théorie du droit.

Cette théorie de la hiérarchie des normes ne peut s'appliquer que pour les Constitutions dites « rigides ». Dans un État à Constitution « souple », la Constitution est généralement élaborée, votée, et révisable par l’organe législatif habituel, de la même façon qu'une loi ordinaire. De ce fait, ces deux normes ont une valeur juridique identique, et la loi n'est donc pas inférieure à la Constitution. 

À l'inverse, dans un État à constitution « rigide », la Constitution est élaborée et/ou votée par un organe spécialisé (gouvernement, groupe de travail), voire adoptée par référendum. Sa procédure de révision fait également intervenir un organe spécial et/ou le peuple, qui dispose du pouvoir constituant dérivé. C'est pourquoi elle a une force juridique particulière, supérieure aux autres normes, qui devront dès lors la respecter.

La hiérarchie des normes est un principe de base des régimes démocratiques : elle impose l'État de droit et empêche le règne de l’arbitraire : le gouvernement (le pouvoir exécutif) doit respecter l’autorité de la loi. Pour bien appréhender la hiérarchie des normes, il est utile d’exposer les différentes sources du droit en faisant la distinction entre les sources écrites et les sources non écrites.

Section 1- Les sources écrites ou sources directes

La notion de source du droit, entendue dans un sens générique, est difficilement définissable, ambiguë et équivoque. Cette situation est favorisée par le pluralisme qui caractérise ce que l’on qualifie de source du Droit. La source du droit doit être entendue en termes génériques comme ce par quoi procède la formulation de la règle de droit. Cette définition, on le voit, est laconique et surtout imprécise.

Les auteurs qui ne s’enferment pas dans un positivisme abstrait admettent que lorsque l’on évoque la question des sources du droit, il y a deux dimensions qui, bien entendu (parce que nous sommes dans un domaine qui privilégie les formes) bénéficient d’un traitement différencié. Les sources du droit sont, en effet, aussi bien formelles que matérielles.

Les sources matérielles renvoient à l’ensemble des forces ou facteurs socio-économiques et politiques, qui conditionnent l’existence et le contenu des normes juridiques ; par contre, les sources formelles correspondent au processus technique de formation des normes juridiques.

Ici, la notion de sources du droit renvoie à la question des modes d’élaboration des règles de droit ; en d’autres termes, des procédés par lesquels, comme le dit un auteur, les normes juridiques accèdent à l'existence historique (sous-entendu juridique), s’insèrent dans le droit positif et acquièrent validité (Michel VIRALLY p.148)

En effet, lorsque l’on évoque le fondement juridique d’une obligation ou d’une situation, c’est en référence aux sources formelles du droit. Ces sources formelles sont recherchées à partir des autorités compétentes, de la place de ces autorités dans la hiérarchie des organes ainsi que des procédures utilisées dans l’édiction des normes. Ce sont ces dernières sources, qui peuvent être écrites ou non écrites, revêtent davantage d’intérêt pour le juriste.

Les sources écrites du droit sont diverses ; elles « sont celles qui sont consignées dans des documents spécifiques, dénommés, dans une acception générique, texte de lois ». On les désigne souvent sous l’expression de « texte ». Ce sont plus généralement la constitution, le traité ou accord international, la loi et les règlements.

Paragraphe 1- La constitution et le traité : deux sources supérieures à la loi

Dans l’ordre juridique interne de l’État, la constitution et le traité international se placent au-dessus de la loi. Ce sont deux sources supra-légales.

A- La constitution

La constitution est un ensemble de règles ayant pour objet d’assurer l’organisation et le fonctionnement des différentes institutions comprenant l’État. Elle peut prendre une forme écrite ou non écrite ; mais la constitution écrite demeure la plus répandue. Dans sa forme écrite, la constitution apparaît plus visiblement comme la norme fondamentale de l’État et la norme suprême dans l'État (1) ; elle est par ailleurs structurée en deux parties (2).

1- La constitution, norme fondamentale de l’État et norme suprême dans l’État

La constitution est l’acte par lequel l’État accède à l’existence juridique. C’est la constitution qui fonde juridiquement l’État. C’est à juste titre qu’elle est appelée la norme ou loi fondamentale. Elle peut exister sous différentes formes : la constitution écrite, la constitution coutumière, la constitution rigide, la constitution souple, la constitution matérielle, la constitution formelle. 

Tout État a nécessairement une constitution et toute constitution n’existe à proprement parler que dans le cadre d’un État. La première constitution écrite demeure la Constitution des États-Unis d’Amérique du 17 septembre 1787, qui est d’ailleurs toujours en vigueur.

Une "Constitution écrite" est une Constitution qui est formalisée dans un document unique ou dans un ensemble de lois dites constitutionnelles, dont la valeur juridique est considérée comme supérieure à celles des autres règles juridiques. 

La grande majorité des constitutions actuelles sont des Constitutions écrites. Elles se distinguent des "Constitutions coutumières" qui sont composées d'un ensemble de règles non écrites régissant l'organisation du pouvoir, même si certains documents écrits peuvent en servir de base.

Pour avoir une portée juridique plus accrue, en plus d’être écrite, la constitution doit être formelle. Dans ce cas, elle ne peut être révisée (modifiée) que par organe spécial selon une procédure spéciale et des formes solennelles dérogatoires aux procédures et formes législatives ordinaires. En conséquence, une norme juridique inférieure ne peut violer l’autorité de la norme fondamentale. La constitution écrite et formelle prescrit toujours un procédé juridictionnel de garantie de sa suprématie : c’est le contrôle de constitutionnalité.

Ce procédé juridictionnel de protection de la suprématie constitutionnelle fait de la constitution la norme suprême dans l’État. La constitution est au-dessus de toutes les autres normes juridiques dans l’État.

2- La constitution, norme structurée en deux parties

C'est un texte de loi qui porte constitution d’un État ; mais il ne s’agit pas d'une loi ordinaire. La loi portant constitution est une loi constitutionnelle ; il en va ainsi de la « Loi n° 2016-886 du 8 novembre 2016 portant Constitution de la République de la Côte d'Ivoire » ou de « la Loi n° 2000-513 du 1er août 2000 portant Constitution de la République de Côte d’Ivoire » ou encore de « la Loi fondamentale de la République fédérale d’Allemagne du 23 mai 1949. »

Les constitutions modernes sont structurées en deux parties formellement inégales : le préambule et le dispositif ou corpus constitutionnel (corps de la constitution).

- Le Préambule de la Constitution

Le préambule est un préliminaire, généralement très bref, qui sert de propos introductif à la constitution et exprime la philosophie politique et sociale de l’Etat. Il en va ainsi du préambule de la Constitution des Etats-Unis d’Amérique du 17 septembre 1787, qui déclare avec une brièveté remarquable :

« Nous, Peuple des États-Unis, en vue de former une Union plus parfaite, d'établir la justice, de faire régner la paix intérieure, de pourvoir à la défense commune, de développer le bien-être général et d'assurer les bienfaits de la liberté à nous-mêmes et à notre postérité, nous décrétons et établissons cette Constitution pour les États-Unis d'Amérique ».

A contrario, depuis le renouveau démocratique des années 1990, les préambules des Constitutions des Etats d’Afrique paraissent relativement longs. Cela d’autant qu’ils exposent, dans leur majorité, la philosophie politique de l'Etat et surtout la vision socio-politique des peuples en quête d'une liberté et d'une identité fondées sur des valeurs intangibles. L'une des principales évolutions est la reconnaissance de la valeur juridique de ces préambules.

Certains préambules des constitutions africaines vont jusqu'à retracer l'histoire de ces "vaillants peuples" et leurs victoires héroïques arrachées de hautes luttes. Par ces exaltations lyriques, ces peuples, devenus détenteurs du pouvoir constituant originaire, entendent affirmer leur droit à l'autonomie constitutionnelle et leur adhésion aux droits et libertés.

L'affirmation d'un droit à l'autonomie constitutionnelle par les constituants africains peut paraître paradoxale après plus de quarante années d'indépendance. Mais, dans le cadre du processus de démocratisation et de transformations constitutionnelles des Etats d'Afrique, la question de l'autonomie constitutionnelle revêt un intérêt renouvelé. Elle traduit la volonté des peuples d'imprimer leur marque dans les constitutions nouvellement établies ; ce qui conduit à produire un certain discours politique.

Dans les États qui ont connu des tensions internes fratricides et meurtrières, notamment avec le cas rwandais, cette description de l’histoire politique teintée de lyrisme manifeste plus encore la volonté du peuple souverain d'imprimer sa marque aussi bien dans la lettre que dans l'esprit de la constitution. 

Symboliquement, la constitution devient ainsi un instrument de projection du destin, des croyances, des espérances, de l'idéal national et de personnification de la nation. Ce qui apparaît comme l'expression d'une volonté de créer un certain type de société et induit implicitement un discours politique dans les constitutions africaines.

- Le dispositif de la constitution ou corpus constitutionnel

Le dispositif est le corpus constitutionnel ; c’est-à-dire le corps même de la constitution.

Le dispositif de la Constitution des Etats-Unis d’Amérique du 17 septembre 1787 est constitué en sept Articles subdivisés en Sections. Le dispositif de la constitution de la Loi fondamentale de la République fédérale d’Allemagne du 23 mai 1949 est organisé en : I. Les droits fondamentaux ; II. La Fédération et les Länder ; III. Le Bundestag ; IV. Bundesrat ; V. Le Président fédéral ; VI. Le Gouvernement fédéral ; VII. La législation de la fédération ; VIII. L’exécution des lois fédérales et l’Administration fédérale ; IX. Le pouvoir judiciaire ; X. Les Finances ; XI. Dispositions transitoires et finales. Chacune de ces parties est constituée de plusieurs articles. 

Le corpus de la constitution de la République italienne du 27 décembre 1947 comprend deux parties (Droits et devoirs des citoyens, Organisation de la République) structurées en Titres, en Sections et en Articles.

D’une façon générale, l’objet du dispositif constitutionnel consiste à définir avec précision les droits et libertés fondamentaux et surtout à organiser le pouvoir politique d’État. Ce qui conduit à prévoir dans les dispositions constitutionnelles des mécanismes ou procédés de contrôle de constitutionnalité des lois.

B- Les traités et accords internationaux

Le traité est une source du droit international ; ce qui conduit à reconnaître l'existence, dans l’ordre international, d’une autre hiérarchie dans la mesure où l’on reconnaît l’existence du jus cogens : « Il s’agit ou il s’agirait de normes impératives du droit international auxquelles aucune dérogation ne serait permise et dont la violation, à l’occasion de la conclusion de traités ou d'accords internationaux, entraînerait la nullité de ceux-ci ».

Le traité, lorsqu’il est ratifié, est également une source du droit interne.
Dans l’ordre interne, la Constitution a une primauté sur le traité ou l’accord international ; il est, par contre, supérieur à la loi.
 
Paragraphe 2 : La loi, une source privilégiée
 
La loi est la source écrite quantitativement la plus importante. En effet, dans tous les systèmes constitutionnels aujourd’hui, la loi occupe une position dominante ; ceci transparaît dans la place privilégiée faite au légalisme dans les études juridiques, mieux dans les ouvrages d’introduction au droit. Une autre raison tient de ce que la matière législative s’étend à tous les domaines de la vie sociale.

Les rapports entre la loi et les sources supérieures, notamment la constitution et le traité, sont régis par le principe de la hiérarchie des normes. C’est ainsi que d’une part le procédé du contrôle de constitutionnalité permet d’assurer la suprématie de la constitution sur les lois ; et que d’autre part, le juge constate la supériorité du traité sur la loi.

Cependant, bien que se trouvant dans un rapport de subordination à la constitution et au traité, la loi demeure la principale source écrite, en ce que la grande majorité des rapports de droit est régie par des lois. Il peut arriver que la constitution soit suspendue à l’issue d’un coup d’État ; mais les lois ne cessent pas pour autant de régir la vie sociale.

A- La loi est caractérisée par un certain pluralisme de sens

La loi est un mot à sens multiple ou même polysémique ; elle revêt plusieurs significations ou sens résultant de son étymologie et de ses acceptions modernes. Mais, cette polysémie procède davantage de ce que la loi est définie aussi bien au sens matériel qu’au sens formel ; et même, en retenant le sens formel, il faut faire une distinction entre la loi ordinaire et les autres lois.

1- Les différentes déclinaisons traditionnelles de la notion de loi

La notion de loi a pris des sens divers qui ont connu des mutations dans le temps. Ainsi, étymologiquement, le mot de loi vient du verbe latin lego, mais il y a deux verbes lego : legare et legere. Pour certains, lex viendrait du verbe legare = lier ; étymologiquement, la loi désignerait alors toute règle qui lie, qu’elle soit écrite ou non. 

Pour d’autres, lex viendrait du verbe legere = lire ; la loi serait ainsi la règle qu’on peut lire, parce qu’elle a été écrite par une autorité religieuse ; par exemple, les Tables de la loi ont été écrites par Moïse et Aaron sous une dictée divine. La loi s’opposerait, en ce sens, à une autre règle de droit qui est non écrite. 

La distinction est en, conséquence faite entre la coutume, qui a été tacitement acceptée par ceux qu’elle gouverne et tire sa force obligatoire de cette acceptation, et la loi qui a été plutôt imposée par une autorité qui vient d’en haut.

Toutefois, dans la tradition moderne, la déclinaison de la notion de loi conduit à d’une part une distinction entre la définition formelle et la définition matérielle et d’autre part, une distinction entre la loi ordinaire, la loi organique et la loi constitutionnelle.

- La distinction entre la définition formelle et la définition matérielle de la loi

La définition matérielle appréhende la loi dans une acception large. On parle ainsi de définition générale.

Au sens général, la loi désigne tout acte de portée générale pris par une autorité étatique compétente pour régir une situation. Ici, la loi s’identifie à la notion de règle de droit. Elle s’analyse en un acte de législation par opposition à l’acte conventionnel [ou contractuel] ; en un mode de formation autoritaire, centralisé et général du droit (Michel VIRALLY).

Cette définition qui ne tient pas compte de l’auteur de l’acte ni de la procédure par laquelle cet acte a été pris, induit une confusion entre tous les actes étatiques qui disposent par la généralité. Ce qui importe, dans ce critère matériel, c’est l’objet de l’acte ainsi que les caractères d’étatique, de généralité et d’obligatoriété qui lui sont attachés ; dans ce contexte, le règlement (acte du pouvoir administratif) est égal à la loi (acte du pouvoir parlementaire).

La définition matérielle est si imprécise et si générale que le souci de clarté invite à spécifier ce qu’est la loi au sens formel et organique. La définition formelle et organique (définition organico-formelle) appréhende la loi en considération de l’autorité qui en est l’auteur. En d’autres termes, la loi se définit par l'autorité publique qui l’énonce.

Au sens formel et organique (organico-formel), la loi est un acte de portée générale pris par le peuple (dans un système de démocratie directe) ou à l'occasion d’un référendum ou par le pouvoir parlementaire (dans un système représentatif).

- La distinction entre la loi ordinaire, la loi organique, la loi référendaire, la loi constitutionnelle

Le terme de loi fait l’objet de divers usages aussi bien dans le langage courant (loi naturelle, loi divine, loi du plus fort), dans le langage scientifique (lois biologiques, lois physiques) que dans le langage juridique.

Le juriste fait la distinction principalement entre la loi ordinaire, la loi organique, la loi référendaire et la loi constitutionnelle.

La loi constitutionnelle peut être originaire ou dérivée et a pour objet l’établissement ou la révision de la constitution. Elle définit les droits fondamentaux, fixe l’organisation des pouvoirs et détermine leurs rapports réciproques. 

En clair, la loi constitution, c’est la constitution. Avec l’avènement de la IIIè République en Côte d’Ivoire, C’est la constitution du 8 Novembre 2016 y compris le préambule.

Les lois organiques : Elles se rapportent à l’organisation et au fonctionnement des pouvoirs publics.

Les lois formellement organiques étaient imparfaitement connues de la Constitution et de la pratique des institutions politiques ivoiriennes de la 1 ère République, même si la Cour Suprême de Côte d’Ivoire a qualifié la loi de 1978 relative à son organisation et à son fonctionnement de loi organique (voir: MELEDJE DJEDJRO F. « Commentaire de l’arrêt n° 1 de la Cour Suprême de Côte d’Ivoire - Chambre Constitutionnelle, « Vacance de la Présidence de la République de Côte d’Ivoire (9 décembre 1993) » Revue Ivoirienne de Droit, 2000) ou si la loi n°94 - 439 du 16 août 1994 déterminant la composition, l’organisation, les attributions et les règles de fonctionnement du Conseil constitutionnel fait, en son article 18, obligation de soumettre les lois organiques au contrôle de constitutionnalité avant leur promulgation. 

Même l’évolution opérée à l'occasion de la révision constitutionnelle du 02 juillet 1998 et reconnaissant formellement les lois organiques n’aura cependant pas permis de lever complètement les équivoques à propos des lois dites organiques adoptées antérieurement à cette date.

Ailleurs, dans d’autres systèmes constitutionnels et depuis peu, en Côte d'Ivoire avec les Constitutions du 1er août 2000 et du 8 novembre 2016, la notion juridique de loi organique existe, à laquelle sont attachées de véritables conséquences juridiques : 

1/ c’est la constitution qui détermine son existence et sa dénomination ; 

2/ elle est adoptée et modifiée selon une procédure plus rigoureuse que celle de la loi ordinaire ; 

3/ sa promulgation est subordonnée à une décision de conformité à la constitution prononcée par le juge constitutionnel.

Les lois référendaires : adoptées directement par le Peuple, elles échappent au contrôle de constitutionnalité (Conseil constitutionnel français, loi référendaire, 6 novembre 1962). 

Ces lois étaient inconnues de la pratique institutionnelle en Côte d’Ivoire, avant que ne soit adoptée par le référendum des 23 et 24 juillet 2000, deux lois référendaires. 

L’une est une loi constitutionnelle : Loi n° 2000 - 513 du 1er août 2000 portant constitution de la Côte d’Ivoire. L’autre est une loi ordinaire : la loi n°2000 - 514 du 1er août 2000 relative au code électoral.

Les lois ordinaires : elles sont adoptées selon la procédure ordinaire à la majorité simple des parlementaires. La loi ordinaire est l’ensemble des règles qui fixent la citoyenneté, la nationalité, l’état et la capacité des personnes, le statut général de la fonction publique, la détermination des crimes et délits...

Toutefois, des formes particulières de lois ordinaires existent. Ces lois ordinaires particulières demeurent, certes, des lois ordinaires à raison de leur rang (valeur législative), mais sont particulières par leur objet qui est particulier. Ce sont :

- Les lois (ordinaires) référendaires ;

- Les lois de finances. Elles déterminent les ressources et les charges de l’État. On en distingue trois catégories : la loi de finances de l’année (prévision et autorisation) ; la loi de finances rectificative ou corrective budgétaires (adaptation du budget à l’état des besoins de la nation) ; la loi de règlement (contrôle sur l’exécution du budget) ;

- Les lois de programme « fixent les objectifs de l’action économique et sociale de l’État ». Le constituant français utilise plutôt l’expression de lois de programmation : « Des lois de programmation déterminent les objectifs de l'action de l'État. 

Les orientations pluriannuelles des finances publiques sont définies par des lois de programmation. Elles s'inscrivent dans l'objectif d'équilibre des comptes des administrations publiques ».

- Les lois-cadres sont celles qui se contentent de déterminer les principes généraux et laissent le soin au règlement de les développer, de les préciser.

- La distinction entre la loi supplétive, la loi interprétative et la loi impérative

La distinction entre la loi supplétive et la loi impérative repose sur leur force obligatoire.

Une loi est dite supplétive lorsqu’elle s’applique en l’absence d’une manifestation de volonté contraire (de son destinataire). La loi interprétative est celle qui permet d’interpréter la volonté des sujets de droit, notamment les parties à un contrat ou une convention.

Une loi est dite impérative lorsqu’elle s’impose à des sujets de droit sans possibilité pour elle d’y déroger par des conventions ou par des stipulations conventionnelles contraires.

2- La détermination constitutionnelle de la notion de loi

Dans le dispositif constitutionnel, on retrouve des dispositions pouvant permettre de cerner la notion de loi.

On peut en conséquence affirmer que d’une part la loi est une notion constitutionnelle et d’autre part que la constitution appréhende la loi au double sens matériel et formel.

- La loi est une notion constitutionnelle

En tant que notion constitutionnelle, les constitutions modernes consacrent plusieurs de leurs articles à la loi. De ce point de vue, la nouvelle constitution ivoirienne de 2016 prévoit en son article 93 l’autorité habilitée à édicter la loi et l'article 101 les matières dans lesquelles le législateur peut intervenir. 

En conséquence, la loi a un sens spécifique : son fondement juridique se trouve notamment dans la nouvelle constitution de 2016, en ses articles 51  (exercice direct ou indirect de la souveraineté du peuple), 74 (procédure législative), 75 (référendum législatif) et au titre V (distinction des domaines respectifs de la loi et du règlement, procédure d’élaboration de la loi).

- La constitution appréhende la loi au double sens matériel et formel

La définition constitution de la loi repose à la fois sur un critère matériel et organico-formel : la loi est un « texte voté par le Parlement dans les matières qui lui sont réservées par la constitution ». Cette définition désigne à la fois l’organe et les matières entrant dans le domaine de la loi.

Relativement au critère organico-formel, l’article 93 de la Constitution ivoirienne du 8 novembre 2016, s’inscrivant dans la même démarche que l’article 34 de la Constitution française du 4 octobre 1958, dispose : « Le Parlement  vote la  loi  et  consent  l'impôt».

Cette disposition pose un principe péremptoire selon lequel l’Assemblée nationale est la seule autorité pouvant créer la loi. Toute loi émane en conséquence de l’Assemblée nationale. Mais, tous les actes édictés par l'Assemblée nationale ne sont pas des lois. La loi est une règle générale et impersonnelle ; elle se distingue ainsi d’une résolution adoptée par l'Assemblée nationale.

La loi est certes une règle générale et impersonnelle émanant de l’Assemblée nationale, mais il faut recourir au critère matériel pour l'identifier pleinement. L’article 101 prévoit les matières relevant du domaine de la loi : « La loi fixe les règles concernant :

- La citoyenneté, les droits civiques et les garanties fondamentales : accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques ;

- La nationalité, l'état et la capacité des personnes, les régimes matrimoniaux, les successions et les libertés ;

- La procédure selon laquelle les coutumes sont constatées et mises en harmonie avec les principes fondamentaux de la constitution ;

- La détermination des crimes et délits ainsi que des peines qui leur sont applicables, la procédure pénale, l'amnistie ;

- L'organisation des tribunaux judiciaires et administratifs et la procédure suivie devant ces juridictions ;

- Le statut des magistrats, des officiers ministériels et des auxiliaires de Justice ;

- Le statut général de la Fonction publique ;

- Le statut du Corps préfectoral ;

- Le statut du Corps diplomatique ;

- Le statut du personnel des collectivités locales ;

- Le statut de la Fonction militaire ;

- Le statut des personnels de la Police nationale ;

- L'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toute nature ;

- Le régime d’émission de la monnaie ;

- Le régime électoral de l’Assemblée nationale et des Assemblées locales ;

- La création de catégories d'établissements publics ;

- L'état de siège et l'état d'urgence ;

La loi détermine les principes fondamentaux :

- De l’organisation générale de l’Administration ;

- De l’Enseignement et de la Recherche scientifique ;

- De l ’organisation de la Défense nationale ;

- Du régime de la propriété, des droits réels et des obligations civiles et commerciales ;

- Du droit du travail, du droit syndical et des institutions sociales ;

- De l'aliénation et de la gestion du domaine de l’État ;

- De la mutualité et de l'épargne ;

- De la protection de l'environnement ;

- De l’organisation de la production ;

- Du statut des Partis politiques ;

- Du régime des transports et des télécommunications... ».

La détermination constitutionnelle de la loi permet de faire la différence entre les normes de forme législative et les normes de force législative.

L’expression « norme de force législative », qui diffère de celle de « norme de  forme législative », recouvre une diversité de règles juridiques ; la loi ordinaire, l’ordonnance et les mesures législatives prises par le Président de la République dans le cadre de ses pouvoirs de crise.

- La distinction entre la loi ordinaire, l’ordonnance et les mesures législatives du Président de la République

La loi ordinaire est adoptée selon la procédure législative à la majorité simple des parlementaires dans l’une des matières énumérées par la Constitution.

L'ordonnance est un acte émanant du Président de la République ; elle intervient dans les matières réservées à la loi : « Le Président de la République peut, pour l'exécution de son programme, demander à l'Assemblée nationale l'autorisation de prendre par ordonnance, pendant un délai limité des mesures qui sont normalement du domaine de la loi ».

Elle doit être ratifiée par le Parlement. Lorsque ces conditions sont réunies, les ordonnances ont force de loi et ne peuvent être modifiées que par une loi.

Les mesures législatives du Président de la République.

Les mesures, en matière législative, prises par le Président de la République, en cas d'application des circonstances exceptionnelles, ont force de loi. 

De telles mesures sont prévues par l’article 16 de la Constitution française du 4 octobre 1958 et par l'article 48 de la Constitution du 1er août 2000 : « Lorsque les Institutions de la République, l'indépendance de la Nation, l’intégrité de son territoire ou l'exécution de ses engagements internationaux sont menacées d'une manière grave et immédiate, et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu, le Président de la République prend les mesures exceptionnelles exigées par ces circonstances après consultation obligatoire du Président de l'Assemblée nationale et de celui du Conseil constitutionnel. Il en informe la Nation par message. l'Assemblée nationale se réunit de plein droit ».

Dans sa décision N° CI-2014-139/26-06/CC/SG du 26 juin 2014 relative au recours par voie d’exception d'inconstitutionnalité soulevée par la société APM Terminals Côte d'Ivoire en ce qui concerne la Décision n° 001/ PR du 11 janvier 2012 portant création, organisation et fonctionnement des tribunaux de commerce, le Conseil constitutionnel ivoirien a décidé : « Considérant qu’en effet, dans le cadre de l’article 48 de la Constitution relatif aux circonstances exceptionnelles, le Chef de l’État peut se substituer à l’Assemblée nationale et prendre des décisions, même dans les matières qui relève du domaine de la loi, tel que circonscrit par l’article 71 de la Constitution : Qu’il en résulte que la décision n° 001/ PR du 11 janvier 2012, ayant le caractère législatif est une loi au sens formel ; Qu’il y a lieu de recevoir le recours comme dirigé contre une loi ».

B- La loi demeure la principale source écrite : la controverse sur les sources dérivées de la loi ou sources extra-légales

Les travaux méthodologiques, et en particulier ceux de François Geny, ont permis de mettre en évidence l’existence d’autres sources parallèlement à la loi. Mais, les auteurs restent divisés lorsqu’il s’agit de préciser quelles sont ces sources, leur structure et leur rôle exact. Dans la diversité des opinions, deux tendances transparaissent :

1- La première tendance de la controverse : La loi écrite est la source de base

Cette première tendance considère que la loi écrite est toujours la source de base. Les autres sources n’ont ainsi qu’un rôle accessoire ou tout au moins second : « Elles n’interviennent que dans la mesure où la loi les admet soit expressément, soit implicitement ou donne compétence aux organes dont elles émanent ». Ces sources dérivées sont la coutume, la jurisprudence, les actes juridiques, les principes généraux et la doctrine.

La loi étant la source de base, les autres sources sont des sources dérivées ; elle tire leur existence juridique de la loi. 

Cette tendance, dont les origines remontent jusqu’à l’école exégétique, a reçu un appui des thèses normativistes : l’ordonnancement juridique ne comprend pas nécessairement les seules règles légales stricto ou lato ; mais la loi domine la hiérarchie des règles et/ou les compétences subordonnées. 

La coutume ou l’usage par exemple n’interviennent qu’à raison et dans la mesure de ce renvoi.

2- La deuxième tendance de la controverse : Les sources extra-légales ont une force créatrice propre (autonome)

La deuxième tendance de la controverse envisage chaque source extra-légale comme une force créatrice propre, autonome, en dehors de l’intervention de la loi. Bien qu’intervenant dans l’environnement de la loi, les sources extra-légales demeurent autonomes. 

Dans cette conception, on peut convenir que la force obligatoire de la coutume s’explique par des raisons indépendantes d’un renvoi du législateur donnant compétence aux usagers dans telle ou telle matière déterminée. 

Cette conception est particulièrement accueillie en droit international où l’absence d'un véritable pouvoir législatif oblige à se tourner vers les sources extra-légales indépendamment de toute permission ou référence légale.

Dans cette seconde tendance, il n’est pas exclu que l’on recherche des éléments communs entre la structure de la loi et celle des sources extra-légales. 

C’est ce que tendent à faire notamment les théories institutionnelles qui font apparaître dans l’élaboration des règles de droit, avec des degrés divers d’importance et d’intensité, le double élément du pouvoir qui pose la règle, et de l’adhésion des intéressés qui vient en parfaire la validité et l’efficacité.

C- La loi revêt une effectivité juridique

Pour prendre tout sens, la loi doit revêtir une affectivité juridique. Celle-ci tient à son existence juridique et à son autorité juridique.

1- L’existence juridique de la loi

La loi, norme édictée par le pouvoir législatif, ne vient à l’existence juridique qu’à l’issue de son élaboration et par l’entremise de son entrée en vigueur.

a- L’élaboration de la loi

Comment s'élabore la loi ? On sait qu’à l’époque, la plus ancienne le droit et la religion étaient indifférenciés. C’est sous la forme d’oracles que la loi était édictée, et le Roi législateur n’était qu’un représentant par qui Dieu parlait aux hommes. 

À la suite d'un processus de laïcisation, la loi s’exprima par les autorités de l’État. Dans les États de démocratie directe, la loi émanait de l’ensemble des citoyens. Sous les régimes parlementaires, elle est votée par les représentants de la nation élus à cet effet ; alors que sous les régimes de monarchie absolue, elle émanait du Roi, censé incarné dans sa personne la nation qu’il gouvernait.

Étant l’expression de la volonté générale, la loi est d’autant meilleure qu’elle donne davantage satisfaction à un besoin ressenti par la collectivité. C’est pourquoi son élaboration doit être opérée avec soin.

Le processus d’élaboration de la loi passe par deux moments : l’initiative et l’adoption.

- L’initiative de la loi

L’initiative de la loi est partagée par le Président de République et les membres du parlement (article 13 de la Constitution de 1960, article 42 de Constitution de 2000, article 74 de la Constitution de 2016).

Le projet de loi est un projet de texte dont l’initiative est du pouvoir exécutif. La proposition de loi est un projet de texte dont l’initiative est du pouvoir législatif.

Les initiatives législatives sont en droit et en fait à l’avantage du pouvoir exécutif ; par exemple, les dispositions de l'article 108 de la Constitution de 2016 à propos de la limitation des propositions et amendements qui auraient pour conséquence de diminuer les ressources publiques ou d’aggraver les charges. 

Les Constitutions de 2000 et de 2016 ont elles-mêmes prévu des limitations au pouvoir d’amendement en donnant le droit au Président de la République et aux députés de saisir le Conseil constitutionnel à cet effet.

- L'adoption de la loi

La loi est discutée en commission puis en assemblée plénière. Elle est votée par l’Assemblée Nationale (article 93, Constitution ivoirienne du 8 novembre 2016, article 71, Constitution ivoirienne du 1er août 2000) ou par un parlement bicaméral (constitué d’une Assemblée nationale et d'un Sénat), c’est le cas en France (Article 24, Constitution française du 4 octobre 1958). Une loi simplement élaborée n’est applicable que si elle entre en vigueur.

b- L’entrée en vigueur de la loi

L’entrée en vigueur est soumise à deux conditions : la promulgation et la publication.

- La promulgation de la loi

Définition de la promulgation : C’est l’acte (un décret) par lequel le Chef de l’État atteste de l’existence de la loi (le Parlement l’ayant définitivement et régulièrement votée) et ordonne aux autorités publiques de l’exécuter et de la faire observer.

Les délais de promulgation : La loi doit être promulguée dans les 15 jours (article 74 de la Constitution de 2016 et article 42, Constitution de 2000) qui suivent la transmission par le Président de l’Assemblée Nationale ; ou dans les 5 jours en cas d’urgence.

De l’obligation juridique de promulguer : En Côte d’Ivoire, le chef de l’État avait refusé de promulguer une loi votée par l’Assemblée Nationale en 1963. Pour éviter la non promulgation de la loi par le Président de la République, la Constitution de 2016 prévoit une procédure d’exécution de la loi ; en effet " Une  loi  non  promulguée  par  le  Président  de  la  République  jusqu'à  l'expiration des  délais  prévus  au  présent  article  est  déclarée  exécutoire  par  le  Conseil constitutionnel,  saisi  par  le  Président  de  l’une  des  deux  chambres  du  Parlement, si  elle est  conforme à  la Constitution.".

La portée de la promulgation. C’est la date de promulgation qui constitue la date de naissance de la loi. La promulgation rend la loi opposable à l’administration.

La promulgation est-elle ou non une condition de la confection de la loi ?

- La publication de la loi

Définition de la publication : Au sens étymologique, publier, c’est porter à la connaissance du peuple. La publication est le mode de publicité générale et impersonnel, au contraire de la notification qui est un mode de publicité individuel. La publication est faite par l’insertion au Journal officiel, l’annonce radio ou l’affichage.

Effet de la publication : C’est la publication qui justifie la maxime : Nemo censetur ignorare legem. Mais c’est un principe d’une portée relative, car, faut-il encore que la règle de droit entre dans les mœurs.

La loi entre en vigueur et est rendue opposable aux citoyens trois (03) jours francs après la publication.

2- L’autorité de la loi

Il faut entendre par autorité, la force juridique attachée à la loi. Cette autorité doit être affirmée à l’égard des personnes et être délimitée dans l’espace et dans le temps.

a- L’autorité de la loi à l’égard des sujets de droit

L’autorité de la loi à l’égard des sujets de droit peut être précisée par deux principales règles. L’une prescrit que la loi est obligatoire ; l’autre suggère que l’autorité de la loi n’est pas éternelle : elle peut être abrogée.

- La loi est obligatoire : Nemo censetur ignorare legem

Dès lors qu’elle est adoptée, promulguée et publiée au journal officiel, la loi demeure, dans son principe, une règle obligatoire. Cette obligatoriété de la loi est consacrée par le principe Nemo censetur ignorare legem. Ce principe est assorti de tempéraments.

Le principe Nemo censetur ignorare legem : « Nul n’est censé ignoré la loi ».

La loi s’impose à tous, dès son entrée en vigueur. On explique traditionnellement cette règle par la présomption selon laquelle tout citoyen est censé connaître la loi dès lors qu’elle est publiée au journal officiel. En effet, la publication est une mesure de publicité tendant à porter la loi à la connaissance des particuliers ; en conséquence, c’est une obligation, un devoir civique et républicain pour tout citoyen de s’informer et de connaître les lois de la République.

La maxime Nemo censetur ignorare legem, au fond, devrait être lue : « Chacun est censé avoir eu la possibilité de s’informer de la loi ». Au demeurant, un tel principe conçu en occident pour des siècles de sobriété et d’immuabilité juridiques, est-il encore adapté à une époque d’inflation et d’effervescences législatives ? 

On peut peut-être esquisser un début de réponse en reprenant l’idée de Portalis, qui relevait que « La loi prend les hommes en masse. Elle parle non à chaque particulier, mais au corps entier de la société. Il suffit que les particuliers aient pu connaître la loi ».

Quoique pertinente, cette interprétation de Portalis est à relativiser non en France, mais surtout dans les États africains, notamment en Côte d'Ivoire.

Dans les États d’Afrique, les moyens d’information des citoyens sont réduits ; et la parution du journal officiel n’est pas toujours périodique et régulière.

Quand bien même, le journal officiel paraîtrait régulièrement, l’ignorance juridique des particuliers est telle qu’elle n’eut pu assurer pleinement l’information à tous. C’est ainsi que Philippe MALAURIE fait observer : « La présomption de connaissance de la loi relève de ces fictions dans lesquelles, trop souvent, les juristes se complaisent. Le droit a toujours été difficilement connu ; encore plus, celui d’aujourd’hui : immense, complexe, inconstant et souvent ésotérique. Le recours à la présomption de la connaissance de la loi est faux et inutile. La loi s’applique à tous du seul fait de son autorité, qu’elle ait été ou non connue ».

La loi est la condition de la liberté. En conséquence, les citoyens doivent se convaincre de ce que la loi est un mal nécessaire et que la loi et la liberté ne s’opposent pas toujours : il n’existe de vraie liberté sans contrainte. Il faut perdre un peu de liberté pour en avoir beaucoup. 

Ainsi, le droit contemporain de la concurrence en est une illustration, en ce que pour qu’il y ait une véritable liberté de la concurrence, la loi interdit les pratiques anticoncurrentielles.

Les tempéraments au principe Nemo censetur ignorare legem. Lorsque la loi a été publiée régulièrement, elle est obligatoire. Cette règle comporte plusieurs tempéraments, dont les plus importants résultent de la bonne foi et de l’apparence et, à un moindre degré, des dispenses et des dérogations.

Enfin, la loi n’est pas forcement prescriptive :
  •  La bonne foi est un tempérament à l’obligatoriété de la loi ; elle est sous-entendue par un grand principe juridique, Error communis facit jus : l’erreur commune fait le droit. L’apparence peut justifier l’ignorance, même juridique, quand elle s’accompagne de la bonne foi. La règle n’est pas expressément énoncée par la loi, elle découle des principes généraux.
À titre d’illustration, une personne acquiert (par un achat ou par une donation ou par tout autre mode d’acquisition à titre particulier) un bien d’une autre personne, qui n’en était propriétaire ; elle a acquis a non domino, elle n’a évidemment rien acquis, et le véritable propriétaire (verus dominus) peut revendiquer. Ce qui est l’application d’une règle de bon sens qui vient du fond des âges : Nemo plus juris transferre potest quam ipse habet : nul ni peut transférer plus de droits qu’il n’en a lui-même. Cependant, il se peut que l'acquéreur soit de bonne foi, c’est-à-dire qu’il ignore le défaut de propriété de son auteur. Dans ce cas, il doit sans doute restituer la chose.

Mais, en considération de sa bonne foi, la loi lui accorde une première faveur en lui permettant de conserver les fruits produits par la chose : il fait les fruits siens.
  • L’apparence est un autre tempérament au caractère obligatoire de la loi. Le droit (civil) va plus loin : si non seulement l’acquéreur ignorait l’absence de propriété de son auteur, mais aussi les autres gens, la conjonction de la bonne foi et de l’apparence va lui permettre de conserver aussi la chose. 

Par ailleurs, voici que le même acquéreur achète un immeuble de l’héritier du précédent propriétaire, sans savoir que son vendeur avait été exhérédé (c’est-à-dire que le "de cujus" avait légué ses biens à un tiers) ; il a sans doute acquis a non domino, mais il peut, en raison de sa bonne foi et de l’apparence, conserver la pleine propriété de ce bien : « dès que l’erreur commune et invincible, ainsi que la bonne foi des tiers, sont établies, les aliénations consenties par l’héritier apparent échappent à toute action en résolution dirigée par l’héritier véritable ». (Civ. 26 Janv. 1897, affaire Boussinière, D,P, 00. I. 33, 1er esp.)

En résumé :

Erreur + Bonne foi = Acquisition des fruits
Erreur + Bonne foi + Apparence = Acquisition de la propriété.

- Les dispenses et les dérogations sont également, dans certains cas exceptionnels, des tempéraments à l’obligatoriété de la loi. En effet, une autorité publique peut accorder une dispense ou une dérogation à l’application d’une loi même impérative : elle peut modérer la loi. En matière pénale, le Président de la République peut, par une mesure de grâce, dispenser un condamné de l’exécution de la peine ; le juge de l’application des peines peut réduire la durée d’une peine... 

Dans le droit des obligations, le juge peut accorder à un débiteur en difficultés des délais de grâce.

En droit pénal général, les dispenses peuvent prendre la forme d’une excuse absolutoire ou atténuante : « Constitue une excuse toute raison limitativement prévue et définie par la loi et dont l’admission, sans faire disparaître l’infraction, entraîne soit, dispense ou exemption de peine et, dans ce cas, l’excuse est dite absolutoire, soit atténuation obligatoire de la peine encourue et, dans ce cas, l'excuse est dite atténuante ».

Bénéficie de l’excuse absolutoire, celui qui commet une infraction sous l’empire d’une contrainte irrésistible à laquelle il lui est impossible de se soustraire.

- Les immunités et irresponsabilités sont d’autres tempéraments qui fragilisent l’autorité (obligatoriété) de la loi. En droit constitutionnel, les parlementaires bénéficient en général d’une immunité parlementaire : « Aucun Député ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé à l'occasion des opinions ou des votes émis par lui dans l’exercice de ses fonctions ». Ils bénéficient également d’une irresponsabilité pénale :

« Aucun Député ne peut, pendant la durée des sessions, être poursuivi ou arrêté en matière criminelle ou correctionnelle qu’avec l’autorisation de l’Assemblée Nationale, sauf le cas de flagrant délit, de poursuites autorisées ou de condamnations définitives. La détention ou la poursuite d’un Député est suspendue si l’Assemblée nationale le requiert ».

En droit pénal général, le Chapitre III (articles 105 à 108) du code pénal détermine les causes qui suppriment la responsabilité pénale : l’altération des facultés mentales ; les immunités familiales ou diplomatiques et les amnistiés.

- La loi peut être abrogée : l’abrogation de la loi

La loi ne s’inscrit pas dans l’éternité ; elle répond aux besoins de la société et évolue en conséquence avec les transformations sociales. Elle doit alors faire l’objet d’adaptabilité constante par sa modification ; le cas échéant, elle peut être dépassée et disparaître par son abrogation : il s’agit d’une abolition de la loi, lui faisant ainsi perdre son caractère obligatoire pour l’avenir.

Le droit d’abroger les lois n’appartient qu’au pouvoir qui a le droit de légiférer : cujus est condere legem ejus est abrogare (celui qui a le pouvoir de faire la loi a celui de l’abroger).

Pour certaines lois (peu nombreuses ), le terme est indiqué expressément et par avance (lois de finances, lois programmes, lois dites temporaires qui s’appliquent à une situation exceptionnelle). Pour la plupart, la force obligatoire s’éteint par l’abrogation. 

L’abrogation (en latin : abrogare signifie enlever, supprimer), c’est la mise à terme de la loi dans son application dans le temps. Sous cette définition extensive, l’abrogation désigne la notion juridique proprement dite ou autrement la désuétude.

- L’abrogation proprement dite

Ici, l’anéantissement de la force obligatoire de la loi existante procède de l’adoption d’une nouvelle loi portant naturellement sur le même objet.

L’abrogation pose avant tout le problème de l’autorité compétente ; comme l’écrivent les professeurs Jacques GHESTIN et Gilles GOUBEAUX « la loi ne peut être abrogée que par l’autorité qui a désormais pouvoir pour la faire ou encore par une autorité supérieure » (Problème de la hiérarchie des organes et des règles). '

L’abrogation comporte deux modalités : expresse ou tacite.

L’abrogation expresse : elle résulte de l’adoption d’une nouvelle loi qui énonce de manière formelle dans ses dispositions (le plus souvent les dispositions finales pour ce qui est de la loi proprement dite ; pour les actes réglementaires, l’abrogation est formulée d’entrée de jeu) que les dispositions de l’ancienne législation sont, en tout, ou partie abrogées.

Cette formule est simple ; elle clarifie les situations juridiques.

L’abrogation tacite : elle découle d’une application de la maxime « lex posterior ». L’abrogation tacite résulte de l’adoption d’une nouvelle loi dont les dispositions sont incompatibles avec celles de l’ancienne. Il doit s’agir d’une véritable incompatibilité ; incompatibilité à propos de laquelle le législateur ne s'est toutefois pas prononcé... Il faut plutôt faire preuve d'ingénierie, chercher à concilier les dispositions de l'ancienne et de la nouvelle loi.

La désuétude

Elle pose la question de la force dérogatoire de la loi par la coutume.
En Droit International Public, la coutume et le traité ont une force dérogatoire réciproque. En droit interne, la loi peut anéantir la coutume. Par contre, sur l’anéantissement de la loi par la coutume, le sujet donne plutôt lieu à une controverse, les opinions étant partagées, dans toutes les disciplines, d’ailleurs.

La désuétude des règles impératives est impossible, à moins d’un bouleversement fondamental des valeurs et des principes. Pour la désuétude des autres règles légales, les opinions doctrinales sont partagées : Jean-LUC AUBERT, Jean-Louis BERGEL, Jean CARBONNIER et Philippe MALAURIE estiment que la désuétude est impossible. Monique CHEMILLIER-GENDREAU, Jacques GHESTIN, Henri, Léon, Jean MAZEAUD et Michel de JUGLART, François TERRE pensent au contraire que ce processus est inévitable en fait.

Tout dépend de la force qu’on assigne à la coutume. Tant que la loi n’est pas abrogée, elle bénéficie d’une autorité.

On note la controverse au début du XXè siècle entre Léon DUGUIT et d'autres juristes. On sait en effet la définition établie par DUGUIT entre constitution sociale et constitution politique, la première étant supérieure à la deuxièmes.

Dans le prolongement de cette définition, se dégage celle qui prévaut entre norme sociale et norme positive ; cette dernière n’est qu’un simple énoncé (une loi ou une coutume) qui permet de dégager la norme, l’énonciation.

C'est donc une nouvelle norme de droit objectif inscrite dans la norme sociale qui modifie la loi positive ; ce n’est donc ni la coutume, ni la désuétude qui provoque cette transformation de la loi. On a déduit de cette analyse que Léon Duguit préconisait la désobéissance aux lois positives et on l’a qualifiée « d’anarchiste de la chaire » (HAURIOU)

b- L’autorité de la loi dans l’espace

La question de l’autorité de la loi dans l’espace relève d’une discipline spéciale, le droit international privé. Elle revêt à la fois une complexité et un intérêt croissant au fur et à mesure que se développent les relations internationales, aussi bien le commerce international que le déplacement des personnes.

L’autorité de la loi dans l’espace repose sur certaines données pour lesquelles l’on est amené à utiliser la méthode de la règle de conflit.

- Les données de base de l’autorité de la loi dans l'espace : diversité des lois, extranéité, nationalisme et internationalisme

Les données de base de l'autorité de la loi dans l’espace tiennent à la diversité des lois, à l’élément d’extranéité et à la dialectique entre le nationalisme et l’internationalisme.

La diversité des lois

Les sociétés humaines sont diverses par la langue, l’art, la civilisation, la religion, l’histoire, la géographie, la race et les lois. De cette diversité résulte la nécessité de l’unité. Il y a donc dans les rapports juridiques internationaux comme dans tous les autres à la fois une tendance à la diversité et une autre à l’unité.

L’extranéité

Le droit international privé met en cause un intérêt privé étranger. Ce que l’on dit parfois d'une manière technique : il faut un élément d’extranéité dans un rapport juridique de droit privé, notamment dans le mariage, le contrat et la succession :
  • Une personne étrangère peut-elle se marier en France ? 
Quelle loi régira son mariage : célébration, effets, dissolution et notamment divorce ? (Problème de conflits de lois). Quelle juridiction connaîtra des éventuels litiges entre époux ? (Problème de conflits de juridiction).
  • Un étranger conclut un contrat en France (variante : un Français conclut un contrat à l’étranger ?) Quelle loi régit ce contrat : modes de conclusion, effets, rupture ? Quelle juridiction connaîtra des éventuels litiges ?
  • Un étranger décède en France (variante : un Français décède à l’étranger) ; il laisse des biens dont les uns sont situés en France, d’autres à l’étranger. Quelle loi va régir la succession : détermination et pouvoir des héritiers, partage ? Quelle juridiction connaîtra des éventuels litiges ?
La dialectique entre le nationalisme et l’internationalisme

On peut avoir principalement deux attitudes (chacune pouvant connaître des nuances) face à ces différentes questions : une attitude nationaliste et une attitude internationaliste.

Dans une première attitude, on est essentiellement soucieux des intérêts nationaux (français). C’est la position dite nationaliste. Si un État a besoin d’étranger, il faut en faire venir, il n’est pas nécessaire d’en faire venir dans le cas contraire ; en tous les cas, il faut leur accorder le moins de droits possibles (règles sur la condition des étrangers) pour les inciter à s’assimiler à la communauté nationale. 

Il faut donc appliquer la loi nationale le plus souvent possible (règle sur les conflits de lois) ; il faut retenir la compétence des juridictions nationales le plus souvent possible (règles sur les conflits de juridictions).

Dans une deuxième attitude, on se propose de favoriser les rapports internationaux. C’est la position dite internationaliste. Cette attitude internationaliste, qui est aujourd’hui la position dominante, donne des réponses inverses de celles des nationalistes à toutes les questions qui se posent en droit international privé. 

En conséquence, les nationaux et les étrangers doivent avoir les mêmes droits : la loi nationale et la loi étrangère sont obligatoires presque dans les mêmes conditions ; les juridictions ivoiriennes, françaises et étrangères sont compétentes presque dans les mêmes conditions. 

À l’extrême, on aboutirait à des lois transnationales (sans nationalité), ce qui n'existe pas encore sauf si l’on admet l’existence de la lex mercatoria : c’est-à-dire une coutume spontanément créée par les marchands et les banquiers et qui ne se rattache à aucun ordre national.

- La méthode de la règle de conflit

La méthode habituelle et classique, depuis l’Italie médiévale (Bartole) et l’Allemagne du début du XIXe siècle, pour résoudre les conflits de lois demeure la règle de conflit. Cette méthode ne donne pas la solution au problème en cause, mais désigne la loi applicable ; c'est ce que l’on a appelé une règle indirecte. Selon Henri Batiffol, cette méthode permet la « coordination des systèmes », en d’autres termes leur harmonie.

Longtemps purement national (v. par exemple l'article 3 du code civil français de 1804 : " Les lois de police et de sûreté obligent tous ceux qui habitent sur le territoire " ( al. 1er). "Les immeubles, même ceux possédés par des étrangers, sont régis par la loi française " [lex rei sitae] ( al. 2) ; "Les lois concernant l'état et la capacité des personnes régissent les français, même résidant en pays étranger" La jurisprudence a accompli sur cette disposition une construction considérable. D’abord, au moyen d’un raisonnement d’analogie, elle l'a rapidement bilatéralisé. En effet, dans la lettre de l’article 3 du code civil, le texte est unilatéral ; il ne prenait en compte que ce qui est français.

La jurisprudence a bilatéralisé le texte précisant : le statut personnel de toute personne, française ou étrangère, est régi par la nationalité.

La règle de conflit détermine pour chaque grande série de questions l’ordre juridique auquel se rattache une relation privée internationale déterminée. Elle distingue le statut réel, le statut personnel, les contrats et la responsabilité.

Statuts réels et personnels, contrats, responsabilité

Le statut réel signifie que les biens sont soumis à la loi du pays dans lequel ils se trouvent, qu’il s’agisse d’immeubles ou même de meubles. Le statut personnel tient compte des qualités permanentes de la personne, qui ne changent pas selon les lieux où elle se trouve ; il postule que l’état et la capacité des personnes relèvent de la loi nationale.

À l'égard des contrats, une distinction est faite entre les règles de fond et celles de forme. Au fond du droit, les contrats sont soumis à la loi d’autonomie : « La loi applicable aux contrats, en ce qui concerne leur formation, leurs conditions et leurs effets est celle que les parties ont adoptée ; à défaut de déclaration expresse de leur part, il appartient au juge du fond de rechercher, d’après l'économie de la convention et les circonstances de la cause, quelle est la loi qui doit régir les rapports des contractants ». 

En droit international privé, la loi d’autonomie ou autonomie de la volonté est celle du pays dans lequel les parties ont localisé leur contrat. Par contre, la forme d’un contrat est soumise à la loi du lieu où il a été conclu, sauf si les parties en ont choisi une autre.

La responsabilité civile délictuelle est régie par la loi du lieu où s’est produit le fait dommageable.

Qualification

La méthode de la qualification conduit souvent à qualifier une règle de droit ou une situation de fait. Par exemple, les règles sur la célébration du mariage constituent-elles des règles de forme - celles du lieu où le mariage a été célébré - ou des règles de fond, relevant du statut personnel des époux, et par conséquent de leur loi nationale ? Comme la France, les droits des États africains de succession française admettent que la qualification relève de la lex fori, c’est-à-dire de la loi du juge saisi.

c- L’autorité de la loi dans le temps

Aucune loi n’est éternelle, toutes peuvent changer. Les conflits de loi dans le temps sont une question difficile. Pendant longtemps, la question a été dominée par la théorie des droits acquis ; depuis une soixantaine d’années, une autre analyse est apparue, au moins en doctrine, l’effet immédiat des lois nouvelles.

En 1929, la controverse sur les conflits de lois dans le temps a été renouvelée par Paul Roubier : un principe nouveau a dominé la question. Désormais, les conflits de lois sont plus attachés aux intérêts collectifs (l’autorité de la loi) qu’aux intérêts individuels (le respect des droits acquis). 

La solution des conflits de lois dans le temps serait non le respect des droits acquis, mais plutôt l’application immédiate de la loi nouvelle : une situation juridique serait régie par la loi en vigueur au moment où elle se produit.

En effet, la tendance contemporaine est de juger révolue la théorie des droits acquis et de rechercher dans la théorie de l’application immédiate de la loi nouvelle le principe des conflits de lois dans le temps. Mais, cette règle est souvent combinée avec le respect des droits acquis et comporte des correctifs.

- Le principe de l’application immédiate de la loi nouvelle : la théorie de l’effet immédiat de la loi

Le principe est que la loi nouvelle a un effet immédiat : elle s’applique immédiatement aux situations juridiques qui s’accomplissent pendant sa mise en vigueur, mais non aux faits antérieurs à sa promulgation ou postérieurs à son abrogation.

- L’éclectisme jurisprudentiel : les combinaisons de la théorie des droits acquis avec celle de l’effet immédiat

La jurisprudence, notamment celle de la Cour de cassation française, n’a ni écarté la théorie des droits acquis, ni ignorée celle de l’effet immédiat.

La jurisprudence consacre, parfois, la théorie pure et simple de l’application immédiate de la loi nouvelle : « Si sans doute, une loi nouvelle s’applique aussitôt aux effets à venir des situations juridiques non contractuelles en cours au moment où elle entre en vigueur, et cela, même quand semblable situation est l’objet d’un litige judiciaire, en revanche, elle ne saurait sans avoir un effet rétroactif régir rétroactivement les conditions de validité ni les effets passés d’opérations juridiques antérieurement achevées ».

Parfois, la jurisprudence combine la théorie de l’application immédiate de la loi avec le respect des droits acquis : « Si la loi nouvelle, de caractère impératif, s’applique, en principe, même aux situations établies ou aux rapports juridiques formés avant sa promulgation, c’est à condition de ne point léser les droits acquis ».

- Les correctifs : les lois interprétatives, les dispositions transitoires, la rétroactivité et la survie de la loi ancienne

Une loi interprétative a pour objet d’interpréter une loi existante : elle clarifie une disposition antérieure ambiguë et controversée ; elle s’intègre à la loi qu’elle interprète et son effet remonte ainsi au jour de cette loi. En ce sens, la loi interprétative est, par nature, rétroactive. 

En conséquence, elle peut même s’appliquer aux pourvois en cassation dans une procédure pendante, mais antérieure au moment où elle est mise en vigueur ; alors qu’en principe, un pourvoi ne peut invoquer une loi postérieure à la décision qu’il critique.

Les dispositions transitoires d’une nouvelle loi peuvent avoir une double tendance. Tantôt les règles transitoires de la loi nouvelle en retardent la mise en vigueur, lorsque la loi est importante et complexe ; c’est le cas des grandes reformes contemporaines. 

En retardant les effets de la nouvelle loi, les dispositions transitoires (droit transitoire) ont pour objet d’assurer aux sujets de droits (les destinataires) une meilleure connaissance de la nouvelle loi ; de même, les tribunaux et les praticiens pourront plus facilement appliquer cette loi nouvelle. Tantôt, au contraire, les dispositions transitoires étendent dans le temps l’empire de la loi nouvelle, en lui soumettant des contrats en cours ou même des droits antérieurement acquis.

La rétroactivité de la loi

La non-rétroactivité des lois est un principe général du droit. Si cette règle s'impose au juge, au contraire, elle ne lie pas le législateur, sauf en matière pénale, où les libertés publiques sont en cause.

Le législateur peut déclarer une loi rétroactive, à condition qu’il le dise d’une façon claire. Le Conseil constitutionnel français a ainsi décidé que la rétroactivité d’une loi n'était pas contraire à la constitution, dès lors qu’il ne s’agit pas d’une loi intervenant en matière pénale.

La survie de la loi ancienne

Ce sont les effets des situations contractuelles établies avant la nouvelle loi. En s’inscrivant dans la démarche du Doyen Paul Roubier, on est conduit à affirmer, selon l’expression la plus répandue, la survie de la loi ancienne pour toutes les situations contractuelles en cours au moment de l’entrée en vigueur de la loi nouvelle, dès lors qu’elles ont été constituées avant celle-ci. 

La jurisprudence (arrêt de la première Chambre civile de la Cour de cassation française) accueille clairement ce principe de solution : « [...] les effets d’un contrat conclu antérieurement à la loi nouvelle, même s’ils continuent à se réaliser postérieurement à cette loi, demeurent régis par la disposition de la loi sous l’empire de laquelle le contrat a été passé [...] ».

Paragraphe 3- Le règlement : une source inférieure à la loi
 
Le règlement est une source du droit au même titre que la loi ; mais il demeure, d’une façon générale, une source inférieure à la loi. Il peut se définir d’un point de vue organique comme une norme générale et impersonnelle édictée par le pouvoir exécutif.
Formellement, il peut prendre deux modalités : il peut être édicté sous la forme d’un règlement d’exécution des lois ou sous la forme d’un règlement autonome. En tout état de cause, le règlement est soumis au principe de la légalité.

A- Le règlement est une norme générale et impersonnelle édicté par l'Exécutif

De même que la loi, le règlement est une norme générale et impersonnelle. À ce titre, l’acte réglementaire se distingue de l’acte individuel pris par l’Exécutif qui vise une personne (pour la nomination ou la révocation d’un fonctionnaire) ou d’un acte collectif qui vise plusieurs personnes dont les situations sont solidaires les unes des autres (ordre de classement des candidats admis à un concours).

Contrairement à la loi qui émane du Parlement investi du pouvoir législatif, le règlement est édicté par l’Exécutif qui dispose du pouvoir réglementaire.

B- Le règlement peut revêtir plusieurs formes

Le règlement peut être édicté sous diverses modalités ; ce qui lui confère plusieurs formes.

On distingue ainsi, entre d'une part les règlements autonomes et les règlements dérivés ; d'autre part entre les décrets, les arrêtés et les circulaires. 

1- Les règlements autonomes et les règlements dérivés 

Les règlements autonomes sont ceux qui sont pris dans le cadre du pouvoir réglementaire autonome dans un domaine qui lui est propre, hors du domaine de la loi : l'article 37 al. 1er de la constitution française du 4 octobre 1958 prescrit : 

« Les matières autres que celles qui sont du domaine de la loi ont un caractère réglementaire. Les textes de forme législative intervenus en ces matières peuvent être modifiés par décrets pris après avis du Conseil d'État. Ceux de ces textes qui interviendraient après l'entrée en vigueur de la présente Constitution ne pourront être modifiés par décret que si le Conseil constitutionnel a déclaré qu'ils ont un caractère réglementaire en vertu de l'alinéa précédent ».

Cette disposition est reprise, à peu près en des termes identiques, par les constitutions des États africains francophones, notamment par l’article 103 de la récente  Constitution du 8 novembre 2016   (s’inscrivant dans la suite des articles 72 de la Constitution ivoirien du 1er août 2000 et 44 de la Constitution du 3 novembre 1960).

En conséquence, le règlement autonome dispose d’une compétence de droit commun alors que la loi est investie d’une compétence d’attribution : toutes les matières qui ne relèvent pas du domaine de la loi ressortissent du domaine réglementaire. Il n’existe pas de rapports de subordination entre la loi et les règlements autonomes.

Les règlements dérivés sont ceux qui ont pour objet d’assurer l’exécution des lois. Ils sont pris par le pouvoir réglementaire pour assurer l’application de la loi. Ils sont subordonnés à la loi. 

Le pouvoir réglementaire dérivé ne s’exerce que lorsqu’une loi prévoit que des règlements, décrets ou arrêtés, nécessaires à son application soient édictés par l’Exécutif. En dehors, de toute invitation de la loi, des règlements dérivés peuvent être pris pour compléter ou préciser les dispositions d'une loi en vue de favoriser sa meilleure mise en œuvre

2- Les décrets, les arrêtés, les circulaires 

D'une façon générale et d'un point de vue organique, les règlements se déclinent en décrets, en arrêtés et en circulaire. Le décret est la forme que prennent généralement les actes du président de la République. 

En Côte d'Ivoire, en sa qualité de « détenteur exclusif du pouvoir exécutif », le président de la République est seul habilité à prendre des décrets et à les signer. On distingue deux catégories de décrets : les décrets en Conseil des ministres et les décrets simples.

Les décrets en Conseil des ministres : ils comprennent les décrets règlementaires et les décrets non règlementaires (portant sur les nominations aux emplois supérieurs de l'État). L'article 71 de la Constitution du 8 novembre 2016 prescrit que « le Conseil des ministres délibère obligatoirement des nominations aux emplois supérieurs de l'État, dont la liste est établie par la loi ».

Par ailleurs, l’article 72 ajoute qu'avant d’être examinés en Conseil  des ministres, les projets de décrets réglementaires peuvent être soumis, par  le  Président  de  la République,  au  Conseil  d’Etat, pour  avis. Si l'avis du Conseil des ministres est obligatoire, celui du Conseil d'État est facultatif. Toutefois, les deux avis ont en commun de ne pas lier le Président de la République.

Les décrets simples : ce sont ceux pris en dehors du Conseil des ministres. Ils portent notamment nomination des membres du gouvernement, nomination à d'autres emplois de l'État, exécution des lois. 

À la différence des décrets en Conseil des Ministres, qui sont des actes solennels et qui doivent être expressément prévus par un texte, les décrets simples existent en dehors de tout texte.

L’arrêté est la forme la plus solennelle des actes des ministres. 

L’arrêté ministériel est le plus souvent réglementaire. Mais, l’arrêt ministériel peut être individuel, notamment l’arrêt n° 2011-22 du 3 août 2011 portant nomination du directeur de cabinet du ministre délégué auprès du Premier ministre, ministre de la Défense ; il peut être aussi collectif.

L'arrêté interministériel est l'acte signé par deux ou plusieurs ministres.
Les circulaires ou instructions de service sont des prescriptions données par les chefs de service, tout particulièrement les ministres, aux agents placés sous leur autorité pour l'interprétation ou l'application des textes législatifs ou règlementaires.

Les autorités locales peuvent également prendre des actes, soit de façon individuelle, soit de façon collégiale. Les actes des autorités individuelles s'entendent de ceux des organes exécutifs des collectivités locales. Les actes des préfets, sous-préfets, président du conseil régional, gouverneur de district, maire, sont appelés "arrêtés". Mais, ces autorités peuvent prendre d'autres actes, tels des décisions, notes, circulaires...

Les actes des autorités collégiales sont ceux des assemblées délibérantes des collectivités territoriales. Les actes en question sont ceux édictés par les organes ci-après Conseil régional, Conseil du district et Conseil municipal. Ces actes sont dénommés "délibérations". Mais, ces autorités peuvent également édicter d'autres actes, tels que les arrêtés, proclamations, adresse (à la population) ou vœux.

3- Le règlement est soumis au principe de la légalité

Tout acte réglementaire doit être conforme à la légalité ; mais on distingue entre le règlement autonome et le règlement dérivé. 

Le règlement autonome inconstitutionnel est déféré à la censure du juge de l'excès de pouvoir. Tout naturellement, le règlement dérivé qui méconnaît la légalité est également soumis à la censure du juge de l'excès de pouvoir ; sauf que le règlement dérivé, conforme à la loi qui viole elle-même la constitution, échappe à tout contrôle : la théorie de la loi écran.

Section 2- Les sources non écrites ou sources indirectes

Les sources non écrites sont celles qui ne sont pas formellement établies dans un texte ou qui ne se présentent pas sous la forme habituelle d’une règle de droit. Elles ne résultent pas des organes constitutionnellement investis du pouvoir constituant, du pouvoir législatif ou du pouvoir réglementaire dans la production normative. 

Dans les systèmes romano-germanique, elles ne sont des sources du droit qu’indirectement. Quoi qu’il existe une controverse sur leur nature normative, on peut retenir trois principales sources non écrites : la coutume, la jurisprudence, la doctrine.

Le Doyen René Dégni-Ségui distingue parmi les sources non écrites, les sources autonomes (la coutume et les principes généraux) et les sources dérivées (la jurisprudence, la doctrine et l’équité).

Paragraphe 1- La coutume

La coutume est une source fuyante et controversée du droit. En l'absence de définition légale, les auteurs restent divisés sur la notion de coutume.

A- L'existence de la coutume

1- L’imprécision terminologique de la coutume 

Si la loi est polysémique, la coutume est encore plus incertaine (aussi bien dans ses caractères que dans sa définition). Cette incertitude est encore plus forte en droit privé qu’en droit public.

a- La coutume revêt divers sens en droit Privé 

En droit privé, c’est un véritable mélange des genres. D’abord relativement à l'origine de l'a coutume, on estime qu’elle est :

- Soit populaire, découlant d’une pratique suivie par un groupe social ou les masses (Henri, Léon, Jean MAZEAUD et Michel de JUGLART ; Jean CARBONNIER : Droit civil) ;

- Soit d’origine scientifique en faisant référence ( création ou consécration) au rôle de la jurisprudence et de la doctrine dans la naissance de ce qu’on appelle les maximes, proverbes et adages du droit ou encore des brocards (Jacques GHESTlN ; Jean CARBONNIER ; Jean-Louis BERGEL; Philippe MALAURIE ; François TERRE).

Ensuite, sur les faits qui participent à la formation de la règle coutumière, on doit noter que certains auteurs, s’appuyant sans doute sur une jurisprudence incertaine, utilisent un discours susceptible de renforcer la confusion déjà existante dans les esprits ; ainsi opposent-ils les coutumes juridiques lato sensu ou sociologiques (qui comprennent les règles de politesse, de convenance, les usages, les pratiques reçues) aux coutumes, stricto sensu, juridiques (Jean CARBONNIER ; Jean-Louis SOURIOUX ; Philippe MALAURI ).

Récemment, les travaux du Centre Michel de l’Hospital ont réaffirmé, à travers la Revue « La Coutume », l’importance de la coutume en droit commercial. Nul ne remet en cause l’importance et l’influence des usages dans la formation et l’évolution du droit commercial tant par le passé que de nos jours. 

Ainsi, Fremery affirme que « le droit commercial a été établi par la coutume constante des commerçants... elle est constatée soit par les auteurs contemporains, soit par les décisions de la juridiction commerciale, qui ont attesté le constant usage ». Pour Georges Ripert, le « droit commercial a été pendant longtemps un droit purement coutumier sans qu'il y ait eu aucune rédaction de cette coutume. Même quand il a été codifié, il a conservé une place assez large aux usages ».

b- La coutume a un certain sens en droit public

En droit public, la coutume peut avoir une signification selon que l’on se trouve en droit constitutionnel ou en droit international public.

La coutume constitutionnelle est un ensemble d’usages ou pratiques portant l’organisation et le fonctionnement du pouvoir, qui se répètent dans le temps et qui finissent par apparaitre comme des règles obligatoires, donc des règles de droit. 

La doctrine constitutionnelle réserve parfois, un sort différent aux coutumes selon qu'elles sont contra constitutionem (contre la constitution), praeter constitutionem (en marge de la constitution) ou secundum constitutionem (interprétation de la constitution). En effet, la contradiction avec la doctrine normativiste, généralement admise, est évidemment beaucoup plus forte pour les coutumes contra constitutionem que secundum constitutionem.

La coutume occupe une place privilégiée dans les sources de droit International. Aux termes de l’article 38 du Statut de la Cour internationale de justice, « La Cour applique... la coutume internationale comme preuve d'une pratique générale, acceptée comme étant le droit... La coutume, en tant que mode ou processus d’élaboration du droit, est-elle une source formelle du droit ? 

Une réponse positive s’impose : « La coutume est une source formelle du droit international » ; car il s’agit bien d’un procédé, régi par le droit international, et autonome par rapport à d’autres modes tel le mode conventionnel, qui autorise à exprimer des règles de droit.

2- Les tentatives doctrinales de définition de la coutume

La coutume est un ensemble d’usages qui se répète dans le temps et qui finissent par apparaître obligatoires, s’imposant ainsi comme des règles de droit. Elle fait l’objet de différentes conceptions en doctrine et sur ses éléments constitutifs.

a- Les différentes conceptions

Il existe deux conceptions extrêmes de la coutume, qu’il est utile de relativiser :

- Les deux conceptions extrêmes : la conception sociologique et la conception positiviste.

La conception sociologique repose sur une analyse de la coutume et en déduit une vision globale de la règle de droit. Affirmant que la coutume est spontanée, elle déduit que toute règle de droit serait d’origine coutumière : même la législation, qui aurait pour objet de la consacrer.

La coutume serait ainsi la force vitale des institutions juridiques. Dans cette perspective sociologique, la coutume élabore sourdement le droit dans les sociétés contemporaines. Henri Lévy-Bruhl décrit ce phénomène dans un raisonnement orienté dans une perspective sociologique. (Henri LEVY-BRUHL, Sociologie du droit, Que sais-je, Presses universitaires de France, Paris, 1981, p. 40 et s).

Il fait observer à cet effet :

« Il existe, selon moi, en dehors de la coutume au sens technique, qui ne joue, en effet qu’un rôle secondaire dans les sociétés contemporaines de type évolué, une coutume beaucoup plus répandue et beaucoup plus efficiente, quoique plus difficile à déceler. C’est par elle que je commencerai, avant d’étudier le sens que l’on donne normalement à ce mot. 

Si, comme je l’ai écrit déjà à plusieurs reprises, le droit, loin d’être un système rigide, est essentiellement fluide et se transforme à tout instant, il faut bien désigner d’un mot cette action à la fois dissolvante et créatrice qui, à l’instar de l’érosion pour l’écorce terrestre, modifie incessamment les rapports sociaux. 

Ce n’est pas faire violence au mot de coutume que de l’employer dans cette acception très extensive. Dans ce sens large, la coutume élabore sourdement le droit nouveau à la manière dont la vie est latente dans les espèces végétales et animales. Elle a donc une sphère d’application indéfinie. 

Ce n’est pas une source du droit parmi les autres : il serait à peine exagéré de dire que c’est la seule source du droit.

Bien que sourde ou latente, la coutume ne serait pas perceptible si elle ne se manifestait pas extérieurement par des actes. Ces manifestations sont négatives ou positives. Négatives, elles consistent dans le défaut d’application du droit positif. C’est là un phénomène d’une grande importance sur lequel les juristes commencent seulement à se pencher.

Il n’est pas surprenant, du reste, qu’il leur ait échappé si longtemps. Une règle de droit existant, sa valeur, sa portée n’étaient pas mises en doute.

Il suffisait qu’une règle figurât dans l’arsenal législatif pour qu’elle fût, sans autre examen, considérée comme en pleine vigueur. Mieux encore, on ne se posait pas la question. Il a fallu l’irruption toute récente de l'esprit sociologique dans le domaine du droit pour que l’on s’aperçût de l’existence et de l’importance de ce problème...».

Les conceptions positivistes, à l’opposé, minimisent la coutume. Une première conception positiviste, dite positivisme légaliste, estime que toute règle de droit serait d’origine législative ; la coutume, selon ce point de vue, ne saurait, comme la jurisprudence, exister que par une délégation législative. 

Ce fut, à peu près, la conception romano-canonique de la coutume, estimant que la coutume n’avait de force qu’en raison de la patientia principis : la permission royale.

Une deuxième conception positive de la coutume marquée par une tendance prétorienne, qui n’est légaliste, n’admet de coutume que si le juge l’a consacrée.

- Une conception médiane : la conception historique

Philippe Malaurie fait observer que les deux conceptions sociologique et positiviste, étant extrémistes, font abstraction de l’histoire : « Or, l’importance de la coutume varie selon les temps. Dans une société primitive ou décadente, c’est-à-dire dans les sociétés inorganisées, la coutume est la source exclusive ou quasi exclusive du droit. Inversement, plus la société s'organise plus le droit écrit se développe et symétriquement, recule la coutume, sans pourtant jamais disparaître. En d’autres termes, plus que la jurisprudence, la coutume a une importance inversement proportionnelle à celle de la loi ».

La coutume fonde l’ordre social : Certains auteurs reconnaissent et affirment l’importance de la coutume dans l’organisation des sociétés humaines. La coutume a précédé la loi dans l’organisation des sociétés humaines.

Les sociétés primitives ne connaissant pas l’écriture, vivent nécessairement sous le régime du droit coutumier.

On connaît la formule ubi societas ibi jus. La doctrine juridique du XIXème siècle très marquée par le positivisme (en France, c’est l’époque du code civil) s’est habituée à penser que la coutume n’est pas une source de droit.

Or, avant cette époque, la coutume a régné en Europe et on n’a pas pu prétendre qu’il n’y avait pas d’organisation sociale parce qu’il manquait de procédé formel de formation du droit. De même qu’on ne pourra pas à prétendre que les sociétés africaines et asiatiques précoloniales marquées par le phénomène coutumier ont manqué d'origine rationnelle.

Avant l’époque du culte de la loi (un culte aujourd’hui marqué par une relativité), la coutume a dominé les civilisations tant dans les relations interétatiques (droit de la guerre et de la paix, droit de la mer) que dans les ordres internes. Dans les sociétés politiques, la coutume occupe en effet, une place primordiale variable dans l’espace et dans le temps ; le droit britannique n’est-il pas aujourd’hui essentiellement coutumier ?

Sur les droits africains, on sait ce qu’il en était (Henri LEVY-BRUHL : aspects sociologiques du droit. Librairie M. Rivière et Cie 1955 N. ROULAND : Anthropologie juridique, PUF, 1988). En Europe, jusqu'au XVIIè s, la vie politique et les rapports interindividuels sont essentiellement gouvernés par la coutume, du moins les coutumes. L’avènement du formalisme, de l'étatisme et le besoin de sécurité juridique ont fait naître la convention et la loi.

Le fait est que la centralisation et l’unification idéologique ont eu besoin de la loi ; cela s’est vérifié ailleurs dans les siècles précédents et confirmé en Afrique après les indépendances (Michel MIAILLE ; Monique CHEMILLIER-GENDREAU). 

On peut conclure sur ce point que malgré toute sa rigueur logique, la théorie du contrat ou du pacte social fondateur est remise en cause par l’évolution des sociétés humaines ; les rapports sociaux se sont avant tout construits à partir de la pratique et des usages. Nous sommes au cœur du phénomène coutumier.

b- Les éléments constitutifs : la définition juridique


B- La valeur juridique de la Coutume : l’autorité de la coutume
 
En droit interne, la coutume occupe une place secondaire par rapport à la loi. En droit international public, il en est autrement ; la coutume étant placée sur le même pied que le traité.

Cette position de la coutume par rapport au droit légiféré en droit interne procède de l’unification politique et idéologique qui est mieux assurée par l’écrit. Mais ce droit légiféré ne peut tout prévoir, tout régenter ; la coutume vient donc apporter les assouplissements nécessaires. L’autorité de la coutume dépend alors de ses rapports avec la loi. Trois situations se présentent.

1- La coutume secondum legem (secondum = conforme à, selon)

C'est l'hypothèse dans laquelle la loi renvoie expressément ou implicitement à la coutume pour que celle-ci réglemente des situations que le droit écrit ne peut appréhender de façon précise en raison de la variété des usages locaux et professionnels. La coutume exerce ici un pouvoir délégué par la loi.

Le renvoi implicite découle des expressions telles que « conforme aux bonnes mœurs », « raisonnables », « normales » à la formule célèbre du « bonus pater familia » qui impose d'administrer ou de conserver la chose d’autrui comme un bon père de famille. 

Ce sont là ce qu’on appelle des notions à contenu variable, des standards juridiques ou des directives qui sont comme le dit si bien un auteur, « des expressions juridiques qui ne peuvent être convenablement définies, car leur signification relève des mœurs, des valeurs de la société et des besoins du moment ». (Malaurie p 232)

2- La coutume praeter legem (praeter = à côté)

Dans le silence de la loi, la coutume vient jouer un pouvoir supplétif. Se pose alors le problème de la complétude de l’ordre juridique et des lacunes en droit. Quelques objections et hésitations se sont manifestées : pourquoi en effet vouloir légiférer là où le législateur attitré n’a pas daigné le faire ? 

La bonne réponse se trouve dans cette formule de Portalis, l’un des rédacteurs du code civil napoléonien : « À défaut d’un texte précis sur chaque matière, un usage ancien, constant, et bien établi, une suite ininterrompue de décisions semblables, une opinion ou une maxime reçue tiennent lieu de loi ». (cité par Jacques GHESTIN et Gilles GOUBEAUX)

Un exemple de coutume supplétive est la règle de convention mondaine de l’ancienne France, en vertu de laquelle la femme mariée porte le nom patronymique de son mari. (Confirmé par l’article 57 de la loi sur le mariage : la femme à l’usage du nom du mari).

Les lois impératives ou d’ordre public ne peuvent être abrogées par la coutume à moins d’une révolution politique.

Pour les autres catégories de lois, plusieurs auteurs sont hostiles la loi qui s’y oppose. Voir la position de la chambre administrative de la Cour Suprême de la Côte d’Ivoire, dans l'affaire Gnandé Teti et autres c/ Université nationale, 8 février 1985 « une pratique devenue coutume » adoptée par l’université ne peut fonder la compétence de celle-ci à modifier la composition d’une juridiction du CAPA (certificat d’aptitude professionnelle des Avocats) en dehors de dispositions particulières du décret de 1968 (Revue Ivoirienne de Droit 1984 n° 1- 4 p 47 note René DEGNI -SEGUI p. 36).

Philippe MALAURIE note que certains auteurs ont mis en question un certain nombre de considérations (sociologie juridique : la démocratie assouplit la technocratie ; pluralisme juridique : l’État n’a pas le monopole de plusieurs règles de droit ; morale) qui expliquent qu’en fait, la coutume puisse l’emporter sur la loi.

On cite en exemple d'une coutume contra legem la pratique lors manuel (donation de la main à la main d’objets potiers) sans acte notarié alors même que l'article 931 du code civil exige la rédaction d’un acte notarié pour toute donation « tous les actes portant donation entre vifs seront passés devant notaire, dans la forme ordinaire des contrats, il en restera minute, sous peine de nullité ».

Paragraphe 2- La jurisprudence 

La jurisprudence est l'ensemble des décisions concordantes rendues par les juridictions sur un problème de droit bien déterminé. Elle « est l’ensemble des décisions judiciaires d'où se dégage une règle de droit parce qu'elles ont été constamment rendues dans le même sens sur les mêmes questions ».
Dans les pays de langue anglaise, le mot jurisprudence a tout une autre signification : elle signifie la science du droit, qui est son sens étymologique (prudentia juris), c'est-à-dire la philosophie du droit ou la théorie générale du droit.

A- La nature de la jurisprudence : Une source du Droit ?

La jurisprudence est-elle une source du Droit ? Les auteurs ne sont pas unanimes sur la nature de la jurisprudence. Bien plus, la question est juridiquement problématique lorsque l'on évoque le traditionnel principe de la séparation des pouvoirs : le pouvoir législatif (le Parlement) fait la loi ; le pouvoir exécutif (le gouvernement) exécute la loi, le pouvoir judiciaire (le juge) applique la loi. 

En conséquence de quoi, la jurisprudence ne peut être une source du droit.
En tout état de cause, il existe sur ce point une controverse doctrinale, qui n’est exclusive d’une position générale.

1- La controverse doctrinale : la jurisprudence, source ou autorité ?

Pour rendre vaguement compte de cette controverse, on peut partir de trois citations:

- La première, qui date du tout début du XIX, à la rédaction du code civil, est de Portalis (Discours préliminaire) : « On ne peut pas plus se passer de jurisprudence que de lois. Chez toutes les nations policées, on voit toujours se former, à côté du sanctuaire des lois et sous la surveillance du législateur, un dépôt de maximes, de décisions et de doctrine qui s’épure journellement par la pratique et par le choc des débats judiciaires, qui s’accroît sans cesse de toutes les connaissances acquises et qui a constamment été regardé comme le vrai supplément de la législation ».

- La deuxième, assez contemporaine de l’autre, qui date de la Révolution française, la fin du XVIII, est de Robespierre (Assemblée constituante, séance du 18 novembre 1790 : « Ce mot de jurisprudence est l’expression des tribunaux, dans l’acception qu’il avait dans l’ancien Régime, ne signifie plus rien dans le nouveau : il doit être effacé de notre langue. Dans un État qui a une constitution, une législation, la jurisprudence des tribunaux n’est autre chose que la loi ; alors il y a toujours identité de jurisprudence ».

- La troisième qui est de Montesquieu, est tirée de "De l'esprit des lois" : il faut que les juges des nations « la bouche qui prononce les paroles de la loi, des êtres inanimés qui n'en peuvent modérer, ni la force ni la rigueur... Les jugements ne doivent jamais être qu'un texte de loi ».

a- La jurisprudence n'est pas une règle de droit 

Gérard Cornu relève : « Inséparables, jurisprudence et doctrine constitues, non des sources formelles du droit civil, mais des autorités ». Certains auteurs estiment, en effet, que la jurisprudence n'est pas une règle de droit, car elle ne peut être assimilée ni à la loi, ni à la coutume qui sont les deux seules règles pleinement obligatoires. 

Gérard Cornu relève : « Les règles de droit peuvent principalement s'exprimer sous deux formes ; elles s'établissent de deux façons : la société se donne des lois ; elle suit des coutumes. La loi et la coutume sont deux sources formelles du droit objectif ». Pour lui, la jurisprudence ne figure pas parmi les sources du droit : « Ce n’est pas une source formelle. Le juge dit le droit, il ne l’édicte pas, il applique les règles du droit, il ne les instaure pas ».

Dans la tradition juridique française, telle qu’elle est héritée par les États africains francophones, le juge statue selon sa conscience, sans être lié, ni par l’opinion des autres juges, ni même par ses opinions anciennes. 

En d’autres termes, le juge n’est lié que par la loi, et éventuellement par la coutume. Ce principe résulte de deux règles fondamentales :

- La prohibition des arrêts de règlement

Les arrêts de règlements se présentent comme des jugements-type. L’article 5 du code civil prohibe les arrêts de règlement en interdisant « aux juges de se prononcer par voie de disposition générale et réglementaire sur les causes qui leur sont soumises. 

Autrefois, en France, dans l’ancien Régime, l’arrêt de règlement traduisait l’autorité du juge (un parlement) qui pouvait ainsi imposer son interprétation d’un texte législatif. Le code civil a entendu mettre fin à la pratique des anciens parlements, qui faisaient par des arrêts de règlement la règle qu’ils entendaient suivre à l’avenir. 

Depuis la Révolution, le pouvoir judiciaire est cantonné dans la solution de litiges particuliers : le juge ne peut dire à l’avance, qu'il statuera toujours d’une certaine manière pour les espèces semblables qui lui seraient déférées.

La prohibition des arrêts de règlement est assortie d'une exception ; elle n'interdit cependant pas au juge d’énoncer un principe général d’où il déduit sa décision, du moment que ce principe n’a pas de caractère impératif en dehors de l'espèce jugée : « S'il est défendu aux tribunaux de prononcer par voie de disposition générale et réglementaire sur les causes qui leur sont soumises, non seulement, ils peuvent, mais encore, ils doivent indiquer les règles et principes généraux de droit sur lesquels ils fondent leurs décisions ». 

La prohibition des arrêts de règlement n’a donc pas pour conséquence que la répétition d’un motif énoncé sous forme d’une règle générale puisse constituer une source du droit.

- La relativité de la chose jugée

La relativité de la chose jugée est le second principe, invoqué souvent par certains auteurs, notamment des privatistes, pour refuser de reconnaître à la jurisprudence la nature d'une source de droit. Pour eux, sur le fondement de l'article 1351 du code civil : un jugement n'a d'autorité que dans le litige tranché et qu'à l'égard des plaideurs qui y étaient parties ; en d'autres termes, son autorité est purement relative. 

En conséquence, une règle de droit ne peut naître d’une décision de justice ; une telle décision n’ayant d’autorité qu’entre les parties n’a donc pas un caractère général et impersonnel et ne peut par conséquent pas produire la règle de droit, elle est donc un acte juridique, mais non une règle de droit.

Tout naturellement ce « raisonnement n’est pas convainquant parce qu’il confond deux fonctions du juge. D’une part, le juge résout un litige : c’est à cette situation concrète que répond l’autorité de la chose jugée. D’autre part, à cette occasion, il précise la règle légale en disant le droit (jurisdictio), c’est seulement en ce sens qu’une décision peut faire jurisprudence et devenir une source de droit.

b- La jurisprudence est une règle de droit

Trois principaux arguments sont invoqués pour soutenir que la jurisprudence est une source du droit :

- Le juge dit le droit. Ce qui fait peser sur le juge une double obligation :
  • L’obligation de juger. Une des fonctions essentielles du juge est de dire le droit ; ce qui n’est pas seulement une faculté, mais un devoir lorsqu’il est saisi d’un litige, même si le droit de saisine est contesté pour un autre plaideur. En conséquence, il est fait interdiction au juge de « refuser de juger sous prétexte du silence, de l’obscurité ou de l’insuffisance de la loi » : son abstention constitue un déni engageant ses responsabilités civiles et pénales. Le juge peut alors recourir à la Jurisprudence. Dans un tel cas, la jurisprudence s’impose non seulement comme une source du droit complémentaire (une source masquée selon l’expression Philippe Malaurie), mais surtout aussi comme une source autonome à l’égard de la loi.                  
  • L’obligation de motiver. Cette obligation de motiver une décision de justice tend également à faire de la jurisprudence une source, ne serait-ce que secondaire ou indirecte de droit.
Une décision doit dire pourquoi et en vertu de quelle règle légale, elle est rendue, sauf lorsque le juge a un pouvoir discrétionnaire.

Généralement, les motifs rédigés ainsi : Le tribunal, après en avoir délibéré, attendu que (ou considérant que)..., attendu que (ou considérant que)...; que... (Le jugement se termine par un dispositif) : par ces motifs, déclare... ; (ou bien), rejette... ; (ou bien), condamne...

Le juge donne le sens de la loi. Même lorsqu’on admet qu'à proprement parler, le juge ne crée pas de règles nouvelles, on demeure que le juge précise la signification réelle de la loi en l’appliquant au cas concret. Par cette fonction interprétative de la loi, le juge peut faire accessoirement œuvre du jurislateur.

- La jurisprudence inspire les attitudes des justiciables. La jurisprudence oriente le comportement des justiciables.

Ce qui compte, pour un particulier, c’est la perspective de l’application concrète et précise de la loi ; elle l’intéressé plus que la teneur de la loi ; il ne détermine son activité pour une affaire donnée qu’après s’être demandé si, en cas de procès, il obtiendrait gain de cause.

2- La position générale admise : la jurisprudence est en pratique une source du droit.

Au-delà de la controverse doctrinale, la position généralement admise est que la jurisprudence est en pratique une source du droit. Cela pour trois raisons essentielles:

- La psychologie judiciaire

Psychologiquement, dans l’exercice de leur office, les juges sont, plus ou moins consciemment commandés par le conservatisme, l’esprit d’imitation et le respect de hiérarchie. Pour qu’il ait jurisprudence, il faut, en principe, qu’il y ait une constance dans la manière de juger, c’est-à-dire comme pour la coutume, la répétition et la durée. 

En plus, chaque juridiction se préoccupe de l’opinion des juridictions qui lui sont hiérarchiquement supérieures. C'est ainsi que la plus grande autorité est attachée aux arrêts des juridictions suprêmes.

- L’existence des principes généraux du droit

Dans une approche large, on peut bien admettre que les principes généraux du droit constituent des règles jurisprudentielles, car ils ont une origine prétorienne (jurisprudentielle). Les principes généraux du droit sont, en effet, des principes non écrits qui s’imposent « à toute autorité réglementaire en l’absence de toute disposition législative ». 

Dans une approche restrictive, ils forment une catégorie particulière et constituent « une source de droit très importante, autonome et distincte des règles jurisprudentielles ». 

Ces principes apparaissent, dans leur processus d’émergence, comme des normes juridiques « découvertes » par le juge. Celui-ci prétend ne pas les créer, il se bornerait à constater leur existence dans l’économie générale de l’ordre juridique. 

Cependant, une part de la doctrine reconnaît un pouvoir créateur du juge relativement aux principes généraux du droit, mais une telle position doit être relativisée dans le contexte des États africains francophones. Cela dans la mesure où le juge tend à se référer à un support textuel dans la formulation des principes généraux du droit. 

Dans leur ensemble, on peut relever une variété de principes généraux : le principe de la non-rétroactivité des décisions administratives, le principe d’égalité devant la loi (accès aux emplois et fonctions publiques) ; le principe de la liberté du commerce et de l’industrie ; le principe d’aller et venir ; le principe de la liberté d'opinion ; le principe du respect des droits acquis ; le principe du respect des droits de la défense ; le principe de la possibilité d’attaquer tout acte administratif par la voie du recours pour excès de pouvoir.

- La place particulière de la jurisprudence en droit administratif

La jurisprudence est l’ensemble des décisions émises par les juridictions sur un problème de droit déterminé. Elle joue un rôle important en matière administrative d’autant plus qu’il n’existe pas généralement un code administratif.

Dans la tradition administrative française, les principales règles applicables à l’administration ont été dégagées par le juge administratif, le Conseil d'État.

On a pu relever que le droit administratif français est d’origine prétorienne et revêt ainsi « un caractère fondamentalement jurisprudentiel ».

La règle jurisprudentielle résulte certes d’une décision juridictionnelle, mais elle demeure spécifique. La décision juridictionnelle est une décision d’espèce, c’est-à-dire une décision de justice qui a pour objet de résoudre un problème en particulier (un cas d’espèce). 

La règle jurisprudentielle est une norme générale et impersonnelle élaborée par le juge dans le règlement d'un cas d'espèce. C’est ainsi qu'on parle de la jurisprudence Blanco ou la jurisprudence Société des centaures routiers ou encore la jurisprudence Bac d’Eloka.

La jurisprudence administrative a une valeur supra-décrétale et infra législative. Dans la hiérarchie des normes, elle se situe dans une position supérieure au décret et inférieure à la loi.

B- La valeur de la jurisprudence : Une source souhaitable ?

En tant que source du droit, la jurisprudence suscite des reproches. Mais, elle demeure en dernière analyse une source souhaitée.

1- La jurisprudence, une source comportant politiquement et techniquement des défauts.

- Les défauts d’ordre politique

La jurisprudence, un frein aux réformes législatives. 

On reproche à la jurisprudence de se poser bien souvent comme un frein, un obstacle aux réformes législatives. Il arrive même qu’on assiste à un combat entre la législation et la jurisprudence. 

Bien plus, même aux Etats-Unis, où l’intervention du juge dans la vie sociale a toujours été importante, on dénonce aujourd’hui son inaptitude à résoudre les grands problèmes sociaux : à cause de l’insuffisance de ses moyens d’information, et de son office, qui est de résoudre les procès, non de légiférer. En Angleterre, on l’a même traité de « législateur estropié ».

La jurisprudence, un facteur pouvant conduire au « gouvernement des juges ».
Un autre reproche est que le juge n’étant pas un organe politique, lui reconnaître un pouvoir créateur du droit par l’entremise de la jurisprudence, c’est favoriser le danger « du gouvernement des juges ».

- Les défauts d’ordre technique

Les défauts d’ordre technique de la jurisprudence tiennent à, au moins, quatre inconvénients : La jurisprudence est lente et incertaine. Par ailleurs, elle met en œuvre un droit savant réservé aux initiés, c’est-à-dire un droit mal connu par les justiciables.

2- La jurisprudence, une source juridiquement utilitaire

Certaines qualités sont reconnues à la jurisprudence. Les auteurs lui reconnaissent sa faculté d’adaptation, sa souplesse et son esprit concret. Sans la puissance créatrice de la jurisprudence, le droit serait une lettre morte, un corpus de règle dépourvu d’esprit : la jurisprudence est « la parole vivante du droit », le passage entre la règle abstraite et la vie concrète. 

En définitive, la jurisprudence est une source juridiquement utilitaire qui permet de répondre aux besoins de la société contemporaine.

Paragraphe 3- La doctrine

Les grandes civilisations, qui ont émergé dans le cheminement de l’histoire de l’humanité, ont bien souvent puisé leur prestige sous l’effet du rayonnement des idées ou opinions professées par de nobles penseurs. 

En droit, « il est assurément impossible d’exposer les aspects principaux de l’interprétation de la règle de droit sans évoquer la doctrine », en ce qu'elle « suggère des interprétations des règles de droit, présente l’examen critique des solutions nouvelles, propose des modifications ».

A- La définition et l’historique de la doctrine
 
Même si elle se définit principalement comme l’ensemble des idées ou pensées émises par les auteurs, praticiens ou théoriciens, la doctrine est traditionnellement présentée, par ailleurs, non seulement formellement comme une source du droit, mais aussi institutionnellement comme une corporation constituée de personnalités investies d'une autorité scientifique. 

Qu’elle soit une source secondaire ou une source indirecte du droit, ou même l’expression d’une communauté scientifique, il est indéniable que la doctrine assume un rôle de vivification et de rayonnement de l’autorité de la règle de droit. 

C’est en cela que dans les démocraties modernes, elle s’est progressivement affranchie de la sphère politique pour créer son propre espace : la sphère scientifique. À ce titre, elle est l’ultime moyen de transmission de la connaissance juridique, de diffusion de la science du droit et de civilisation des sociétés politiques.

C'est au XIIe siècle, avec la fondation et l'essor des premières universités françaises en charge de l'étude et de l'enseignement du droit romain et du droit canonique, que le professeur Alain Supiot fait remonter la naissance de ce que nous appelons aujourd'hui, dans l’acception juridique moderne, la doctrine. 

Il indique à cet effet, qu’aux époques antérieures, le droit relevait de la compétence de clercs, appartenant à l'entourage des princes ; c’est-à-dire d'une sphère politico-judiciaire donc, et non pas érudite ou scientifique.

Ainsi que le rapporte Ernst Kantorowicz, la croissance du nombre et de l'importance des docteurs en droit conduisit ces savants juristes à exiger d'être appelés, non plus docteurs ou maîtres, mais domini ou seigneurs, à l'instar des nobles et des prélats. 

Ils obtinrent ainsi de former une troisième chevalerie, la militia legum, à côté de la militia armata des chevaliers et de la militia celestis des clercs. Et c'est ce titre de dominus qu'on peut lire encore aujourd'hui à Bologne sur les tombes des grands juristes, suivi du nom du défunt.

En Afrique noire précoloniale, dominée essentiellement par des sociétés de tradition et d’initiation orales, le « concept de doctrine » revêt une réalité bien particulière : la doctrine est non écrite et ne se retrouve pas originairement dans des ouvrages ou autres documents écrits ; elle est à la fois un système de pensée, de représentations sociales et de valeurs culturelles. 

Elle est donc un ensemble d’idées, de pensées, de discours et de valeurs transmis de génération en génération au moyen des rites initiatiques par les dépositaires de la tradition orale. En conséquence, dans les traditions africaines, ce sont les plus âgés, les aînés et les anciens, qui diffusent la doctrine et qui en sont même les dépositaires et gardiens. Amadou Hampâté Bâ faisait ainsi observer : « En Afrique, un vieillard qui meurt est une bibliothèque qui brûle ».

Dans les systèmes juridiques traditionnels, les idées et opinions émises par les anciens, présumés être des sages ou des gardiens de la tradition, bénéficiaient subséquemment d’une présomption quasi-irréfragable de vérité ; si bien qu’elles constituaient en elles-mêmes des énoncés de règles juridiques. 

C’est en cela que le professeur Memel-Fotê a qualifié le système politique de Lodjoukrou de « Séniocratie », c’est-à-dire une société politique reposant sur le pouvoir de l’Aîné, les privilèges de la primogéniture ou pouvoir des « Ebébous ».

En raison de son caractère non écrit et parfois ésotérique, la doctrine africaine précoloniale demeure insaisissable. C’est sans doute pour cette raison que, certainement volontairement, Monsieur Kéba Mbaye n’évoque pas la doctrine dans son étude sur les « sources et évolution du droit africain ».

Cependant, on a pu observer, au début des indépendances, l’émergence de quelques doctrines africaines postcoloniales professées par des personnalités publiques telles que Kwamé Nkrumah au Ghana, Sékou Touré en Guinée, Julius Nyerere en Tanzanie, Félix Houphouët Boigny en Côte d’Ivoire, Léopold Sédar Senghor au Sénégal. 

À ces doctrines liées à la lutte émancipatrice, qui furent plus politiques que scientifiques, succédèrent d’autres auteurs qui inscrivirent fondamentalement la doctrine africaine contemporaine dans une perspective scientifique, et même universitaire. Il s’agit notamment d’Amadou Hampâté Bâ, de Joseph Ki-Zerbo, de Cheick Anta Diop, de Harris Memel-Fotê...

En tout état de cause, l’émergence d’une doctrine juridiquement spécialisée, notamment en droit administratif, ne se fera relativement que plus tard.

C’est en effet à partir des années 1970 que vont véritablement paraître les premières publications d’ouvrages en droit dans l’espace africain francophone par des professeurs de droit public tels que Alain Bockel, Francis Wodié, Jean du Bois de Gaudusson, René Dégni-Ségui, Martin Bleou, Jacques Mariel Nzouankeu, ... La période allant des années 1980 à 1990 fut davantage celle d’une émulation scientifique féconde de la doctrine dans l’espace africain francophone.

Les publications en droit privé ne furent véritablement effectives qu’à partir des années 1980.

B- Les problèmes de la doctrine en Afrique

Paradoxalement, en même temps que les sociétés politiques se transformaient et évoluaient, l’invention doctrinale paraissait menacée par les incidences des crises multiformes résultant de la décadence des valeurs traditionnelles de référence sociales et des bouleversements politiques, sociaux, économiques et culturels. 

Par voie de conséquence, les splendeurs de la science du droit ont été bien souvent ternies par les ondes de choc du déclin de la doctrine : « Lorsque la toute petite minorité tend à devenir la majorité, lorsque l'agrégation n'a plus pour seule vertu que d'avoir un titre à monnayer, lorsque l’universitaire brade ainsi son indépendance, lorsque le temps libre n'est plus consacré qu’aux clients, alors on est en droit de s'inquiéter de l'avenir de ce que l'on a l'habitude d'appeler la doctrine ». 

Si cette tendance à la dégénérescence de la doctrine demeure observable dans l'ensemble des États contemporains aussi bien d’Amérique, d’Europe, d’Asie, le constat est d’ampleur inégalable dans les États africains. 

Dans ces États, peut-être plus qu’ailleurs, la doctrine est, en effet, confrontée à un double problème : l’un ontologique et l’autre déontologique. Prise dans une perspective ontologique, la doctrine est exposée, dans l’espace africain francophone, à un double problème de statut et d’identité.

Assurément, il est évident qu’il existe une communauté scientifique très active dans l’espace universitaire francophone ; en ce que dans leur ensemble les intellectuels, auteurs et universitaires, forment une doctrine effective et institutionnellement active. 

Mais, la question se pose davantage d’un point de vue substantiel et matériel : la doctrine dans l’espace francophone est-elle porteuse d’idées scientifiquement innovatrices ou intellectuellement novatrices ? Participe-t-elle à la création scientifique universelle, n’est-elle pas qu’une simple reproduction ou une pure adaptation des séquences d’une doctrine reçue ou venue d’ailleurs, notamment la doctrine française ?

Toutes ces interrogations, qui tendent à mettre en évidence une certaine, dialectique de l’être et du néant, consécutive aux incertitudes d’une caractérisation systématique de l'institution doctrinale africaine francophone, renvoient à la nécessité de l’identification d’une doctrine ou plus précisément à la détermination de l’identité de la doctrine dans l’espace francophone africain. 

Mais, cet objectif, qui semble général dans cette étude, devrait conduire à un autre, celui de la mise en rapport de la doctrine avec la jurisprudence dans les États africains francophones. 

Dès lors, surgit une autre dialectique de l’être et du néant : existe-t-il une jurisprudence authentique en Afrique francophone ou simplement une jurisprudence dans l'espace africain francophone ? 

Naturellement, cette question rejoint celles traditionnelles de l’autonomie spatiale du droit africain et de l’originalité de la jurisprudence dans les États d’Afrique francophone.

Chapitre 2- Un ensemble formé de divers systèmes de sources

La question de la source de droit renvoie à l’origine juridique de la règle ou de la norme. On sait que la règle de droit tire son origine juridique ou son fondement juridique ou encore sa source juridique de la constitution, d'une convention internationale, de la loi, du règlement, de la coutume...

Ces différentes sources du droit constitutionnel ne sont pas isolées les unes des autres sans aucun lien ou relation. Bien au contraire, elles forment un ensemble hiérarchisé et coordonné qu’on peut qualifier de systèmes normatifs ou système de source du droit constitutionnel. 

On peut ainsi distinguer deux catégories de systèmes : d’une part, le système de sources écrites et le système de sources non écrites ; d’autre part, le système de sources internationales, le système de sources nationales et le système de sources locales. 

Après cette catégorisation, il conviendra de déterminer le système de sources applicables en Côte d’Ivoire.

Section 1- Le système de sources écrites et le système de sources non écrites

Ces deux systèmes s’opposent sans s’exclure radicalement et systématiquement. Sur la base d’une distinction, on peut indiquer les cas d'application.

Paragraphe 1- La distinction

Cette distinction s’établit sur la base de la forme (écrite ou non) des sources du droit constitutionnel. Le système de sources écrites met un accent sur les règles formelles écrites. 

Il accorde une place de choix à la constitution formelle et écrite. Par contre, le système de sources non écrites met l’accent sur les usages et traditions. Il est favorable à la constitution non écrite, c’est-à-dire à la constitution coutumière.

En général, les États de tradition juridique anglo-saxonne connaissent un système de sources non écrites : il en va ainsi de la Grande-Bretagne, des Etats-Unis d'Amérique... 

Par contre, les États de tradition juridique romano-germanique connaissent un système de sources écrites : l’Allemagne, la France, la Côte d’Ivoire, le Sénégal, le Mali, le Burkina Faso, le Togo...

Paragraphe 2- Les cas d’application

Les deux systèmes de sources connaissent des applications dans les systèmes constitutionnels.

Le système de sources écrites est le plus répandu ; en ce qu’il est pratiqué par la grande majorité des États. Cependant, chacun d’eux met l’accent sur l’un des deux systèmes. 

Même si les États pratiquent principalement soit le système de sources écrites soit le système de sources non écrites, accessoirement, et de façon complémentaire, ils recourent à l’un ou l’autre.

Par exemple, bien que la Grande-Bretagne ait opté pour le système de sources non écrites, elle utilise accessoirement le système de sources écrites.

Il en va également de la France, de l’Allemagne ou encore de la Côte d’Ivoire qui ont mis en place un système de sources écrites, mais qui n’excluent pas radicalement le système de sources non écrites. 

Il faut cependant reconnaitre qu’une préférence quasi-générale est accordée au système de sources écrites, qui parait être le plus juridiquement efficace dans la garantie des droits et libertés des citoyens.

On peut observer qu’en droit constitutionnel seul le système de source écrite a une portée et des conséquences juridiques plus significatives.

Section 2- Le système de sources internationales, le système de sources nationales et le système de sources locales

Les systèmes constitutionnels sont partagés entre les sources internationales, les sources nationales et, souvent, les sources locales. Il est rare que les États utilisent exclusivement l'un des trois systèmes ; ils procèdent à des combinaisons.

Paragraphe 1- La distinction

Cette distinction est fondée sur le cadre ou espace de production de la norme. À ce titre, les systèmes de sources normatives se répartissent en trois grandes catégories selon que l’on a affaire à des sources internationales, nationales ou locales. Les premières ont la particularité d’être rattachées à un système juridique extérieur à l’État tandis que les secondes relèvent de son ordre juridique propre. 

Alors qu’au XIXe siècle, la théorie des « deux sphères » avait été avancée pour décrire une séparation étanche entre l’ordre juridique international et l’ordre juridique interne, il n’y a pas nécessairement une étanchéité entre les deux systèmes de sources, internationale et interne. 

Au contraire, la plupart du temps et en fonction des choix opérés par les différents États, les sources internationales sont intégrées dans l'ordre juridique interne.

A- Les sources internationales

Les sources internationales sont diverses. Conformément à l’article 38 du statut de la Cour internationale de justice. Elles sont constituées par l’ensemble des normes qui composent le droit international. Elles peuvent être aussi bien écrites (Traité, convention, accord, protocole...) que non écrites (jurisprudence, coutume et principes généraux du droit). 

Les sources internationales ont pris une importance particulière dans le domaine des droits de l’homme et des libertés fondamentales, puis aussi dans celui du droit communautaire.

B- Les sources nationales

On désigne, par sources nationales, l’ensemble des règles ou catégories normatives d’origine interne produites par les organes compétemment habilités de l’État et agissant au niveau central de cet État. 

Ces sources nationales sont dominées par le principe de constitutionnalité ; en ce que dans l’ordre interne, la constitution est la source des sources. 

Le processus de construction des sources du droit autour de l’axe constitutionnel constitue la manifestation première du processus de constitutionnalisation des branches.

C- Les sources locales

Les sources locales sont l’ensemble des actes édictés au niveau infra-national par des sujets ou autorités qui, opérant en situation d’autonomie, sont habilités, en vertu de la constitution, à poser à titre initial des normes sous la forme dénominative de loi. 

On rencontre diverses situations dans lesquelles les « sources locales » peuvent prendre place dans le système global d’ordonnancement des sources de droit. Il en va ainsi dans les systèmes de sources des États ayant une forme composée : État fédéral (États-Unis, Allemagne, Belgique, Nigeria, Afrique du sud...), État régional (Italie), État autonomique (Espagne, Portugal).

Paragraphe 2- Les systèmes de sources adoptés par les divers États

Les situations observables dans le choix des systèmes de sources sont variées, et même variables. 

On peut aller du plus simple au plus complexe selon qu'un État opte pour un seul système de source (système à catégorie unique), deux systèmes de sources (système à catégories binaires) ou même trois systèmes de sources (systèmes à catégories tertiaires).

A- Les systèmes à catégorie unique : une série de sources

Dans ces systèmes, on observe une exclusivité des actes nationaux comme sources d’édiction du droit. Les sources de création du droit procèdent uniquement d’autorités nationales agissant au niveau central de l’État (parlement, gouvernement...). 

Ce système d’ordonnancement juridique autour d’une seule et même source est appliqué en Grande-Bretagne et plus particulièrement au Japon.

B- Les systèmes à catégories binaires : deux séries de sources

Les systèmes à catégories binaires combinent le système de sources nationales avec l’un ou l’autre système de sources. Tantôt, ils excluent les normes internationales, tantôt, ce sont les normes locales qu’ils excluent.

Premier cas : exclusion des normes internationales. Dans ce cas, le système binaire comprend seulement les sources nationales (constitution, lois et règlements nationaux), et aussi des sources locales (lois locales notamment, mais aussi, le cas échéant, constitutions locales - États fédéraux -, règlements locaux). 

Tel est le système mis en place dans certains États fédéraux ayant fait le choix du système dualiste des rapports entre droit interne et droit international. 

Conformément à la théorie dualiste, les normes internationales conventionnelles doivent, pour être applicables en droit interne, être incorporées dans l’ordre juridique interne moyennant un acte de réception particulier qui en opère la transformation en règle de droit national (par exemple, une loi dite d’incorporation qui reproduit le texte du traité). C’est le cas aux Etats-Unis d’Amérique.

Deuxième cas : exclusion des sources locales. Dans ce deuxième cas de figure, le système normatif s’ordonne exclusivement autour des sources internationales d'un côté, et des sources nationales de l’autre, sans faire place à des sources locales. 

C’est par exemple le choix fait en France (au moins avant l'adoption de la loi constitutionnelle relative à la nouvelle Calédonie en 1998), aux Pays-Bas, au Luxembourg, par la Grèce, ainsi que les États africains de succession française, notamment la Côte d’Ivoire. D’une façon générale, ce système s’applique dans les États ayant opté pour :
  • La forme d’un État unitaire (éventuellement décentralisé)
  • Le monisme juridique impliquant une intégration automatique des traités (et a fortiori du droit international général) dans l’ordre juridique interne moyennant l’accomplissement de formalités réduites et simplifiées (ratification et publication).

C- Les systèmes à catégories tertiaires : trois séries de sources

Ce système normatif met en jeu trois catégories de sources : sources internationales, nationales et locales. C’est le cas en Allemagne, Italie, Espagne ou encore en Belgique.
Les sources du droit constitutionnel permettent d’alimenter aussi bien la théorie générale de l’État (Première partie) que la théorie de la constitution (Deuxième partie).

Chapitre 3- Un ensemble de règles spécifiques

Le droit est certes un système normatif, c’est-à-dire un ensemble de règles ; mais, ce seul aspect ne peut lui conférer une originalité. 

En effet, en dehors du droit, il existe d’autres systèmes normatifs. De même que le droit, la morale, la religion sont aussi des codes sociaux édictant de règle de conduite.

Quoi qu’il en soit, le droit demeure constitué de règles spécifiques indépendantes des règles sociales, de nature non juridique, produites par les autres codes sociaux.

Section 1- Une spécificité tenant à la nature des règles juridiques

Certes, le droit est un phénomène social, mais il n’est pas le seul phénomène social. Les règles de droit sont des règles de conduite sociale, mais elles ne sont pas les seules règles de conduites sociales : la morale, la religion, les traditions culturelles, la bienséance impliquent également un certain nombre de codes de conduite sociale. 

Elles permettent également d’assurer l’organisation des rapports entre les hommes vivant en société. En conséquence, la mise en rapport du droit avec ces codes sociaux non juridiques donne à voir qu’il leur est proche tout en demeurant spécifique par sa nature.

En dehors du droit, mieux à côté de lui, plusieurs autres règles sociales plus ou moins obligatoires et au contenu proche de celui des prescriptions juridiques existent ; ce sont les usages, les règles de bienséance, d’honneur, de courtoisie, les prescriptions morales, les commandements religieux, les pratiques culturelles ; autant de principes au contenu variable selon les lieux et les temps, et qui sont à la fois distincts (distants) et proches du droit. 

Au total, le droit n’est pas le seul code social ; et il entretient des rapports avec les autres codes sociaux. À l’observation, toutes les règles sociales non juridiques peuvent acquérir une valeur juridique, mais le droit reste spécifique. 

C’est ce qu’il faut montrer en comparant le droit à la morale (Paragraphe 1), à la religion (Paragraphe 2), à la culture (Paragraphe 3) et aux règles de convenance et d’honneur (Paragraphe 4).

Paragraphe 1- Le Droit et la Morale

Le droit est distinct de la morale (A) ; mais ce sont deux phénomènes proches (B).

A- La distinction

Elle vaut à trois points de vue : les sources, les finalités et la sanction en cas de non-respect des prescriptions.

1- Les sources : les fondements

Les sources de la morale procèdent de considérations religieuses, de la Révélation (comme le Décalogue), biologiques et surtout de la conscience individuelle ; on dit que la morale est intérieure à l’homme : il en découle que le caractère obligatoire de la règle morale nous vient de l’adhésion de chacun à la conscience morale collective.

Dans les sociétés où le droit est laïc et démocratique, ce sont les représentants du peuple ou de la nation qui en sont les principaux producteurs.

2- Les finalités : l’objectif poursuivi

La morale se préoccupe du perfectionnement de l'individu et de sa conscience individuelle ; elle met l’accent sur les devoirs de l’homme vis-à-vis des autres, mais aussi à l’égard de lui-même. L’énoncé de ces devoirs est plus long et le plus important ; la morale impose des considérations de justice de même que de charité.

En face, le droit organise la vie dans la société ; il vise à assurer l’ordre social et la sécurité publique. L’énoncé des devoirs est plus court ; et le droit ne se conçoit pas qu'en termes d'obligation : l’obligation induit le droit subjectif et inversement.

En somme, la morale est plus exigeante que le droit et elle est individuelle.

3- La sanction

La sanction de la violation de la règle morale se distingue de celle prise en cas de méconnaissance de la règle juridique, à deux égards au moins.

La morale, comme le dit si bien Jean CARBONNIER, prétend pénétrer les cœurs et la simple convoitise est déjà pour elle coupable. Au contraire, le droit s’en tient aux attitudes extérieures. C’est sur cette base que la Cour Suprême de Côte d’Ivoire a rejeté un pourvoi formé contre un jugement de la Cour d’Appel d’Abidjan au motif que : « Attendu qu’il est reproché à la Cour d'Appel d’avoir, en écartant le grief d’adultère imputé à l’épouse, manqué de donner une base légale à sa décision ;

Mais attendu que la Cour d’Appel relève que "s’agissant de l’adultère l’appelant se contente d’affirmations sans aucune justification et qu’il convient de dire que la faute d’adultère n’est pas établie " ; que l’adultère se définissant comme l’entretien de rapports extraconjugaux, la seule présence de dame KOUADJO née KOFFI Flore Lydie dans l’immeuble où habite son prétendu amant, même à six heures du matin, est insuffisante à l’établir ; que la Cour d’Appel a légalement justifié sa décision ; que le moyen n’est pas fondé » (Cour Suprême, Chambre judiciaire, arrêt n° 352/2001 du 7 juin 2001 ; in : Actualités juridiques Revue mensuelle de l'Association ivoirienne pour le développement du Droit (AIDD), n° 23, Janvier 2002).

Voir également la différence entre la convoitise et la tentative punissable en droit pénal.

Par ailleurs, la morale est autonome ; chacun est d’abord et avant tout son propre juge puisque la morale s’adresse au for intérieur, à la conscience individuelle.

Au contraire, le droit est hétéronome : nul n’est juge en sa propre cause. Les règles juridiques sont prévues et leur violation est sanctionnée par les autorités publiques compétentes.

Distinct de la morale, le droit ne s’en éloigne pas complètement ; il y a entre les deux phénomènes des points de rapprochement.

B- Le rapprochement

Même en excluant les situations dans lesquelles le droit et la morale sont difficilement dissociables soit parce que la morale religieuse se confond avec les préceptes juridiques (les États confessionnels), soit parce que les règles morales font corps avec les règles d’organisation sociale (les Sociétés traditionnelles dans lesquelles l’instance juridique se fond dans les instances morale et religieuse), on remarque que le droit n’est pas en rupture complète avec la morale. Les considérations morales ne sont pas étrangères aux règles juridiques ; il y a une explication à ce rapprochement entre ces deux phénomènes, et les manifestations sont perceptibles.

1- L’explication du rapprochement

Il serait hautement dangereux d’abandonner la société à un ordre amoral, à un pouvoir cynique totalement étranger à toute considération morale ou éthique et de livrer chacun à sa propre morale sous prétexte que la morale procède de la conscience individuelle.

Tout ce qui n’est pas juridiquement interdit en droit n’est pas forcement permis au plan social. En restant même au niveau du droit, on doit faire attention à l’abus de droit.

La dégénérescence morale de la société peut entraîner la dégénérescence de l'ordre politique, de l’ordre social, de l’ordre familial, etc. 

2- Les manifestations du rapprochement

Sur des points de différenciation entre le droit et la morale, on peut entrevoir quelques aspects de convergence.

- Les sources

La morale exerce une influence sur la loi. En effet, plusieurs aspects du Droit sont fortement influencés par des considérations morales. Particulièrement en droit international (surtout le droit international humanitaire), on a le sentiment que la morale est de retour (David CHAMBE : Réflexions sur la moralisation du droit international. Revue de la Recherche Juridique, Droit prospectif, 2002 n°2). De façon générale, le droit s’inspire de la morale. 

La loi peut elle-même renvoyer à des considérations morales ; par exemple, l’article 1133 du code civil relatif à l’annulation des contrats inspirés par des mobiles immoraux, dispose « la cause est illicite, quand elle est prohibée par la loi, quand elle est contraire aux bonnes mœurs ou à l’ordre public.

La jurisprudence administrative protège (défend) la moralité publique, un des éléments de la trilogie de l’ordre public. Ainsi, l’immoralité des films ou de certains lieux (de débauche) peut entraîner la fermeture des établissements concernés. CE. 18 décembre 1959, Société « les films Lutetia » " Un maire, responsable du maintien de l’ordre dans sa commune, peut donc interdire sur le territoire de celle-ci la représentation d’un film auquel le visa ministériel d’exploitation a été accordé, mais dont la projection est susceptible d’entraîner des troubles sérieux ou d’être, à raison du caractère immoral dudit film et des circonstances locales, préjudiciables à l’ordre public."

- Les finalités

Comme l’observe Michel VIRALLY, l'homme qui obéit au droit ou le crée est aussi celui qui est soumis à la morale. La faculté de dédoubler ses propres conceptions éthiques est limitée surtout dans une mentalité primitive. 

Surtout, l’auteur observe que « les exigences élémentaires du perfectionnement individuel et les besoins également élémentaires de l’ordre social se rencontrent en plus d’un point. Ne pas tuer et ne pas voler figurent dans tous les systèmes de morale. Seuls diffèrent le nombre, l'importance et la nature des exceptions à ces règles universelles. 

Celles-ci se retrouvent aussi dans tous les systèmes de droit, car il n’est pas de société qui puisse subsister lorsque ses membres ont toute licence de s’entre massacrer et de s’entre dépouiller. » (La pensée juridique)

En pratique, surtout en Europe et aux Etats-Unis d’Amérique, on constate une floraison des comités d’éthique sur les problèmes de procréation, d’expérimentations et de pratiques médicales.

Paragraphe 2- Le Droit et la Religion

Les développements consacrés aux rapports entre le droit et la morale sont en partie transposables ici puisque la morale emprunte à bien des égards à la religion. Certains auteurs en arrivent même à fondre la religion dans la morale. 

Cela dit, il est possible de rechercher des indices spécifiques à la religion qui permettent de la comparer au phénomène juridique. Ainsi, dans divers systèmes juridiques, la religion influence le droit (A), mais la religion diffère du droit (B).

A- La religion influence le droit

La religion influence le droit surtout lorsque le caractère confessionnel de l'État est affirmé ouvertement ou implicitement. Ainsi peut-on constater que le serment politique dans les systèmes constitutionnels qui le pratiquent, fait référence aux écritures saintes ou aux divinités.

De même, la protection des convictions et opinions religieuses, la prise en compte de l’objection de conscience en tant que droit de l’homme ; autant de marques de la religion dans le droit. 

Par ailleurs, la jurisprudence civile a été quelquefois amenée à tenir compte des convictions religieuses à l’occasion de l'interprétation des clauses contractuelles. Sur les relations entre la religion et le droit pénal, voir Elisabeth MICHELET : Religion et droit pénal. in ; Mélanges offerts à Pierre RAYNAUD.

B- La religion diffère du droit

Cette différence est perceptible au moins à deux points de vue.

1- les préoccupations

Les prescriptions religieuses sont marquées d’un évangélisme qui dépasse l’entendement du juriste. La religion fait appel à bien plus que la justice ; elle renvoie à la charité, à la bonté et à l’amour. Voir en exemple : La parabole des ouvriers de la onzième heure. Matthieu 20 versets 1-16. L’enseignement au sujet de l’humilité. Mathieu 5, Versets 38-42. Cette forme d’humilité religieuse est contraire à la légitime défense en droit.

2- Les sanctions

Elles diffèrent même lorsqu’il s’agit de la violation de prescriptions au contenu identique. La sanction de la violation des commandements religieux relève de l’ordre de la transcendance, et n’appartient pas à l’État.

Paragraphe 3- Le Droit et les Pratiques culturelles

Dans les systèmes sociaux qui restent encore marqués par la tradition et les pratiques culturelles, la culture est souvent regardée comme une composante essentielle des codes sociaux. La culture peut en effet servir comme fondement du droit (A) ; et le droit peut tolérer certaines pratiques culturelles (B). Mais il convient de savoir que les pratiques culturelles, même fortes, restent en deçà du Droit (C).

A- Les pratiques culturelles peuvent être porteuses du Droit

1- En vertu de l’adage ubi societas ibi jus, l’ordre juridique est le reflet d’un système social et culturel

2- En vertu de l'interprétation anthropologique du Droit

Les règles coutumières sont interprétées comme résultant de la culture

B- Le Droit peut tolérer certaines pratiques culturelle

C- Les pratiques n’ont pas la valeur de règles de droit tant qu’elles demeurent en deçà de la juridicité


Paragraphe 4- Le Droit, les règles de convenance et les règles d’honneur

En dehors de la morale et de la religion, il existe d’autres règles sociales non juridiques qui guident les comportements. Ces règles proposent des valeurs et imposent par ce fait des manières d’être et de faire en société.

À l’intérieur de cette catégorie de normes de comportements, les auteurs établissent une distinction qui tient compte de la distance plus ou moins grande qui sépare le droit du non droit ; aussi peut-on présenter séparément les règles de convenance (A) des règles d’honneur (B).

A- Le droit et les règles de convenance

On les appelle également des règles de bienséance (Jean- Louis BERGEL ; Jean CARBONNIER) ou des règles de mœurs (François TERRE).

1- Définition des règles de convenance

Les règles de convenance sont des règles qui imposent des comportements nécessaires à la coexistence des hommes en société ; il s'agit surtout des règles de savoir-vivre qui apportent une certaine qualité de vie ainsi que des marques de distinction sociale ; elles portent sur la politesse et l’éducation, la courtoisie (les salutations), les usages (les pourboires facultatifs), l’hygiène, etc.

2- Comparaison règles de droit / règles de convenance

Les règles de bienséance semblent se rapprocher des règles juridiques, mais l’observation permet de vérifier qu’elles s’en distinguent.

- Comme le droit, elles imposent des comportements extérieurs afin d’assurer un certain ordre dans les relations sociales ; mais ce sont des relations qui mettent en jeu les éléments d’un groupe et non l’ensemble de la société soumise aux lois de l’État. 

Ainsi, le savoir-vivre touareg interdit à tout mâle, même au mari, de s’introduire dans une tente où une dame est en compagnie ; il lui est également interdit de reprocher à son épouse les tricheries de celle-ci avec un esclave.

(Ahmadou Kourouma : En attendant le vote des bêtes sauvages. Éditions du Seuil, Collection Points, Paris).

- La sanction du manquement à l’obligation : les violations des règles de mœurs ne sont pas dépourvues de sanctions ; comme en droit, la sanction des règles de mœurs est externe (réprobation des cercles où la violation a été commise) et spontanée (la mise à l’écart ou l’exclusion totale du groupe restreint).

Mais cette sanction n’est jamais obtenue par une action en justice et elle ne peut faire l’objet d’une contrainte des autorités publiques ; il s’agit plutôt de la réprobation de ceux qu’on appelle « les honnêtes gens » (Philippe MALAURIE : Cours de Droit civil Tome I, Introduction à l’étude du droit. Éditions Cujas, Paris).

Le caractère plus ou moins contraignant des bonnes mœurs apparaît dans la distinction faite par les sociologues américains entre les règles de comportement qui sont plus proches des règles juridiques et celles qui s’en éloignent ; les premières appelées les mores sont des comportements qui sont habituellement saisis par le droit et dont la méconnaissance cause préjudice à autrui (exemple : l'obligation pour le séducteur d’épouser la fille séduite, tout au moins d’assumer certaines obligations à son égard) ; quant aux secondes, les folkways, ce sont les manières de vivre du groupe, les manières de s’habiller (le port de la cravate ou d’un nœud papillon imposé dans la classe bourgeoise), de se nourrir (la manière de manger en public), de saluer, etc.

Comme on vient de le voir, certaines règles de mœurs peuvent par la force des obligations qui les sous-tendent, se rapprocher du droit. Il en est encore davantage des règles d’honneur.

B- Le droit et les règles d’honneur
 
Avec les règles d’honneur, on se rapproche un peu plus du droit.

- Ce sont des règles qui protègent l’image (au sens figuré) et la dignité des groupes qui tiennent à l’honorabilité de leurs membres ainsi que des individus. Dans toutes les sociétés humaines, il existe, il a existé des procédés non juridiques de protection de l’honneur. Ces procédés appellent quelquefois à la mort ; en effet, l’honneur est, était défendu par un acte de mise à mort de l’autre ou de soi-même (duel, vengeance, suicide).

Le droit tient compte de l’honneur de manières diverses.

- En droit pénal et en droit civil, la dignité des personnes est protégée par la technique de la diffamation par voie de presse (imputation d’un fait ou d’une allégation), de l’injure et de l’outrage (expression outrageante, termes de mépris ou invectives) ; dans tous ces cas, la victime présumée de l’atteinte à l’honneur peut obtenir la sanction du préjudice si les propos tenus pour nuisibles ont bénéficié d’une certaine publicité et s’il est établi qu’un dommage lui a été causé, résultant d’un dessein malicieux, d’une intention de nuire et de la mauvaise foi.

- Les codes de déontologie professionnelle protègent la profession en imposant à leurs membres une certaine conduite afin de préserver l’honneur de la profession.

- En droit international public existent les gentlemen’s agreements ou engagements d’honneur qui sont des actes concertés non conventionnels dont le caractère obligatoire repose sur la bonne foi et la loyauté des signataires (par exemple, les Accords d’Helsinki).

Section 2- Une spécificité tenant aux formes encadrant les règles juridiques

Le droit est, par ailleurs, un phénomène social spécifique en raison des formes qui encadrent les règles. Cette spécificité, attachée aux formes encadrant les règles juridiques, se manifeste essentiellement à travers l'existence de l’obligation juridique (Paragraphe 1). 

Mais pour certains auteurs, on doit également prendre en considération l’intervention d'une instance tierce dans le règlement des conflits (Paragraphe 2).

Paragraphe 1- L’obligation juridique

L’obligation juridique s'exprime à travers la règle ou la norme de droit (A) qui est confortée au besoin par une sanction (B).

A- La règle ou la norme

L’expression « règle » a des significations variées. En dépit de cette variété, la règle exerce la même fonction ; elle a la même vocation.

1- Le sens concret

Au plan du droit, on observe une évolution de la notion de règle mise en évidence par les travaux de Paul AMSELEK (Norme et loi : Archives de philosophie du droit, Tome 25 : La loi, Sirey 1980). En effet, cet auteur a bien montré comment s’est opérée l’évolution du sens des mots règle et norme ; deux expressions dont il faut d’emblée préciser qu’elles sont synonymes et interchangeables ; on est, en effet, passé du sens concret qui relève d’une donnée purement physique, matérielle, à un sens abstrait, celui que lui confère l’univers du droit.

En effet, en recherchant le sens étymologique, la norma et la regula désignent des instruments de mesure physique. En latin, la norma se rapporte à un instrument matériel, en l’occurrence une équerre formée par deux pièces perpendiculaires et servant à réaliser, ou à vérifier des angles droits ou tracés perpendiculaires rectilignes. 

Quant à la regula, elle désigne également une équerre ; mais aussi un instrument constitué par une planchette allongée ou par une tige à arêtes rectilignes et qui sert à guider le crayon ou la plume quand on trace un trait, ou qui sert à mesurer une longueur.

2- Le sens abstrait

Par la suite, l'expression règle ou norme a servi à désigner celui qui incarne ce qui est droit, celui qui est chargé de tracer la voie à suivre. D’où l’expression latine regere (dérivée de regula) qui signifie « guider », « diriger », ainsi passé du sens concret au sens abstrait et la règle ou norme de droit devient le gouvernail de la société, l’outil par lequel l’on se dirige dans une société humaine et à l’application duquel on peut être obligé.

En effet, la règle de droit est obligatoire ; elle impose des prescriptions dont la force est, du reste, variable (Infra SECTION IV) à ses destinataires. Mais, quelle est la portée d'une règle obligatoire ? Se pose ici la question controversée des rapports entre l’obligation et la sanction. Mais quelle est l’efficacité d’une règle obligatoire ? À partir d’ici se pose la question de la sanction de la violation du droit.

B- La sanction en droit

La règle juridique peut-elle se suffire à elle-même ? La réponse à cette interrogation est délicate. Nous allons peut-être la trouver dans la définition de la sanction, les explications de la sanction, les confusions au sujet de la sanction et les catégories de sanction.

1- La définition de la sanction

La sanction, une des grandes inconnues du Droit. En Droit, on utilise assez souvent le terme de "sanction" sans pour autant en donner une définition.

Sans doute pense-t-on que l'énonciation du terme suffit à l’éclairer. Les auteurs recherchent le lien logique entre l’obligation et la sanction ; ils tentent de démontrer la nécessité de la sanction en droit ; ils exposent les manifestations et les limites de la sanction, mais ne se soucient pas de dire ce qu’est la sanction. 

En vérité, si le mot est d’une définition insaisissable, c’est sans doute parce que la chose elle-même est difficilement appréhendable. 

En empruntant au Professeur Remy CABRILLAC, sa formule raccourcie, on peut dire qu’en cette matière, « les exemples sont plus faciles que les définitions pour caractériser la sanction ». (Remy CABRILLAC : Introduction générale au droit privé. Eyrolles Université, Collection Droit, Paris)

On voit que déjà à ce premier niveau de la définition, la sanction est, ainsi que le montre bien le professeur Philippe JESTAZ, une des grandes inconnues du droit (Philippe JESTAZ : La sanction, cette inconnue du droit. Dalloz, Paris).

La définition spécifique de la sanction en Droit. On peut malgré tout emprunter à la sociologie générale pour dire de la sanction qu’elle est une attitude ou une action de réprobation d’un groupe ou d’une société vis-à-vis des comportements de transgression des normes (voir Madeleine GRAWITZ : Lexique des Sciences sociales, Dalloz, Paris).

Sous ce regard, la sanction n’est pas spécifique au droit. En effet, tous les codes sociaux, c’est-à-dire la religion, la morale, les règles de bienséance, les règles d’honneur sont toutes pourvues de sanctions. 

Mais pour faire la différence avec les autres règles de comportement social, on peut retenir que les sanctions du droit sont socialement organisées. 

Ce qui signifie d’abord, qu’elles sont prévues par la loi ; en d’autres termes par la règle de droit ; ensuite, ce sont des sanctions pour lesquelles on peut obtenir la réalisation par le recours à la justice. En effet, une des caractéristiques essentielles de la sanction en droit, c’est d'être obtenu au besoin par les moyens de l'État.

La sanction tombe ainsi sous le coup de la régulation ; c’est la règle qui prévoit la sanction.

On note toutefois que la sanction de l’obligation naturelle est problématique. L’obligation naturelle se situe à la croisée du devoir moral et de l'obligation juridique. Et la réalisation de cette obligation n’est pas toujours aisée.

2- Les explications de la sanction

La sanction en Droit a une double explication : l’une est psychologique et psychanalytique, l’autre est simplement juridique.

- L’explication psychologique et psychanalytique

Selon plusieurs auteurs dont des juristes, la nécessité de la sanction est expliquée par la tendance naturelle de l’humain à l’insoumission. Il faut donc que la sanction serve à soumettre cet animal social qu’est l’homme. La sanction doit venir en appui à l’obligation de faire ou à l’interdiction de faire.

Ainsi exerce-t-elle un effet dissuasif sur les tendances déviationnistes dans les comportements humains. Selon Jean CARBONNIER, la sanction est sollicitée par l’homme lui-même pour lui permettre de maîtriser ses pulsions et ses tendances anti-sociales (Droit civil : Introduction au droit. Dalloz, Paris). 

François TERRE peut donc conclure que « l’application éventuelle d’une sanction peut expliquer, théoriquement ou pratiquement, les comportements dociles ou paisibles. Et cela suffit pour que la sanction par l’autorité étatique apparaisse comme inhérente à la règle de droit. » (Introduction générale au Droit. Dalloz, Paris)

On peut penser que c’est en raison de ce lien donné comme inéluctable entre obligation et sanction qu’est née la confusion sur la portée de la sanction (confusion au sujet de laquelle nous allons dire quelques mots à l’instant).

- L’explication juridique de la sanction

En restant exclusivement dans l’ordre du droit, le juriste trouve trois séries d’explication. La sanction s’explique en effet par l’idée de rétribution ou par l’idée de réparation. À cela, on peut ajouter l’explication tirée de la prévention de la violation du Droit (Voir Jean RIVERO : Sur l’effet dissuasif de la sanction juridique. in Mélanges offerts à Pierre RAYNAUD. Dalloz-Sirey, Paris 1985 Gérard CORNU : Droit civil : Introduction, les personnes, les biens. Montchrestien, Paris).

La rétribution est l’action qui consiste à rendre l’équivalent à la suite d’un avantage reçu ou d’un préjudice subi. La fonction répressive de la sanction aurait son origine dans l’ordre moral et religieux. La sanction consiste alors à imposer une peine, un châtiment corporel de privation de liberté ou de droit, à imposer une amende à l’auteur de la violation du droit. 

Il s’agit par ce fait, dans la conception primitive, d’assouvir une vengeance personnelle, car la vengeance peut dissuader les velléités de transgression des normes. Mais en plus de la vengeance, cette sanction est fondée sur la recherche de la justice et la gravité de la sanction est à la mesure de la violation du droit.

Avec la réparation, on se préoccupe davantage des conséquences de l’acte dommageable par l’exécution forcée des obligations non exécutées ou par une réparation en nature des dommages ou alors par le payement d’une indemnité qui sera considérée comme l’équivalent du préjudice subi, apportant ainsi une satisfaction à la victime du dommage.

Sur ce qui vient d’être dit, la nécessité de la sanction est indiscutable. La sanction a en effet pour but de passer de l’être au devoir-être. Mais lorsqu’on pousse un peu plus loin la réflexion sur la sanction, des confusions naissent.

3- Les confusions au sujet de la sanction

Avant tout, il convient de savoir que la sanction est rarement satisfactoire au plan humain et social. On note par exemple que les droits extra-patrimoniaux posent de délicats problèmes de sanction ; quand l’honneur a été déjà souillé, « une fois le mal fait, le droit avoue sa faiblesse. 

Les droits extra-patrimoniaux manquent souvent de sanction adéquate. Une injure ne se répare qu’en faisant retenir la responsabilité civile de son auteur, c’est-à-dire par le versement d’une somme d’argent, compensation pécuniaire par où les droits extra-patrimoniaux se trouvent ramenés à un autre ordre de valeur ». (Gérard CORNU : Droit civil : Introduction les personnes, les biens). Cela dit, un certain nombre de confusions existent au sujet de la sanction.

- La première et la plus ancienne tient à une assimilation malheureuse entre sanction et répression

Pour certains auteurs, la règle de droit ne saurait se concevoir si elle n’est pas assortie d’une sanction répressive. Ainsi, Léon, Henri et Jean MAZEAUD retiennent que « la règle de droit est sanctionnée par la contrainte. 

Il y a là un caractère spécifique de la règle de droit. Une règle qui ne serait pas obligatoire, ne serait pas une règle de droit. C’est que, sans la contrainte, elle ne saurait remplir son but qui est de faire régner l’ordre dans la société ; elle ne répondrait plus au besoin de sécurité : quelle sécurité serait la nôtre si chacun était libre de ne pas respecter la règle tracée ? »

(Leçons de droit civil : Tome premier : Introduction à l’étude du droit, Éditions Montchrestien, Paris, 1970 Tome 4e Édition mise à jour par Michel de JUGLART)

Il est vrai que la sanction répressive est quelquefois nécessaire à l’exécution par l’homme de ses obligations. Dans la conception primitive, la justice privée et la vengeance ont prévalu. 

Il s’agissait par cette justice de réprimer. Ainsi peut-on lire dans les écritures saintes (Deutéronome 19, verset 21) « Vous n’aurez aucune pitié à l’égard du coupable, il doit être puni : vie pour vie, œil pour œil, dent pour dent, main pour main, pied pour pied ».

Nous avons déjà noté l’utilité de cette forme de sanction. Mais la contrainte n'épuise pas la sanction en Droit. Plusieurs auteurs, y compris à travers les manuels d’introduction au Droit (Monique CHEMILLIER-GENDREAU, Michel MlAILLE, François TERRE, Michel VIRALLY pour ne citer que quelques-uns) ont bien mis en évidence les insuffisances des idées qui réduisent la sanction à la seule manifestation de la répression. 

Une telle vision réductrice aboutit notamment à une confusion entre le phénomène et ses conséquences, c’est-à-dire entre l’obligation juridique (obligation de faire, obligation de ne pas faire) et la sanction, au besoin répressive, du manquement à cette obligation.

Les limites de cette perception réductrice sont nombreuses et évidentes.

- La force doit être l’ultime recours dans les sociétés organisées.

La force ne doit jouer qu’un rôle dissuasif. Elle ne doit intervenir qu’après l’inefficacité des autres moyens de dissuasion. La force doit en effet être l’ultima remedio. Une société qui ne fonctionne que sur la base de la force et de la violence est une société désarticulée.

- Le problème de l’adaptabilité sociale de la sanction

Il existe en Droit pénal le principe de la proportionnalité des délits et des peines. Au-delà de ce principe, se pose d’un point de vue sociologique le délicat problème de l’adaptabilité de la sanction. 

En effet, certains malentendus proviennent de l’efficacité même de la sanction. Cette efficacité dépend notamment de l’adaptabilité sociale et psychologique de la sanction. Même les sanctions les plus sévères ne sont utiles que si le milieu social ou si l’individu concerné éprouve le besoin d’un changement de comportement vis-à-vis de la règle de droit.

- Les confusions provenant de la crise du Droit.

Certaines confusions à propos de la sanction proviennent en effet de ce que certains auteurs appellent une crise du droit ou de la loi ; et que d’autres, dans une perspective différente, appellent une crise de la science du Droit.

Les malentendus découlent de ce qu’aujourd’hui, le droit ne s’exprime pas exclusivement en termes d’obligatoriété.

La force des commandements juridiques est variable ; elle va, de façon décroissante, du droit impératif aux normes supplétives ; sans oublier que le droit connaît des zones de tolérance.

Par ailleurs, même si on admet que la sanction est quelques fois nécessaires à l’effectivité du droit, n’oublions pas que le droit a également une fonction directive.

 Celle-ci se manifeste à travers les propositions normatives d'objectifs dans lesquelles on utilise, en lieu et place du commandement, la recommandation juridique à travers les invitations, les incitations, les prospections.

C’est surtout dans le domaine économique que cette évolution est perceptible. Sur un plan général, on peut remarquer que s’il existe des situations dans lesquelles la sanction est immédiate, instantanée, le plus souvent, il s’agit d’une possibilité de sanction ou d’une menace de sanction dont la mise en œuvre dépend en dernier ressort d’une appréciation d’opportunité de la part de l’autorité ou du particulier qui devrait assurer le déclenchement du processus devant aboutir à la sanction.

On remarque également qu’il existe des règles juridiques qui ne prévoient pas de sanctions de façon formelle et qui sont tout de même rigoureusement respectées. Par contre, lorsque le droit est inadapté, les mécanismes même les plus rigoureux de sanction sont incapables de lui assurer une effectivité et une efficacité.

4- Les catégories de sanctions

La sanction en Droit se présente sous diverses faces ; on peut ainsi avoir différentes catégories de sanctions, tout en précisant que cette catégorisation est relative et que les nomenclatures se recoupent.

- Les distinctions faites en raison des intérêts sociaux en cause

Sur la base des intérêts à protéger, on distingue entre sanctions civiles, sanctions pénales et sanctions disciplinaires.

Les sanctions civiles : ce sont les sanctions appliquées en matière civile. Certains auteurs estiment que dans ce domaine, « le terme de sanction est excessif ». Il s’agit d’un « ordre donné à l’une des parties au procès d’accomplir, de livrer ou payer ce qui a été promis, ordre de payer des dommages et intérêts correspondants au préjudice subi, ordre de libérer les lieux etc... étant entendu qu’au besoin, il pourra être fait appel à la force publique, notamment à travers les huissiers de justice, pour exécuter la décision » (Philippe MALINVAUD : Introduction à l’étude du Droit : Cadre juridique des relations économiques. Litec, Paris, 2004).

Les sanctions civiles sont, comme on le voit, réparatrices des atteintes aux intérêts privés. 

Ainsi, une personne qui ne peut ou ne veut exécuter une obligation découlant d’un contrat sera tenue (obligée) de payer des dommages et intérêts dus à l’inapplication du contrat, ceci afin de compenser le défaut d’exécution de la loi.

Les sanctions pénales sont des souffrances imposées aux personnes qui par leurs actions ou omissions portent atteinte à l’ordre public, à l’intérêt de la collectivité. 

Bien entendu, cette atteinte à l’intérêt collectif se manifeste généralement au premier abord par une atteinte à un droit privé ; en effet, l’infraction pénale est dans la plupart des cas une atteinte à la vie, à la sécurité et / ou à la propriété d’un particulier. 

Dans le cadre des sanctions pénales, on utilise le terme de "peine" qui se manifeste soit en un emprisonnement soit au payement d’une amende, c’est-à-dire d’une somme d’argent à la collectivité, soit en une privation de droits et de libertés ou dans le pire des cas à une mise à mort.

Les sanctions disciplinaires, la responsabilité disciplinaire est engagée pour un manquement aux règles d’une société particulière vouée à une activité spécialisée et à laquelle ses membres n'appartiennent que par la part qu’ils prennent volontairement ou non à l’exercice de cette activité (Michel VIRALLY: La pensée juridique. LGDJ, Paris, 1960). Il s’agit par cette responsabilité de protéger le droit en protégeant l’image de la profession concernée. 

Ainsi, un employeur (qu’il s’agisse de l’administration ou d'une entreprise privée) sanctionnera les agents qui n’effectuent pas leur obligation professionnelle ou qui l’exécutent mal. Certains ordres professionnels à travers leur code déontologique (voir infra) sont investis du pouvoir de sanctionner leurs membres au plan disciplinaire.

Remarque à propos de la distinction entre les sanctions

Quelques problèmes de compétences juridictionnelles découlent de cette distinction.
Les sanctions civiles, les sanctions pénales et les sanctions disciplinaires sont soumises à des juridictions différentes. 

Mais les juridictions pénales peuvent connaître des sanctions civiles alors que les infractions pénales constituent des questions préjudicielles pour les juridictions civiles.

D’autre part, les sanctions disciplinaires prononcées par les groupes privés ou par les conseils de discipline (notamment les ordres professionnels) relèvent en dernière instance de la compétence des juridictions étatiques.

- Les distinctions entre les sanctions qui frappent les personnes et celles qui frappent les actes juridiques.

Quelle est la cible de la sanction ?

Par définition, toute sanction frappe indirectement ou non une personne. Elle porte atteinte à ses prétentions ou à ses intérêts. Mais, on peut distinguer entre les sanctions qui visent les personnes elles-mêmes et celles qui concernent les actes juridiques.

Les sanctions pénales frappent les personnes en ce qu’elles réduisent ou anéantissent leurs droits, leurs libertés ou leur patrimoine. Les sanctions pénales qui visent les biens des personnes sont les amendes, plus ou moins élevées suivant les infractions. Les plus graves des sanctions pénales portent sur la personne elle-même, sur le coupable même de l’infraction (déchéance des droits, emprisonnement et mise à mort).

Certaines sanctions civiles frappent les biens des personnes (c’est le cas du payement des dommages et intérêts ou de l’astreinte).

C’est surtout en matière civile que les sanctions frappent les actes.
Dans cette matière, on retient :

- La nullité : la validité d'un acte juridique est ici en cause en raison de l’atteinte aux conditions de formation de cet acte. La nullité est surtout valable lorsqu’il y a atteinte au consentement de l’une des parties ou lorsqu’il y a un détournement de la cause de l’acte. La nullité est relative lorsqu’elle se rapporte à un intérêt privé. Ici certaines clauses ou dispositions de l’acte sont invalidées. La nullité est absolue lorsqu’il y a une atteinte à l’ordre public.

- L’inexistence : Certains auteurs estiment, soutenus en cela par une partie de la jurisprudence, que certaines formes de nullité absolue doivent être considérées comme des cas d’inexistence, en raison de la gravité des faits en cause.

- L’opposabilité : ce qui est en cause ici, ce n'est non pas la validité de l’acte, mais l’extension des effets de l’acte à d’autres sujets de droit.

L’inopposabilité est une sanction qui frappe les actes en raison de l’atteinte aux conditions de leur publicité. Un acte qui n’a pas été régulièrement publié est considéré, pour ceux qui n’ont pas participé à sa formation, comme ne produisant pas d’effets à leur égard.

Mais pour certains auteurs, même en incorporant la sanction à la règle juridique, le phénomène juridique ne saurait se constituer tant que l'intervention d’une instance tierce dans le règlement des différends potentiels n’est pas envisagée.

Paragraphe 2- L’intervention d’un tiers dans le règlement des différends

Exposons brièvement la thèse de la relation triangulaire (A) avant d’entrevoir quelques-unes de ses insuffisances (B).

A- Expose de la thèse de la relation triangulaire

On aurait pu supposer qu’il suffirait que deux personnes se rencontrent pour que soit constitué un ordre social et que se créent des rapports juridiques.

Certes, des règles juridiques pourraient valablement se constituer et s’appliquer entre les parties ; mais l’objectivation des rapports sociaux ne peut pleinement se réaliser que si à l’occasion d’un différend, l'interprétation par un tiers supposé impartial peut être sollicitée dans le cadre du règlement de ce différend. 

Ceci implique que Robinson CRUSOE, même lorsqu’il rencontre Vendredi, ne connaît pas encore le phénomène juridique dans sa plénitude. La relation juridique est pour ainsi dire forcement triangulaire. Jean CARBONNIER explique à ce propos : « de même que le droit s'incarne pour le peuple dans le législateur et dans le juge, il se manifeste, aux yeux du juriste dans deux phénomènes : la règle de droit et le jugement. Ce sont deux phénomènes primaires, irréductibles l’un à l’autre ».

(Droit civil, Introduction. Puf Collection Thémis droit privé, 21e édition, Paris, 1992 p.21). Quelques pages plus loin, l’auteur revenant sur cette même idée, insiste sur le fait que les jugements sont des pièces constitutives de l’ordre juridique à l’égal des règles de droit (Sur ce point, voir également Louis ASSIIER-ANDRIEU).

Cette thèse est séduisante ; mais en poussant la logique au bout, elle risque d’aboutir à des excès. En clair, elle présente des limites.

B- La critique de la thèse de la relation triangulaire.

La thèse de la relation triangulaire est marquée par une incomplétude rendue par les excès du positivisme. Ces limites tiennent à deux ordres de considération.

- La confusion entre juridicité et justiciabilité

Le droit parfait ne serait-il que le droit rendu par l’instance juridictionnelle ?

Cela reste à vérifier. La juridicité ne saurait se réduire à la justiciabilité. Le droit préexiste au juge ; ce dernier intervient en cas de contentieux pour l’appliquer et l’interpréter. Certes, le juge peut contribuer de cette manière à la formation et à l’évolution des règles juridiques (CHAPITRE III : Les sources du droit, SECTION III). 

Il ne saurait se substituer au législateur, à moins qu’il ne s’agisse d’un système social dans lequel le juge est législateur principal. Comme pour emprunter à une expression de Jean CARBONNIER (Flexible droit : pour une sociologie du droit sans rigueur. LGDJ, Paris), le Droit est plus grand que le droit dit par le juge.

- L’excès d’objectivation de l’instance juridictionnelle.

On présente l’institution juridictionnelle comme une institution qui de façon absolument impartiale et objective dit le droit (juris dicere signifie en latin dire le droit, rendre la justice). 

À l’analyse, on réalise que la Justice est, autant que la Police et l’Administration, un élément de l’appareil répressif de l’État. L'unité du Pouvoir d’État implique que la justice est une composante de l’organisation étatique.

De plus, au sein de l’appareil juridictionnel, l’idée de la présence d’un tiers supposé impartial et désintéressé n’est pas toujours vérifiée (Voir le fonctionnement des juridictions d’exception).

On peut donc dire au total que la thèse de la relation triangulaire est vraie, mais il faut se garder de ses excès.

En examinant l’encadrement du phénomène juridique par des formes, nous étudions du même coup certains aspects de la spécificité du droit.

L'exposé de cette spécificité sera mieux rendu par la comparaison entre le droit et d’autres phénomènes sociaux proches.

Section 3- Une spécificité tenant aux caractères de la règle de droit

De la définition que nous avons donné du droit, comme étant un ensemble de règles de conduite sociale obligatoires et destinées à prévenir ou à apaiser les conflits dans la société politique, on peut dégager un certain nombre de caractères facilement décelables.

L’énumération de ces caractères, telle qu’elle ressort de la plupart des manuels d’introduction au Droit est le plus souvent marquée par le positivisme ambiant ; de sorte que les caractères formels prévalent sur les caractères substantiels, si les premiers caractères ne font pas tout simplement ombrage aux seconds. 

Nous allons exposer les caractères formels (Paragraphe 1) avant de tenter d’expliquer les raisons pour lesquelles les caractères substantiels ne peuvent ici être analysés avec la même ampleur (Paragraphe 2).

Paragraphe 1- Les caractères formels

Au plan de la forme, la règle de droit est reconnaissable à trois caractères cumulatifs : elle est étatique, abstraite et obligatoire.

A- Le caractère étatique

Dire de la règle de droit qu'elle est étatique, signifie qu’elle est produite par les organes de l'État ou ses démembrements ou par les institutions interétatiques. Dans le car particulier des États fédéraux, il convient de préciser que l'unité de l'État implique l’unité du droit. 

Les manifestations de l'activité normative de l’État ou des États sont perceptibles à travers les actes de volonté étatique et interétatique que sont : la constitution, la loi, le traité international, le règlement, la coutume, les principes généraux du droit. Etc.

Qu'il s'agisse de règle qui procèdent d’une démarche formelle, ou alors d’un processus, et quelle que soit la source organique de la règle considérée, c’est la volonté étatique qui détermine sa formation et son application.

Le caractère étatique de la règle de droit permet d’exclure du champ des normes juridiques, les actes des personnes privées ainsi que les règles morales et les règles de bienséance.

Mais, tout acte juridique d’origine étatique n’est pas forcément une règle de droit. Pour qu'il en soit ainsi, il faut que cet acte en plus de son caractère étatique soit marqué par l'abstraction et l’obligatoriété.

B- Le caractère abstrait

Le caractère abstrait de la règle de droit a une signification ; et l’exposé de cette signification permet d’entrevoir un certain nombre de qualités qui sont attachées à cette règle. Par ailleurs, une distinction des actes juridiques peut être faite, qui tienne compte du caractère abstrait.

1- La signification du caractère abstrait

Le caractère abstrait de la règle de droit est généralement utilisé comme un synonyme du caractère impersonnel alors même que ce dernier caractère se déduit du premier cité.

a- La généralité et la permanence de l’acte juridique

Dire d’un acte juridique qu'il est abstrait signifie qu’il est général et permanent. Ainsi en est-il pour la règle de droit :

- La règle de droit est générale au regard de son application ratione loci ; elle est générale dans l’espace. 

En tenant compte de sa territorialité (c’est-à-dire de la spécificité du droit et de son application à chaque système politique national découlant de l’existence de frontières entre les États), la règle est sensée s’appliquer à tout le territoire national d’un État déterminé.

L'application du principe de généralité de la règle de droit doit cependant tenir compte de la différence des situations de fait et de l’objet de la règle. Ainsi, en pratique et en considération de son domaine d'application, la règle peut s'appliquer à certaines portions du territoire.

- La règle de droit est permanente dans son application ratione temporis. Elle s’applique à toutes les situations présentes et à toutes les hypothèses futures qui se rapportent à son cadre d’application.

Mais la règle de droit n'est pas perpétuelle, elle n’est pas éternelle ; elle a une durée de vie qui va de la date de son existence, c’est-à-dire de la période de sa formation [adoption, consécration (règle découlant d'un processus)], à la période de sa disparition. 

La règle de droit, en principe n’est pas rétroactive et elle ne peut s'appliquer au-delà de sa durée de vie.

b- L’impersonnalité de la règle de droit

Du caractère général et abstrait, on déduit que la règle de droit est impersonnelle. Elle n’est pas faite pour une situation particulière en considération des personnes, du temps ou de l’espace. Elle vise toutes les personnes, toutes les choses et / ou les situations qui rentrent dans la catégorie définie d'avance. 

La loi est générale dans son application ratione personae ; ceci transparaît, tout au moins dans le langage du droit, à travers l’utilisation fréquente des pronoms et adjectifs indéfinis : tout, chacun (chaque), on, il est (par exemple, il est interdit), aucun.

2- Les qualités attachées à la règle de droit en raison du caractère abstrait

a- La sécurité juridique et la prévisibilité du droit

On sait par avance ce qui est obligatoire, ce qui est interdit, et ce qui est permis. Dans la mesure où nul n’est censé ignorer la loi, les comportements sont par avance déterminés ; et chaque acteur social, chaque sujet de droit sait à la limite à quoi s’en tenir.

Mais la multiplication des règles (l’inflation législative) peut être source d’insécurité juridique, et aggraver ainsi l’analphabétisme juridique.

b- L’égalité devant la loi est garantie pour tous

Ceci est le principe. Il s’agit là d’un principe presque universel ayant valeur constitutionnelle dans la plupart des États.

Mais cette égalité ne signifie pas l’uniformité ; et la loi peut traiter différemment des situations et conditions apparemment semblables ; on a des applications sous la forme de discriminations positives ou d’inégalités compensatrices.

Mais on sait que derrière cette prétention au traitement égal des citoyens, la loi peut créer ou conforter des situations d’inégalité sociale.

3- La distinction des actes juridiques fondée sur le caractère abstrait

- En considération du caractère abstrait, une distinction doit être faite entre les actes juridiques qui ont une prétention à la généralité, à la permanence et à l’impersonnalité et les actes juridiques qui n’ont pas une telle prétention. Les premiers sont des règles de droit ; les seconds, des actes individuels.

Les actes administratifs individuels (Exemple : nomination, affectation, suspension ou révocation d’un agent public) sont bien des actes d’origine étatique ; de même, une décision de justice doit être attribuée à un organe de l’État. 

Tous ces actes étatiques sont obligatoires et produisent des effets de droit ; mais ils sont dépourvus du caractère abstrait et impersonnel. Les actes individuels d’origine étatique ne sont donc pas des règles juridiques. C’est là un des aspects du fétichisme du droit (Jean-Louis SOURIOUX : Introduction au droit. PUF, Paris).

- En dépit des positions du normativisme (voir Hans KELSEN : la théorie juridique de la convention) et de la sociologie juridique (voir Jean CARBONNIER : Flexible droit, "le droit est plus grand que la règle de droit"), les actes individuels restent exclus de la sphère des règles de droit.

- Dans cette vision générale, une place à part doit être faite aux décisions de justice ; en effet, elles sont a priori des actes individuels, mais qui ont une valeur normative réelle ou virtuelle (infra CHAPITRE III- LA JURISPRUDENCE, SOURCE DE DROIT) .

C- Le caractère obligatoire

La règle de droit, on l’a vu, est sous-tendue par l’idée d’obligation ; aussi, la règle de droit impose des prescriptions et prévoit éventuellement des sanctions.

1- La règle de droit impose des prescriptions

La règle de droit entre le commandement et la recommandation.

Conçu à l’origine comme un instrument de commandement, le droit ne fait pas que commander. Le droit exerce, selon certains auteurs, plusieurs fonctions qui sont pour les uns : organiser, imposer, proposer, exprimer (Remy CABRILLAC) ; pour d’autres : mesurer, diriger, décider (Jean-Louis SOURIOUX). 

Ces nomenclatures qui, du reste, se recoupent en plusieurs points, confirment les analyses des auteurs qui font observer à juste titre que le droit s’éloigne du registre du commandement en intégrant des normes qui ont seulement une portée indicative et qui apparaissent dans les lois-programmes ou lois d’orientation (Jean Bernard AUBY : Prescription juridique et production juridique).

Y a-t-il là une crise du droit ou alors une crise de la science du droit qui ne raisonne généralement que par le phénomène de l’obligation ? Cette question ne manque pas d’intérêt, mais elle est fort complexe à ce niveau de l'apprentissage du droit (1ère année). 

C’est pourquoi, nous allons retourner à la vision élémentaire et classique pour voir que les prescriptions sont variables dans leur contenu, dans la précision des obligations assumées et enfin quant à leur force.

Le contenu des prescriptions

Traditionnellement, on présente les prescriptions juridiques sous la forme :

- soit d’une obligation de faire qui impose d’agir ; 

- soit d'une obligation de ne pas faire ; ou si l’on veut, d'une interdiction de faire, qui impose l’abstention.

Mais les situations ne sont pas si tranchées et des zones grises existent ; on peut en retenir deux :

D'abord lorsque le droit permet de faire, on ne peut à première vue considérer qu’il oblige. Ainsi que l’écrit le professeur François CHABAS « permettre semble contredire l’idée d’obligation. La permission est une dispense, une exception à une interdiction. La permission crée l’obligation pour les tiers de laisser agir impunément le bénéficiaire de la permission ».

(Henri, Léon et Jean MAZEAUD Leçons de droit civil Tome l Introduction à l’étude du droit. Mise à jour par François CHABAS, Montchrestien, Paris).

Ensuite, le droit connaît des zones de tolérance variable (voir par exemple Jacques MOURGEON : Tolérance et règle de droit. Annales de l’Université des Sciences Sociales de Toulouse, Tome XXXVI, 1988).

Certaines situations sont interdites, mais le droit ferme les yeux à leur propos.

La précision des obligations assumées

Pour déterminer la responsabilité des sujets de droit pour le non-respect des obligations juridiques, il est important de savoir si ces obligations sont précises ou alors si elles invitent simplement à une certaine conduite. Ainsi distingue-t-on entre :

* Les obligations de résultat qui sont des obligations précises, déterminées et qui commandent une conduite certaine.

* Les obligations de moyens qui sont des obligations de prudence et de diligence, et qui n’emportent aucun résultat précis.

Un problème se pose particulièrement au sujet des obligations de moyens sur le point de savoir si le destinataire de l’obligation juridique a correctement (raisonnablement) assumé ses charges. 

Comment en effet prouver qu’un médecin n’a pas mis tous les moyens en œuvre pour assurer la guérison d’un malade ?

- La force des prescriptions juridiques 

Il s'agit ici, d'exposer la question de la marge de liberté laissée aux destinataires de l’obligation juridique. Les prescriptions juridiques ont en effet une force variable.

De façon générale, on distingue les prescriptions impératives des autres prescriptions dites supplétives.

- Les prescriptions impératives ou règles d’ordre public

Elles ont un caractère rigoureusement obligatoire, et ne peuvent être écartées dans leur application en toute circonstance et par quiconque ; encore que pour certains auteurs, la règle d’ordre public est supérieure à la règle impérative (MAZEAUD et François CHABAS; MARTY et RENAUD ; François TERRE). 

Ces règles sont considérées comme fondamentales à l’organisation d’une société et contiennent des principes fondamentaux d’organisation sociale, politique et économique ; par exemple, les conjoints ne peuvent renoncer à certaines obligations mutuelles liées au mariage, par une convention particulière.

Les règles impératives sont moins nombreuses en droit privé où prévaut le principe de la liberté contractuelle ; dans cette branche du droit, prévalent la législation individualiste et l'esprit du libéralisme.

Les règles impératives ne peuvent tomber en désuétude ni être l’objet d’une abrogation tacite, à moins d’un bouleversement fondamental des valeurs et principes.

- Les règles dites supplétives.

Cette expression recouvre un ensemble de règles qui ont une force obligatoire réduite et peuvent être écartées par les parties à un accord ; elles s'imposent à défaut de manifestation contraire de volonté des parties ; il s’agit des règles proprement supplétives ainsi que les règles interprétatives et les règles dispositives.

*Les règles supplétives : si on admet que le principe est celui de la liberté contractuelle, il faut malgré tout prévoir des hypothèses où les parties contractantes n’ont pas pu tout envisager et prévoir au contrat. Les règles supplétives sont destinées à couvrir les aspects que les parties n’ont pas précisé dans le contrat ; ces règles suppléent à la volonté des parties.

*Les règles interprétatives : c’est une autre perception des règles supplétives. On suppose ici que les règles dont on dit qu’elles n’ont pas été expressément prévues par la volonté des parties, expriment une volonté implicite, tacite des parties. Le silence des parties vaut interprétation de ces règles.

Les règles proprement supplétives et règles interprétatives expriment la même réalité perçue différemment par l’esprit scientifique.

Toutes autres sont les règles dispositives qui sont prévues pour s'appliquer aux parties contractantes qui non seulement ont gardé le silence, mais n'ont pas expressément écarté l’application des dispositions légales de manière régulière (François TERRE). 

En droit administratif, l’administration est soumise à un contrôle pour vérifier l'application régulière du principe de légalité. Ce contrôle est plus ou moins étendu selon que l’autorité administrative a une compétence liée ou alors un pouvoir discrétionnaire.

La compétence ou le pouvoir lié est la situation dans laquelle se trouve une autorité administrative qui ne bénéficie d’aucune possibilité de choix : sa décision ou son action est déterminée d’avance par la règle de droit. Comme ledit un éminent administrativiste « d'une part, cette autorité administrative est tenue de décider. D’autre part, elle est tenue de prendre une décision déterminée, positive ou négative » (René CHAPUS : Droit administratif général. Tome 1. Montchrestien, Paris).

* Le pouvoir ou la compétence discrétionnaire, qui est loin d’être un état d’arbitraire, est la situation dans laquelle se trouve une autorité compétente de choisir entre plusieurs décisions ou actions, toutes conformes à la légalité existante ; l’autorité administrative est juge de l’opportunité d’agir dans telle ou telle direction.

En d’autres termes, la marge de liberté reconnue à l’autorité administrative dans l’application de ses obligations juridiques est plus ou moins grande selon qu’elle a un pouvoir discrétionnaire ou alors compétence liée. 

2- Le droit prévoit éventuellement des sanctions

Paragraphe 2- Les caractères substantiels

La controverse est grande entre les auteurs au sujet de la reconnaissance ou non de caractères substantiels à la règle de droit.

Chez les auteurs qui reconnaissent ces caractères, l’énumération est variable ; ainsi, retrouve-t-on différemment énoncés chez les uns et les autres les caractères suivants tenant aux finalités et aux buts du droit : la justice et l’équité, le bien commun, la sécurité, la stabilité, l’organisation de l’économie, etc.

Quelle que soit l’option que nous choisissons, on doit reconnaître que « la teneur du droit est indécise » (Paul AMSELEK) ; elle tient à l’espace, au temps, aux tempéraments, aux circonstances.

Titre 2 : Le droit, une science

/!\ Attention le Titre 2 de ce cours vous est présenté sous la forme d'un résumé détaillé. /!\

Le droit n’est pas seulement qu’un ensemble de sources. Il est aussi et surtout un objet de connaissance ou d’étude. C’est en ce sens que l’on parle de science du droit, d’études de droit, de Faculté de droit. Pour Gabriel Marty et Pierre Raynaud, « Connaître, étudier scientifiquement le droit comporte d’ailleurs plusieurs degrés » :

- Il s’agit d’abord de déterminer et d'ordonner les solutions positives.

Cette tâche est celle que s’efforcent de remplir les diverses branches ou divisions du droit privé ou public, telles que le droit civil, le droit commercial, la procédure civile ou le droit administratif dont nous aurons à faire l’inventaire et préciser les ramifications ;

- Il s’agit aussi de penser le phénomène juridique dans son ensemble en dégageant la structure générale et les sources des règles juridiques et prenant parti sur le concept même de droit.

On désignait autrefois fréquemment cet aspect des études juridiques sous le nom de philosophie du droit. On préfère aujourd’hui employer l’expression de théorie générale du droit.

Le droit n’est pas qu’un art, l’art de rationaliser les rapports sociaux, de prévoir ou de régler les conflits. C’est également une science. 

Si on emprunte à la définition des sciences pures (sciences physiques et mathématiques), on dira qu’une science est un objet auquel s’applique l’intelligence et le savoir humains indépendamment de tout apriorisme, afin de découvrir les lois causales.

Dans cette approche extrêmement restrictive, le droit, comme toutes les sciences sociales, n’a pas sa place en tant qu’ensemble de phénomènes soumis à des lois positives, à un déterminisme, c’est-à-dire ceux dont les causes sont connues par l’expérience des faits, à l’exclusion des causes inventées par la raison théorique. 

En effet, comme l’écrit, un auteur « si l’on veut réduire la science à la découverte des lois causales, l’étude du droit ne peut certainement pas se parer de ce titre. Mais les sciences de la nature elles-mêmes ne s’y limitent pas et les mathématiques n’y ont jamais prétendu. Depuis longtemps déjà, le terme de science, désigne toute discipline cherchant à atteindre, à la réalité spécifique à laquelle elle se consacre, une connaissance présentant un degré d’objectivité du même ordre que celui auquel parviennent les sciences naturelles et mathématiques » (Michel VIRALLY : La pensée juridique).

Ainsi, comme tout objet à prétention scientifique, le droit est saisi par une méthode d’analyse ; et comme dans toutes les sciences sociales, il existe en droit plus d’un système théorique de connaissance de l’objet. De sorte que l’on a une diversité des méthodes d'analyse du droit (Chapitre 1).

Par ailleurs, l’activité humaine à laquelle s’applique le droit est elle-même diversifiée. Ceci donne lieu à une spécialisation dans la matière du droit et une diversité des branches du droit (Chapitre 2).

Chapitre 1- La diversité des méthodes d’analyse du droit

Avec cette question, on se trouve à la croisée des chemins entre la philosophie et le droit ; il se pose tout simplement là un problème de philosophie du droit.

Avec la philosophie du droit, se pose la question de savoir s’il faut partir de la philosophie ou du droit. Or la philosophie du droit est avant tout une branche de la philosophie. Pour nous, il s’agit de s’interroger sur les fondements et les buts du droit, de saisir le droit indépendamment de sa structure formelle.

La question que l’on se pose est celle de savoir d’où vient l’autorité du droit, quel est le fondement du caractère obligatoire du droit.

Les réponses à cette question divergent selon que l’on parte de l’école de pensée située historiquement comme la plus ancienne, c’est-à-dire l’idéalisme (Section 1), de l’école la plus répandue dans la pensée juridique (le positivisme) (Section 2) ou alors de l’école qui, quoique très isolée, semble la mieux rendre compte de la réalité des choses (la méthode dialectique) (Section 3).

Section 1- L’idéalisme juridique

La doctrine idéaliste peut se définir comme une école de pensée qui, privilégiant la substance de la règle de droit, affirme qu’elle doit contenir un idéal de justice inspiré par des forces extérieures à l’autorité qui édicte formellement la règle de droit. 

Cela dit, la doctrine idéaliste ne constitue pas une école de pensée achevée, homogène et irréprochable ; elle connaît des variations (Paragraphe 1) elle a des constantes (Paragraphe 2) et elle présente des insuffisances (Paragraphe 3).

Paragraphe 1- Les variations de l’idéalisme

L’idéalisme plonge ses racines profondes dans la philosophie de l’Antiquité ; il a vécu, malgré les vicissitudes, et les attaques du positivisme ; il est encore présent dans la philosophie et le droit contemporains.

A- L’idéalisme dans l’Antiquité grecque et romaine

1- l'Antiquité grecque
2- L'Antiquité romaine

B- Le droit naturel dans la pensée chrétienne 

C- L'idéalisme selon l'École du droit de la nature et des gens

Paragraphe 2- Les constantes de l’idéalisme

A- La prévalence de la substance du droit

L’idéalisme met l’accent sur le contenu du droit ; il met en deuxième plan les formes. Ce qui compte, c’est la substance du droit, les valeurs défendues. Cet idéal recherché, c’est la justice.

B- L’existence de principes non écrits supérieurs au droit positif

C- L'existence de principes universels

Paragraphe 3- Les insuffisances de l’idéalisme 

A- L’idéalisme a tendance à présenter ce qui doit être et non ce qui est

Cette projection dans l’idéal, et même dans l'insaisissable expose à des spéculations. Nous sommes alors hors de la science.

B- L’idéalisme repose sur le droit naturel

Il s’agit là d'une notion aux sens multiples et contradictoires : Dieu ? Les divinités ? La seule raison humaine ? La nature des choses ?

C- L’idéalisme fait peu de différences entre le droit et la morale

Section 2- Le positivisme

Max WEBER fait une différence fondamentale dans les attitudes de l’homme vis-à-vis des phénomènes et des choses ; il y a d’un côté, l’attitude qui tient du spéculatif et qui consiste à porter un jugement de valeur ; de l’autre, l’esprit positif qui veut connaître les faits, la réalité concrète.

Sur la base de cette distinction, le positivisme se définit comme une école de pensée, une doctrine juridique qui veut connaître le droit positif ; le terme "positif " étant un adjectif dérivé du participe passé posé. 

Le positivisme se définit alors comme une démarche scientifique qui, dans la recherche d’une pureté de la science du droit, étudie les règles juridiques qui sont constatables par la réalité et non pas par le droit idéal, sujet à spéculation.

Comme on le voit, le positivisme est né en réaction contre le jus naturalisme, fondé sur une nature transcendante, variable, insaisissable. Nous avons vu que la doctrine jus naturaliste n’a pas pu répondre avec satisfaction à la question de savoir ce qu’est le droit (Michel MIAILLE).

Sur le plan des idées, le positivisme est né de la sociologie générale et plus précisément de la philosophie d’Auguste COMTE et sa théorie des trois phases de l’évolution de l’esprit humain : l’état religieux, l’état métaphysique et l’état positif.

Sur ces considérations, on estime à partir du XIXème siècle que le temps est venu d’appréhender le droit à partir de la réalité positive, réalité positive qui n’est pas comprise de la même manière dans la doctrine positiviste. 

Cette réalité est, en effet, variable selon les tendances internes du positivisme (Paragraphe 1). Mais derrière cette variation, il y a des constantes dans le positivisme (Paragraphe 2). Et comme toute doctrine, le positivisme comporte des faiblesses (Paragraphe 3).

Paragraphe 1- Les variations du positivisme

Il existe plusieurs tendances dans l’école positiviste. Selon que l’on veut réduire la réalité positive aux seules règles de droit posées et appliquées, on parlera de positivisme juridique ou étatique ; ou selon que cette réalité positive embrasse une pluralité de faits sociaux, on parlera de positivisme scientifique ou sociologique.

A- Le positivisme juridique ou étatique 

B- Le positivisme scientifique ou sociologique 

Paragraphe 2- Les constantes du positivisme

Elles se ramènent à deux idées simples :

Le rejet de toute métaphysique, de toute idée de justice naturelle ; et le renvoi exclusif à la réalité positive aux faits juridiques. Cette conception a une grande influence sur le critère de la définition du droit :

- Ce critère tient d’abord au formalisme : la règle de droit est-elle régulièrement posée ? Sa validité est conditionnée par cette donnée.

- Le critère du droit tient ensuite à son caractère obligatoire : l’obligation juridique est une obligation dont la violation est sanctionnée, au besoin par la contrainte.

- Peu importe la justification de la loi ; elle est respectée parce qu'elle est la loi.

Paragraphe 3- Les insuffisances du positivisme
On reproche au positivisme de favoriser l’absolutisme du Pouvoir et de se faire le complice des régimes autoritaires, de l’ordre établi et du conservatisme.

Avec le positivisme, l’analyse de la règle de droit reste au seul niveau de cette règle et n’en sort pas. C’est une approche sèche dont on a pu vérifier les limites avec la méthode exégétique dans l’interprétation en droit. 

Une critique forte a été faite au normativisme pour la norme fondamentale invérifiable.

Section 3- la méthode dialectique

Elle part d’une critique des écoles de pensée traditionnelles qui se présentent en fait comme historiquement situées dans leur naissance (paragraphe 1). Et elle fonctionne sur la base des contradictions (Paragraphe 2).

Paragraphe 1- La critique des écoles de pensée traditionnelles

On la retrouve, dans les ouvrages d’introduction au droit notamment, chez Michel MIAILLE et Mme Monique CHEMILLIER- GENDREAU. L’analyse est fondée sur le matérialisme historique ; elle porte d’abord sur la critique du droit naturel, ensuite sur celle du positivisme.

A- La critique de l'idéalisme

B- La critique du positivisme

Paragraphe 2- Les contradictions comme phénomènes explicatifs de l’obligation juridique

La méthode dialectique propose une approche totalisante des phénomènes sociaux. Elle répond, sans privilégier ni négliger un aspect, aux interrogations qui tiennent au pourquoi et au comment : Pourquoi telle règle juridique présente-t-elle tel contenu, telle formulation ? Pourquoi s’inscrit-elle dans telle évolution ? Comment les obligations sont-elles prescrites ? 

C’est la question de la détermination des règles techniques qui servent de support à l’énonciation des prescriptions juridiques (loi, coutume, règlement) et subséquemment des sujets en présence et des compétences qui prévalent.

Par ailleurs, elle s’explique par un mouvement des choses. Rien ne s’obtient ni ne se crée sans un mouvement, sans une lutte consciente ou inconsciente des réalités. Ici, cette pensée marque ses distances avec la dialectique hégélienne. Chez HEGEL, la dialectique (thèse, antithèse et synthèse) est une démarche de l’esprit.

Avec le matérialisme dialectique, le mouvement des choses se trouve dans la matière. Cette approche a été influencée par le marxisme qui fait du déterminisme économique un point central de son analyse. Dans ce contexte, la contradiction, à la fois réalité et notion d’où part l’analyse, est au centre de tout processus. 

La contradiction s'inscrit dans l’absence d’harmonie ; elle se définit comme l’opposition des contraires, la lutte entre deux intérêts, deux réalités. Il en découle l’existence de plusieurs types de rapports de contraires. On distingue entre plusieurs types de rapports de contraire.

A- Contradiction primitive et contradiction consécutive

B- Contradiction principale et contradiction secondaire

C- Contradiction interne et contradiction externe

Chapitre 2- La diversité des branches du droit

Le champ et la discipline du droit sont divisés entre plusieurs secteurs ou branches. Plusieurs distinctions sont faites, celles en vogue étant : 

La distinction droit interne / droit international ; 

La distinction droit public / droit privé.

La plus importante est la distinction droit public / droit privé ; elle contient la distinction droit interne / droit international. C’est là une distinction nécessaire (Section 1) mais toute relative (Section 2).

Section 1- La nécessité de la distinction droit public / droit prive

Cette distinction est perceptible à un triple niveau : les raisons (Paragraphe 1), les termes (Paragraphe 2) et l’exposé des différentes branches (Paragraphe 3).

Paragraphe 1- Les raisons de la distinction

Ces raisons sont de deux ordres :

A- La complexité des rapports sociaux 

B- Les raisons méthodologiques et didactique

Paragraphe 2- Les termes de la distinction

A- Considération historique 

B- Les critères de distinction

En parcourant les systèmes juridiques, on distingue quatre critères :

- Le critère de finalité ou du but du droit
- Le critère organique et formel
- Le critère tenant aux caractères des droits
- Le critère de la répartition des compétences juridictionnelles

Paragraphe 3- Le contenu des différentes branches 

A- Les composantes du droit public

Trois matières principales peuvent être relevées auxquelles on doit associer d'autres disciplines :

- Le droit constitutionnel ;
- Le droit administratif ;
- Le droit international public ;
- Le droit financier ou finances publiques ;
- Le droit des libertés publiques.

B- Les composantes du droit privé 

Il existe dans ce domaine, deux matières principales auxquelles, il faut associer d'autres :

- Le droit civil (droit de la famille, droit des personnes, droit des obligations...);

- Le droit commercial (le droit social, le droit du travail, le droit du transport, le droit des assurances, le droit de la propriété intellectuelle, le droit bancaire).

- Le droit international privé.

Section 2- La relativité de la distinction droit public / droit privé

Cette relativité tient aux interférences réciproques entre le droit public et le droit privé (Paragraphe 1) ainsi qu’à l'existence de disciplines mixtes (Paragraphe 2).

Paragraphe 1- Les interférences réciproques

Elles se manifestent selon nous à plusieurs égards : il y a tout d’abord un mouvement classique de balancier entre le public et le privé ; il y a également le mouvement de constitutionnalisation des diverses branches du droit ou inversement de privatisation.

A- Le balancier droit public / droit privé

B- Constitutionnalisation des diverses branches du droit ou civilisation du droit

Paragraphe 2- L’existence de disciplines mixtes

Quelques disciplines sont citées comme étant mixtes, c’est-à-dire communes aux deux branches du droit.

La plus citée de toutes et par nombre d’auteurs est le droit pénal ; il est dominé par l’autorité publique en ce qu’il définit les infractions (contraventions, délits et crimes) et fixe les sanctions correspondantes ; en d’autres termes, il assure la protection de l’ordre social. C’est en cela qu’il relève du droit public. Mais c’est aussi un droit qui protège la vie, la sécurité et la propriété des particuliers ; en ces termes, le droit pénal protège des prérogatives individuelles et relève du droit privé.

- Il y a aussi le droit judiciaire privé qui parce qu’il définit le fonctionnement du service public de la Justice relève du droit public ; mais seulement en partie, puisqu’il indique les règles de procédure par lesquelles les particuliers peuvent obtenir la défense de leurs droits.

- Le droit fiscal : quelques fois annexé au droit financier, cette discipline, certaines fois dispensée par des privatistes (qualification des actes juridiques lors de leur enregistrement) est relative aux règles de l’imposition des personnes et des activités productrices.

À la vérité, le phénomène juridique est marqué par une unité, une unicité. En introduction au recueil d’études dédié au Professeur Roland DRAGO, le Doyen Georges VEDEL faisait remarquer que l’unité du droit peut s’entendre de trois façons : comme celle d’un objet de connaissance scientifique et corrélativement l’activité qui se rapporte ; comme celle d’un ensemble normatif qui tient à la cohérence interne de l’ordre juridique concerné ; et comme celle d’un appareil conceptuel opératoire, c’est-à-dire d’un ensemble de concepts, de modes de raisonnement et de procédés techniques de formulation.

Sur ce troisième aspect, le Doyen VEDEL affirme que malgré la diversité des disciplines juridiques, il y a une unité certaine par le fait de la « constitutionnalisation », de la « civilisation » ou « l'administrativisation » ; en d’autres termes de l’action juridictionnelle (Georges VEDEL : Aspects généraux et théoriques, in : L’unité du droit. Mélanges en hommage à Roland DRAGO. Économica, Paris, 1996).

Titre 3- Le droit, une technique

Chapitre 1- Le raisonnement en droit

Section 1- Les données de base : Les référentiels

Paragraphe 1- Les notions-clés

A- Le vocabulaire juridique : le langage du droit

B- Le syllogisme juridique : la logique du droit

Paragraphe 2- Les présomptions et les fictions juridiques

Section 2- L’argumentation juridique

Paragraphe 1- L’interprétation

Paragraphe 2- La preuve

Chapitre 2- Le règlement des litiges : les institutions juridictionnelles

Deuxième Partie -Prolégomènes au droit ivoirien

Titre 1- Le processus de formation du droit ivoirien

Chapitre 1- La consistance du droit ivoirien

Chapitre 2- L’évolution du droit ivoirien

Titre 2- La mise en œuvre du droit ivoirien

Chapitre 1- L’application du droit par les pouvoirs publics

Chapitre 2- La soumission au droit des sujets de droit

C'est ici que prend fin ce cours d'Introduction Générale à l'Étude du Droit. N'hésitez pas à consulter l'Introduction de ce cours en Cliquant ICI



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4 commentaires

  1. Unknown
    Unknown
    21 janvier 2019 à 01:00
    J'ai bien aimé le contenu du cours.j avoue que j'ai revecu les moments de cours comme si j étais au campus. J espère pouvoir vous suivre régulièrement pour reprendre avec le droit et avoir une bonne formation juridique au delà de ce que je fais actuellement. Merci bien à vous
  2. Unknown
    Unknown
    4 décembre 2016 à 20:15
    le cours est coupé :( c'est où la suite ?
  3. QofyYangSport
    QofyYangSport
    16 novembre 2016 à 14:26
    Le cours est coupé...
  4. QofyYangSport
    QofyYangSport
    16 novembre 2016 à 14:26
    Le cours est coupé...